Introduction
Les premières pages des Années peuvent se lire comme une ouverture, au sens musical du terme, puisque les thèmes qui y sont brièvement mais fermement mis en place seront repris dans toute la suite du livre. Leur mise en relation avec les dernières pages met en évidence la recherche d’un effet de bouclage très net, qui pourrait renvoyer aux premières pages, dans une sorte de cercle aussi infini que celui proposé par Marcel Proust dans la structure d’À la recherche du temps perdu.
Mon choix de m’attarder sur ces pages inaugurales provient de la fascination qu’elles exercent sur moi, mais aussi d’une conversation avec Philippe Lejeune, en 2008, au moment de la parution des Années. Il trouvait ce début un peu bizarre, discordant avec le reste du livre. Il n’a peut-être pas dit le mot « raté », mais il pensait que l’éditeur aurait dû demander une révision de ce début. Je ne sais pas s’il a formalisé cette première impression de lecture dans un texte critique (ou si je le trahis en fixant des propos qui devaient garder leur caractère volatile, et ne pas rester, comme seuls les écrits le font si l’on en croit la formule latine) mais j’en ai gardé, dans ma langue infantile, l’idée qu’il considérait ces pages comme une sorte de « gloubiboulga », alors que pour ma part j’avais été marquée, dès ma première lecture, par le caractère addictif de cette liste inaugurale et ses puissants effets lyriques et mélancoliques. Ce travail est donc une tentative pour m’expliquer mon plaisir à cette lecture, renouvelé à chaque lecture, et ma fascination pour ces pages et leur agencement, que je comparerais à la capacité des enfants (et de certains adultes) à se repasser la même chanson un nombre incalculable de fois, sans jamais se lasser, et sans rien y perdre de leur émerveillement premier, habitude qui est encore la mienne, malgré le poids des ans. Cette étude littéraire serait une façon d’en découdre avec une obsession, une hantise, un sentiment de perfection, ce qui pourrait bien définir plus globalement les études littéraires.
Pour revenir ou en venir enfin à des considérations plus techniques, ce prologue s’inscrit bien dans l’habitude d’Annie Ernaux d’un « début qui crève la page », comme elle l’écrit dans son journal d’écriture L’Atelier noir1 (2011). Il s’agit pour elle de faire entendre « la voix qui, dès les premières phrases, doit se tenir “au-dessous” de la littérature dans la “zone dérangeante”, la voix qui va droit à ce qui n’est pas dit2 ». Il faut citer aussi un entretien d’Annie Ernaux à propos de Flaubert, où elle explique : « Cette phrase de la Correspondance, “Chaque œuvre à faire a sa poétique en soi, qu’il faut trouver” résonne en moi depuis cette époque [ie sa jeunesse et ses études à Rouen]3 ». Elle ajoute un peu plus loin : « Flaubert, en quelque sorte, justifie ma lenteur d’écrire, ma longue recherche d’une structure correspondant au sujet4. » On peut resituer la citation dans son contexte et relever les propos sur les vêtements qui viennent juste avant, dans cette lettre à Louise Colet du 29 janvier 1854 : « Enfin y a-t-il rien de plus stupide que ce bulletin de modes disant les costumes que l’on a portés, la semaine dernière, afin qu’on les porte la semaine qui va suivre, et donnant une règle pour tout le monde, sans tenir compte que chacun, pour être bien habillé, doit s’habiller quant à lui ! C’est toujours la même question, celle des Poétiques5. » On se souvient que la question du style et de la forme est au cœur de l’entreprise autobiographique de Rousseau, notamment dans le préambule des Confessions, dans le manuscrit dit de Neuchâtel : « Il faudrait pour ce que j’ai à dire inventer un langage aussi nouveau que mon projet : car quel ton, quel style prendre pour débrouiller ce chaos immense de sentiments si divers, si contradictoires, souvent si vils et quelquefois si sublimes dont je fus sans cesse agité ? […] Mon style inégal et naturel, tantôt rapide et tantôt diffus, tantôt sage et tantôt fou, tantôt grave et tantôt gai fera lui-même partie de mon histoire6. » Dans Mémoire de fille, paru en 2016, Annie Ernaux évoque « la douleur de la forme7. » Il faut donc en passer par une étude formelle de cette ouverture, que j’ai menée d’abord de façon linéaire, avant de regrouper mes remarques et de les organiser dans le plan que voici.
Un prologue singulier
Composition
Il s’agit d’une ouverture en deux temps, elle-même divisée en deux moments très inégaux, comme le montre une rapide étude des temps verbaux : alternance entre le futur (incipit : « Toutes les images disparaîtront », p. 11 ; « S’annuleront subitement les milliers de mots qui ont servi à nommer les choses », p. 15) et l’imparfait le reste du temps, avant un retour au futur dans le dernier paragraphe (« Tout s’effacera en une seconde », p. 19). La première partie est consacrée aux images, la seconde aux mots. Les deux sont séparées par un blanc typographique (p. 15) et un retour de la majuscule qui inaugure une nouvelle série d’items inventoriés sans majuscule, avec un retour à la ligne et un saut de ligne entre chacun d’eux. Comme l’écrit Annie Ernaux dans les avant-textes, « saisir les lieux pour saisir le temps, c’est le sens de l’inventaire8».
