Cet article se veut une contribution critique à la discussion des sciences sociales du politique autour des usages contemporains du conspirationnisme. Car, loin de se limiter à la réédition d’un irrationalisme politique aux effets dévastateurs en termes de polarisation de la société entre « amis » et « ennemis » [1], les théories du complot, et en particulier leur variante anti-impérialiste, semblent autoriser la récupération d’une nouvelle autonomie politique ; loin donc de se réduire à une perversion de la rationalité politique, les théories du complot seraient porteuses d’une raison politique à part entière. Le passage par une sociologie de l’action populaire au Venezuela, terrain privilégié pour analyser l’efficacité sociale des imaginaires politiques du complot, montre ainsi que les schémas du complot construisent politiquement le social [2]. Cette construction, qui a partie liée dans notre cas d’étude avec la « raison populiste [3] », se situe à mi-chemin entre autonomie retrouvée et nouvelles formes de domination, constitution d’un nouvel espace public et déchirement des collectifs d’appartenance des acteurs. Les imaginaires politiques du complot permettent ainsi de revenir sur une notion politique aux contours très flous, et dont l’usage est de plus en plus contesté par les social scientists : le populisme [4]. En quoi ces imaginaires, au double niveau herméneutique du Pouvoir d’une part (le discours du leader populiste, et les politiques qu’il sous-tend), et du Peuple de l’autre (le discours et les pratiques des acteurs populaires des Consejos comunales, institutions de la « démocratie directe et participative » inaugurées par Chávez en 2006 [5]), éclaircissent le fonctionnement social du populisme ?