L’influence la plus nettement perceptible pour le lecteur est celle de Je me souviens de Georges Perec, texte publié en 1978, inspiré lui-même de I Remember de Joe Brainard, traduit en français en 1997 par Marie Chaix, et publié d’abord à New York en 1975. La liste de ces vignettes mémorielles, de ces éclats de mémoire, est composée d’éléments hétérogènes, paroles de chansons, titres de chansons, de films, citations, slogans publicitaires et marques, flashs de la mémoire et épiphanies au sens où les pratique James Joyce.
On peut rapporter l’aspect éclaté de ce prologue à ce qu’écrit Annie Ernaux dans L’Atelier noir : « Commencer un livre, c’est sentir le monde autour de moi, et moi comme dissoute, acceptant de me dissoudre, pour comprendre et rendre la complexité du monde9. » Dans un avant-texte de 1990, Annie Ernaux rapporte tous ces instantanés de mots et d’images au « modèle idéal du récit » qui « est peut-être ce que disent avoir vu les gens qui croyaient mourir, “toute une vie en quelques secondes”10 ». Ce memento mori s’inverse dans ce que Fabrice Thumerel appelle « un memento vitæ s’ouvrant sur l’inimaginable, c’est-à-dire s’achevant dans un futur d’outre-tombe11».
Thématique
Ce prologue est également déconcertant par les sujets qu’il aborde, sans renoncer aux tabous comme la scatologie (dès le premier item de la liste), la sexualité, l’humour noir, la tératologie… Cela reprend une des caractéristiques majeures de l’œuvre d’Annie Ernaux, qui est de s’affronter aux tabous sociaux et littéraires : l’avortement dans L’Evénement (2000), la sexualité dans Passion simple (1992) et Se perdre (2001), la première expérience sexuelle dans Mémoire de fille, la violence familiale et sociale dans La Honte (1997), la relation avec un homme de trente ans son cadet dans Le Jeune Homme (2022). Elle écrit elle-même, dans un de ses nombreux commentaires métatextuels : « J’ai toujours eu envie d’écrire des livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le regard d’autrui insoutenable12. » Comme l’écrit Fabrice Thumerel, « Annie Ernaux réintroduit le corps comme refoulé du corps social, et notamment le corps féminin […], mais surtout pose la sexualité féminine comme envers de l’ordre moral13 ».
Les références aux fonctions excrémentielles du corps seront reprises après ce prologue : (voir p. 40 : « On vivait dans la proximité de la merde. Elle faisait rire »), « la femme accroupie qui urinait en plein jour » (p. 11) ; « les cabinets installés au-dessus de la rivière, dans la cour derrière la maison de Lillebonne, les excréments mêlés au papier emportés doucement par l’eau qui clapotait autour » (p. 14). On peut se reporter à la p. 59 où la Toussaint 1954 en Algérie est associée à l’image des « invités d’une maison en face [sortant] les uns après les autres dans le jardin, pour uriner derrière le mur aveugle […], une jeune femme s’accouvant dans l’herbe et se relevant en rabattant sa jupe ».
La monstruosité n’effraie pas davantage la narratrice : « ton bébé risque de naître sans bras » (p. 11) ; cette blague renvoie à un scandale sanitaire des années 1960, raconté ici sur le ton de l’humour noir qui montre que les histoires drôles ont aussi une histoire et font partie de l’histoire.
La maladie ne sera pas non plus un tabou, notamment la maladie d’Alzheimer (p. 12) qui réapparaîtra dans le cours du récit, ainsi p. 160 : « On préférait ne pas parler des maladies nouvellement apparues qui n’avaient pas de remèdes ».
La mort apparaît également, soit sous la forme des « momies en dentelles déguenillées » (p. 12), soit sous celle du meurtre, que ce soit dans la fiction (« l’affiche de Thérèse Raquin », p. 12) ou dans le fait-divers (« Elizabeth Drummond tuée avec ses parents sur une route à Lurs, en 1952 », p. 14).
La sexualité est également abordée sans détours ; l’exhibitionnisme (« l’inconnu de la gare Termini à Rome », p. 12-13) ; le désir féminin (Molly Bloom « se souvenant de la première fois où un garçon l’a embrassée et elle dit oui oui oui » (p. 14). Cette référence littéraire se retrouvera dans une autre liste (voir p. 214 : « son existence, ses « moi », sont dans des personnages de livres et de films, […] elle est […] Molly Bloom – ou Dalida »). La sexualité envahit ce prologue avec « les milliers de mots qui ont […] fait battre le cœur et mouiller le sexe » (p. 15), l’obscénité des « histoires sales » (p. 15) et des « mots d’homme qu’on n’aimait pas, jouir, branler » (p. 18), l’insulte, « tu ressembles à une putain décatie » (p. 16), référence immédiatement suivie par « les phrases des hommes dans le lit la nuit » (p. 16, tabou de l’intimité avec un homme, lien avec la citation précédente); les jeux de mots et calembours grivois comme « le comble de la religieuse est de vivre en vierge et de mourir en sainte » (p. 17), « qu’est-ce que le mariage ? Un con promis » (p. 18) ; et même la contrepèterie, « l’explorateur mit le contenu de ses fouilles dans des caisses » (p. 17). Tous ces exemples sont à mettre en relation avec les analyses célèbres de Freud dans son essai de 1905, Le Mot d’esprit et sa relation à l’inconscient. Ce prologue s’inscrit bien dans l’héritage de l’œuvre d’Annie Ernaux, dont on a souvent relevé le caractère transgressif, comme l’indique le titre du livre d’Élise Hugueny-Léger, Annie Ernaux, une poétique de la transgression (Peter Lang, 2009).
Déconcertant, ce prologue l’est aussi par son art de mélanger culture populaire et culture savante dans ses références, ce qui renvoie à une lecture qui a compté pour Annie Ernaux (Richard Hoggart, La Culture du pauvre, Paris, éditions de Minuit, 1957), et à toute son œuvre, où elle refuse d’exclure la culture populaire de son milieu d’origine, sous prétexte qu’elle ne serait pas digne d’accéder à la littérature et serait mal vue des milieux dominants dans lesquels elle vit désormais. Le mélange des références est rendu d’autant plus frappant qu’il fait l’objet d’un travail de montage très précis et très efficace. Ainsi, juste après la description de « la femme accroupie qui urinait en plein jour » (qui permet de fixer un terminus a quo au livre : juste « après la guerre », ce qui renvoie bien au projet énoncé sur la quatrième de couverture : « Annie Ernaux nous fait ressentir le passage des années, de l’après-guerre à aujourd’hui »), vient une allusion à Une aussi longue absence. Dans L’Atelier noir, Annie Ernaux note : « Notre moi est dans les films vus14. » Ce souvenir cinématographique, culturel, intellectuel, contraste violemment avec la vulgarité de la première image. Il s’agit d’un film de Henri Colpi, sur un scénario de Marguerite Duras, Palme d’or à Cannes en 1961 (voir p. 211, à Trouville, les « Roches Noires, l’escalier qui porte le nom de Marguerite Duras »). Voici l’analyse qu’en donne le site lemagducine.fr :
En 1961, Une aussi longue absence reçoit la Palme d’or, ex aequo avec Virdiana de Luis Buñuel. Henri Colpi, monteur des films de Charlie Chaplin, Alain Resnais ou Henri-Georges Clouzot, réalisait alors son premier long métrage sur un scénario signé Marguerite Duras. Une singulière histoire d’amour et d’amnésie portée par deux grands interprètes : Alida Valli et Georges Wilson.
La France des années 60
Thérèse Langlois est la patronne très appréciée du Café de la vieille église à Puteaux. Un bistrot ouvrier à l’ancienne, où l’on vient boire son petit blanc, jouer aux cartes ou au flipper et parler des derniers potins. Le décor extérieur est celui des berges de la Seine, à peine urbanisées à l’époque. Les usines Renault, installées tout près, sur l’île Seguin, apportent au café une clientèle de travailleurs. L’un d’eux courtise Thérèse quelque temps, lui proposant même de quitter Puteaux pour entamer une nouvelle vie. Mais en ce début du mois d’août, l’attention de Thérèse se porte sur un vagabond nouvellement apparu dans le quartier. Un clochard qui fredonne des airs d’opéra et qui ressemble étrangement à Albert, son ancien mari. Problème, Albert Langlois, arrêté par la Gestapo en 44 est considéré comme mort depuis plus de 15 ans.
Personnages durassiens
Alors que Thérèse se persuade qu’il s’agit de son mari disparu, ce dernier, qui a perdu la mémoire, ne se souvient de rien. Le scénario de Duras joue subtilement de cette ambiguïté. L’homme est-il réellement Albert Langlois ou Thérèse essaie-t-elle de s’en convaincre pour reprendre sa vie d’avant et refuser les avances de son prétendant ? Le spectateur s’interroge d’autant plus que des membres de la famille, qui eux aussi ont connu Albert, doutent de son identité et opposent à Thérèse des arguments fort peu romantiques : qu’est-ce que ce pauvre type, qu’il s’agisse d’Albert Langlois ou non, pourrait-il bien apporter à Thérèse dans l’état où il se trouve ? De fait, l’ancien héros de la Résistance réduit à la mendicité est devenu un fou chantonnant pathétiquement déphasé.
Trois petites notes de musique
La bande sonore joue un rôle important tant dans l’histoire que dans la mise en scène. C’est par le fredonnement que le vagabond se fait remarquer, c’est grâce à des morceaux d’opéra diffusés sur le juke-box que Thérèse essaie de réactiver la mémoire de l’inconnu. De même, c’est sur la chanson Trois petites notes de musique, dont les paroles ont été écrites par Colpi lui-même, que se nouent les moments de complicité les plus forts.
« Trois petites notes de musique ont plié boutique au creux du souvenir
C’en est fini de leur tapage, elles tournent la page et vont s’endormir
Mais un jour sans crier gare
Elles vous reviennent en mémoire… »
Dans un finale très fort, alors que Thérèse semble avoir apprivoisé l’inconnu, celui-ci est rattrapé par les réminiscences de son passé : un bruit anodin qui évoque les wagons plombés et voici l’homme qui perd sa contenance pour redevenir l’animal traqué qu’il était. Superbe scène.
Dans le souvenir inscrit en deuxième position dans la liste, « la figure pleine de larmes d’Alida Valli dansant avec Georges Wilson », dans la dernière partie du film, inscrit dès l’ouverture une dimension pathétique. Le thème de ce film de 1960, l’amnésie après la déportation en 1944, renvoie à la guerre évoquée dans la première vignette de cette série d’images vouées à disparaître, et écrites ici pour lutter contre cette disparition, comme l’indique la dernière phrase du livre : « Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais » (p. 254). Ce passage du film est accompagné de la valse Trois petites notes de musique composée par Georges Delerue et interprétée par Cora Vaucaire, qui lui donne une grande dimension mélancolique. Le film a également obtenu le prix Louis Delluc en 1961, l’équivalent du prix Goncourt pour le cinéma. Le scénario repose sur une histoire de Marguerite Duras « basée sur un fait divers réel survenu à l’automne 1959 », précise la pochette du DVD. Henri Colpi avait rencontré Marguerite Duras à l’occasion du film d’Alain Resnais, Hiroshima mon amour, sorti en 1959, pour lequel il avait effectué le montage.
Le travail de montage continue à la page suivante quand une référence à Claude Piéplu et à un film des Charlots précède immédiatement une allusion à Proust et à la duchesse de Guermantes dans À la recherche du temps perdu. Maya Lavault propose une lecture très pertinente de ce qu’elle appelle « l’une des vignettes mémorielles qui, à l’ouverture des Années, fait surgir le souvenir de la mère », avec une allusion à Céleste Albaret, domestique de Proust et modèle de Françoise dans son roman, « telle qu’elle était apparue un soir dans une émission de Bernard Pivot » (p. 12) : « Par une subtile fusion de la littérature et de la vie, à travers l’imbrication du souvenir personnel, de la réminiscence littéraire et de l’image télévisée, la conjonction toute proustienne entre l’aristocrate et la servante sert ici de comparant à la figure maternelle : en exergue du livre-mémoire, elle signale discrètement le rôle de Françoise dans la construction d’une démarche d’écriture à “bonne distance” du modèle proustien15. » Cette lecture contient une petite erreur, car cette référence proustienne ne concerne pas directement la mère, mais « cette dame majestueuse, atteinte d’Alzheimer, vêtue d’une blouse à fleurs comme les autres pensionnaires de la maison de retraite » où a séjourné et où est morte la mère, et que le lecteur d’Une femme (1988) et « Je ne suis pas sortie de ma nuit » (1997) reconnaît parfaitement ici. On voit que la référence littéraire porte la mémoire la plus intime, alors que le plan choisi pour cette étude littéraire les sépare artificiellement, comme si on pouvait garder la belle machine construite par le Mécano quand on a défait et détaché toutes ses pièces, pour les classer par formes et par tailles…
On peut proposer un relevé de tout ce qui renvoie à la culture populaire dans ce prologue : la fête foraine, « un tour de prestidigitation appelé Le Martyre d’une femme » (p. 12) : « la femme enfermée dans une boîte que des hommes avaient transpercée de part en part avec des lances d’argent », univers de la fête foraine, du divertissement à sensations, méprisé par les intellectuels et les milieux cultivés. L’évocation d’un tabou (la femme transpercée) est placée sous le signe du simulacre ; notons que cette image est souvent évoquée par l’auteure dans des entretiens pour parler de la façon dont elle se sent « traversée par le monde » ; la publicité et les marques (« André » avec le slogan un peu idiot, p. 12 ; « Paic Vaisselle » humour assez grossier de cette publicité au cinéma, p. 13 ; « Picorette », boule chocolatée, « publicité à la télé », autre époque, p. 13), « le shampoing Dulsol, le chocolat Cardon, le café Nadi (p. 19), « comme un souvenir intime, impossible à partager » qui renvoie au café-épicerie que tenaient les parents de l’auteure à Yvetot ; Zappy Max (p. 13, « Max Doucet, dit Zappy Max, né à Paris le 23 juin 1921, est connu comme l’un des animateurs radiophoniques les plus célèbres en France et en Belgique pendant les années 1950 jusqu’aux années 1970, travaillant pour Radio Luxembourg (devenue RTL) et Radio Monte-Carlo (RMC). Monsieur Champagne a été son partenaire », Wikipedia). Cette anecdote rend la dimension populaire des références de l’écrivain, liée à son enfance et à son écoute de la radio avec ses parents ; la page qui ne s’appelait pas encore people des magazines (« la silhouette sémillante de l’acteur Philippe Lemaire, marié à Juliette Gréco » (p. 13) ; Scarlett O’Hara (dans Autant en emporte le vent, roman de Margaret Mitchell publié en 1936, une des premières lectures d’Annie Ernaux à 12 ans, p. 14) ; le fait divers (affaire Dominici de 1952, pas désignée sous ce nom célèbre, dont on verra plus bas le lien avec La Honte, livre de 1997, et les recherches sur l’année 1952) ; les expressions populaires : « vieux kroumir, faire du chambard, ça valait mille ! tu es un petit ballot ! » (p. 16) ; les chansons : « le porte-bonheur » de Jacques Helian (p. 17, 1946, c’est aussi l’auteur de la chanson « Étoile des neiges » en 1949, chantée par la petite fille à un repas de famille, voir p. 30 : « À notre tour, nous avions le droit d’attendrir la tablée avec Etoile des neiges ») ; « Histoire d’un amour » par Dalida (p. 17), chanson de 1957 dont on découvrira toute l’importance dans Mémoire de fille ; les calembours usés comme ciment familial d’un milieu populaire déplacés dans le couple bourgeois formée par l’auteure et son mari (p. 17) ; les jeux radiophoniques : le Tirlipot, le schmilblick (p. 17). Le schmilblick est un objet imaginaire créé par Pierre Dac dans les années 1950 puis devient un jeu télévisé présenté par Guy Lux en 1969, qui donne lieu à un sketch parodique de Coluche en 1976. Tirlipoter : « Dans un jeu qui consiste à faire deviner un verbe à partir de questions auxquelles on répond par oui ou non, verbe servant à remplacer dans les questions le verbe qui doit être deviné ». Le sketch de Coluche permet des allusions sexuelles comiques. Voir p. 96 : « Les jeunesses du monde donnaient de leurs nouvelles avec violence. […] Les adultes installés faisaient mine de ne rien voir, écoutaient le Tirlipot sur RTL […] ») ; les mots populaires (mastoc, pioncer) trouvés dans des œuvres de la culture savante (lettres de Flaubert ou de George Sand) (p. 18) ; expressions populaires des parents, « plus vivantes que leur visage » (p. 18) ; Madame Soleil (p. 19) : il s’agit d’une voyante (1913-1996), astrologue, l’astrologie étant considérée comme marque de la culture populaire, méprisée par les classes dominantes. On peut se reporter à la p. 114, après la mort de De Gaulle : « Pourtant, dans la durée des jours, les sonneries du collège, la voix d’Albert Simon et de Madame Soleil sur Europe 1, la bavette/frites du samedi, Kiri le Clown et Une minute pour les femmes d’Annick Beauchamp le soir, l’évolution restait insensible. » On trouve l’équivalent dans ce prologue de ce que François Le Lionnais a appelé le « troisième secteur » (réclames, tracts, slogans) : « C’est cette manière d’utiliser le langage qu’on trouve dans les graffiti, dans les épitaphes, dans les catalogues d’armes et de cycles, que sais-je encore ? Il y a une manière d’utiliser le langage qui se trouve en dehors, à la fois de la littérature et de ce qu’on appelle ici paralittérature16. »
Les références à la culture savante sont aussi très nombreuses : Thérèse Raquin (p. 12), film de Marcel Carné de 1953, adaptation du troisième roman de Zola publié en 1867, marqué par une forme de naturalisme qui l’apparente aussi à la culture populaire ; le célèbre monologue de Molly Bloom (p. 14), à la fin d’Ulysse de James Joyce, roman du flux de conscience publié en 1922 et dont la traduction en français date de 1929, avant une nouvelle traduction en 2004 ; œuvre fondatrice dans la prose romanesque du XXe siècle, modèle de l’innovation formelle et de l’avant-garde, de l’œuvre pour laquelle il faut inventer sa poétique, selon la formule de Flaubert ; roman du monologue intérieur, roman exigeant, appartenant à une culture lettrée et élitiste. On note le goût pour le contraste dans le montage de ces images et de ces références, puisque Molly Bloom suit immédiatement Scarlett O’Hara et précède un fait-divers sanglant. Le souvenir personnel est fondu dans un souvenir littéraire. Ce monologue constitue un des moments les plus célèbres du roman de Joyce, situé à la fin de celui-ci. Le vocabulaire peut aussi renvoyer à la culture savante : « anamnèse, épigone, noème, théorétique, les termes notés sur un carnet avec leur définition pour ne pas consulter à chaque fois le dictionnaire » (p. 15, travail de l’étudiante efficace et méthodique) ; « il est indéniable que, force est de constater » (p. 15). La langue est bien un marqueur social, qui érige une barrière entre « d’autres » et soi, ce qui renvoie au projet d’écrire pour « venger ma race » dans le journal intime de jeunesse17, qui reprend la formule d’Arthur Rimbaud dans le poème « Mauvais sang » (section 3) d’Une Saison en enfer (1873) : « Je suis de race inférieure de toute éternité. » La domination passe aussi par l’emploi de la langue et de ses tournures. La langue des dominants représente pour les dominés une conquête jamais assurée. Toute cette réflexion est nourrie des travaux de Pierre Bourdieu, notamment son livre sur Les Héritiers. Les étudiants et la culture (avec Jean-Claude Passeron, 1964). Les citations, sans guillemets, renvoient également à la culture savante, par exemple « exister c’est se boire sans soif » (p. 16) à Jean-Paul Sartre18. On retrouvera cette citation par la suite : « On notait des phrases d’écrivains sur la vie, découvrant le bonheur de se penser dans des formules étincelantes, exister c’est se boire sans soif » (p. 64). La citation latine en italiques « in illo tempore le dimanche à la messe » (p. 16) renvoie au temps mythique de l’épopée, dégradée dans la mythologie de son enfance, et à la formation universitaire de l’auteure, agrégée de lettres modernes. Cette référence au latin sera éclairée plus loin à propos de « la messe du dimanche » (p. 47) : « Pour tout le monde un signe extérieur de moralité et la certitude d’un destin s’écrivant dans une langue particulière, le latin », la religion chrétienne étant décrite comme « musée de l’enfance » (p. 222). On trouve également une citation d’une épigramme de Voltaire contre l’abbé Trublet (1697-1770) homme d’Église et moraliste français qui avait critiqué sa Henriade : « l’abbé Trublet compilait, compilait, compilait19 ». Il s’agit là sans doute d’un souvenir de cours de français. La citation de Mme de Staël, « la gloire pour une femme est le deuil éclatant du bonheur20 » (p. 17), inscrit déjà discrètement une forme de féminisme. La citation de Proust, « notre mémoire est hors de nous dans un souffle pluvieux du temps21 » (p. 17), est essentielle pour le projet des Années, et renvoie à la citation de Rousseau en épigraphe du Journal du dehors (1993) : « Notre vrai moi n’est pas tout entier en nous22. » Le premier vers d’Ève, poème de Charles Péguy de 1914, « ô Mère ensevelie hors du premier jardin23 » (p. 18) se trouve encadré de manière très humoristique entre « la cerise sur le gâteau » et « pédaler dans la choucroute » ou « la semoule », des expressions toutes faites imagées et très familières. La dernière citation de ce prologue, « le monde manque de foi dans une vérité transcendante » (p. 19), est de Renouvier, en épigraphe à La Trahison des clercs, de Julien Benda24. La culture savante s’inscrit aussi dans la possibilité de parler une autre langue, « le latin, l’anglais, le russe appris en six mois » (p. 18), dont il ne reste plus que les mots pour dire au revoir, je t’aime, d’accord. La référence à l’anglais s’éclaire par l’allusion « à Finchley au pair » (p. 104), et par une des vignettes de la fin du livre : « un bar et un juke-box qui jouait Apache, à Telly O Corner, Finchley » (p. 254). Elle sera très développée dans Mémoire de fille25.
Deux films, dont seuls les titres sont donnés dans le prologue, appartiennent à la culture savante. Quand passent les cigognes (p. 18). Il s’agit d’un film soviétique de Mikhaïl Kalatozov de1957, Palme d’or à Cannes en 1958, dont le site dvdclassik.com donne le résumé suivant :
Moscou, 1941, Veronica (Tatyana Somojlova) et son fiancé Boris (Aleksei Balatov) sont éperdument amoureux l’un de l’autre. Le mariage n’est pas loin mais ce jour du 22 juin, l’Allemagne envahit la Russie par surprise. Boris, conscient de la gravité de la situation, part comme volontaire pour le front russe. Mark, cousin de Boris et joueur de piano, évite l’enrôlement grâce au mensonge. Le pianiste profite du départ de son cousin pour courtiser Veronica dont il est aussi amoureux. Ne recevant plus de nouvelles de Boris, Veronica cède, la mort dans l’âme, aux avances de Mark et finit par l’épouser après qu’il l’a violée. S’ensuit une descente aux enfers qui balance Veronica entre le doute, le désespoir, le remords et l’amour. Elle rejoint un hôpital de Moscou en tant qu’infirmière et découvre l’horreur du conflit, une expérience qui va l’endurcir. Boris meurt au combat. Quand Veronica apprend la nouvelle, elle doit alors composer avec une réalité qui touche 20 millions de familles victimes du conflit : les exigences de la guerre vont rarement de pair avec les besoins personnels des individus…
Le Dictionnaire des films de Georges Sadoul cite ce commentaire du réalisateur Jacques Doniol-Valcroze (1920-1989) :
Le scénario est dépouillé des conventions qui nous ont fait grincer les dents au spectacle des films staliniens. Le romantisme, le lyrisme parfois délirant des images confèrent sa puissance au contenu. Les principaux morceaux de bravoure : l’adieu matinal dans l’escalier, le départ pour la guerre, le viol pendant le bombardement, la découverte de la maison détruite, la fuite après le discours de l’hôpital, la scène finale sur le quai de la gare passent le stade de la simple bravoure pour déboucher sur une beauté fort authentique. Il y a aussi un certain nombre de scènes d’intimité d’un naturel et d’une vivacité étincelants.
Cette notice décrit le film comme une « sorte de Guerre et Paix 1941-194526». Ce film, par l’héroïsme de Veronica, peut encourager une vision féministe du monde, car les femmes y apparaissent aussi comme des victimes et des êtres qui savent résister avec courage.
Marianne de ma jeunesse (p. 18) est un film de Julien Duvivier de 1955, dont le site cinema-francais.fr donne le synopsis suivant :
Le domaine d’Heiligenstadt s’étend dans un décor de lacs et de forêts et abrite un groupe d’adolescents et d’enfants que leurs parents fortunés ont exilés pour n’en être pas embarrassés. Des bandes se sont organisées : celle des Sages que dirige Manfred, celle des Brigands commandée par Alexis. Un jour paraît un jeune poète qui exerce aussitôt sur ceux qui l’entourent une fascination presque magique. Les enfants des deux bandes l’écoutent et les biches le suivent. On propose rapidement à Vincent de tenter une expédition dans une mystérieuse demeure qu’on appelle le Manoir Hanté où se terre un chevalier-fantôme. Vincent, isolé de ses amis, doit se réfugier dans le château où lui apparaît soudain, lumineuse, presque immatérielle, une jeune fille : Marianne. Un grand amour vient de naître. Rendu à ses camarades, à ses professeurs, Vincent ne vit plus que pour Marianne. Il passe à côté de la petite Lise, fille du directeur, sans voir qu’elle aussi l’aime. Tant, que par jalousie, Lise étranglera la plus douce des biches de Vincent. Un message soudain bouleverse le jeune homme : Marianne l’appelle à son aide. Tout à sa passion, Vincent évite la noyade dans le lac grâce à Manfred et arrive à s’introduire de nouveau dans la sombre demeure. Marianne retrouvée lui explique que le vieux chevalier s’apprête à l’épouser. Elle veut fuir avec son ami ; tout à coup le chevalier apparaît. Le vieillard se borne à révéler à l’adolescent que Marianne est folle et que la cérémonie qu’on prépare doit provoquer en elle un bouleversement salutaire. Marianne crie alors au mensonge tandis que Vincent terrasse le chevalier; un valet surgit et l’assomme. Vincent ne reverra plus Marianne. Quand il osera revenir au Manoir, la jeune fille aura disparu. Alors commence pour l’amoureux éperdu une quête autour du monde à la recherche de celle qu’il aimera toujours.
Cette référence s’éclaire a posteriori à la lecture de Mémoire de fille, dont le titre aurait pu être « La Colonie »27. Le film est à nouveau évoqué p. 74.
Une chronologie et une géographie « façon puzzle » :
Dans ce flux de conscience qui doit beaucoup à James Joyce et à Virginia Woolf, l’ordre n’est pas chronologique et les items de la liste renvoient à des moments divers et à des années ou des décennies différentes. Parfois une même vignette contient plusieurs strates chronologiques, comme 1960 et 1990 dans le troisième élément de la liste (p. 11) qui concerne « la thalidomide » et permet de voir comment un scandale médical des années 1960 a eu des répercussions sur la vie intime de cet homme croisé dans la rue en 1990. Ce scandale sanitaire est résumé ainsi par Wikipédia :
Le thalidomide est un médicament utilisé durant les années 1950 et 1960 comme sédatif et anti-nauséeux, notamment chez les femmes enceintes. Or, on découvrit qu’il provoquait de graves malformations congénitales. D’abord occultés ou niés par le fabricant Grünenthal GmbH (de), ces effets tératogènes furent au cœur d’un scandale sanitaire qui aboutit au retrait du médicament du marché mondial à partir de 1961. Aujourd’hui, le thalidomide est de nouveau utilisé de façon contrôlée pour ses propriétés immunomodulatrices et antitumorales. Synthétisé en Allemagne de l’Ouest par la firme pharmaceutique suisse Ciba en 1953, le thalidomide fut repris par l’entreprise pharmaceutique Grünenthal GmbH en 1954 et mis sur le marché en 1957, principalement en Allemagne et Grande-Bretagne ainsi que dans plusieurs dizaines d’autres pays, à l’exception de la France et des États-Unis. Bien qu’il soit difficile à estimer, le nombre total de victimes de ses effets tératogènes s’échelonne entre 10 000 et 20 000. Cette tragédie eut un effet accélérateur important dans la mise en place de normes plus strictes de sécurité sanitaire pour la mise sur le marché des médicaments et des produits chimiques comme les pesticides. Ce scandale fut un déterminant de la création du centre mondial de pharmacovigilance, aujourd’hui basé à Uppsala en Suède.
Il n’y pas de vérification : l’auteure désigne le médicament au féminin alors qu’il est du masculin (?). C’est la mémoire qui fait foi, ce qui n’empêche pas une dimension documentaire de la référence. La mémoire n’a retenu que l’histoire drôle à l’humour très noir et très tabou. On le voit ici encore : l’écriture n’a pas peur du tabou de la monstruosité et des effets tératogènes d’un médicament. Ce sont des souvenirs personnels mais ils pourraient tout aussi bien être impersonnels. Il n’y a pas de première personne pour évoquer cette image, mais il faut bien un regard pour saisir l’image monstrueuse de cet « homme croisé sur un trottoir de Padoue » (p. 11). L’histoire drôle finit pas faire partie de la mémoire collective, au même titre que le scandale et la monstruosité de ces malformations congénitales.
Rien que sur les trois premiers items de la liste, on passe de l’immédiat après-guerre, à 1961, puis à « l’été 1990 » qui renvoie « trente ans plus tôt » (p. 11). Il faudrait mener ce travail sur tous les items et leurs enchaînements et les échos des uns aux autres, et proposer également une étude sur l’éclatement géographique de cette ouverture, que la géographie soit réelle ou fictive (New York, Padoue, Palerme, Venise, Caudéran près de Bordeaux, Yvetot, Rouen, Rome, Arenys de Mar près de Barcelone, voir p. 147-148 : voyage d’été en Espagne avec son mari et ses enfants, également évoqué dans le film Les Années Super 8, Paris, Lillebonne, Atlanta, Dublin, Lurs, la nationale 14 qui relie Paris à Rouen, Saint-Pétersbourg).
L’Histoire et l’intime : « une forme nouvelle d’autobiographie, impersonnelle et collective » (quatrième de couverture)
Une réflexion sur la mémoire et l’histoire : collective ou individuelle, spontanée ou recherchée, partagée ou intime, heureuse ou traumatique, légitime ou illégitime
La citation d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs (1919) est ici très éclairante : « notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux du temps » (p. 17). Annie Ernaux avait déjà pratiqué ce genre de liste, mais à la taille d’un paragraphe dans un article intitulé « De l’autre côté du siècle », paru dans La NRF en juin 1999 :
Bientôt des images et des mots, qui étaient dans la tête de tout le monde, ne diront plus rien à personne. On ne se souviendra pas, dans l’autre siècle, de la blouse au lycée, des parfums Bourjois avec un J comme joie, de Johnny Hallyday dans D’où viens-tu Johnny, des diamants de Bokassa, des ortolans de Mitterrand, des moutons du Larzac, de Gabrielle Russier […]. Personne ne se souviendra de Jeanne Calment. J’aurai moi-même oublié ce qui m’a fait écrire tout cela, une sensation de dépossession, de vide entre deux siècles, celui qui se referme sur un pan de notre vie, et l’autre, immense, qui sera, de façon certaine, celui de ma mort28.
Dans ce paragraphe apparaissent déjà des éléments que l’on retrouvera dans le cours des Années, ainsi que la tonalité élégiaque, et l’affleurement du lyrisme qui se fera beaucoup plus puissant dans Les Années, et notamment, dans ce prologue aux pages 13 et 15, dans des paragraphes plus longs, au futur, sur la disparition des images et des mots, et sur sa propre disparition, d’abord comme personne puis comme souvenir pour les générations à venir (« jusqu’à disparaître dans la masse anonyme d’une lointaine génération », p. 15).
Nathalie Froloff commente ainsi ce texte antérieur à l’œuvre-somme des Années, qui semble en essayer, de façon microscopique, un principe d’écriture et de composition : « On lit ici, à travers une liste hétéroclite, récurrente aussi dans Les Années, la matérialité de l’histoire collective. Le rôle de la littérature est alors de sauver les marginalia, de sauver ce qui est en marge des manuels d’histoire29. » L’importance des items transgressifs de cette liste renvoie même à une « mémoire illégitime », c’est-à-dire une mémoire « des choses qu’il est impensable, honteux ou fou de formuler » (p. 59).
L’histoire est aussi une histoire de la langue et des expressions, de leur évolution et de leur disparition (p. 16, p. 18). La langue est marquée par un impensé social (le racisme) et joue le rôle de marqueur social (les expressions populaires). Citons ici le Trésor de la langue française (TLF) pour :
« vieux kroumir » :
A- au plur. Population de la frontière algéro-tunisienne, habitant de la Kroumirie, et réputée autrefois pillarde.
– par analogie, au singulier ou au pluriel, argot, vieilli : voyou, malotru (France 1907) [Tel fut le tour que je jouai à une vieille amoureuse avare :] est-ce que le vieux kroumir était d’un âge à s’envoyer (…) autant dire gratis, quoi, un greluchon balancé comme les amours [?] (M. Stéphane, Ceux du trimard,1928, p. 154. 1881 argot « sale individu » ((Le Tam-Tam, 1er mai)
B- chausson bas en basane porté à l’intérieur des sabots de bois pour en atténuer le frottement.
« faire du chambard » :
Argot de Polytechnique, vieux : Chahut organisé par les anciens au détriment des nouveaux dont ils brisaient les meubles, dispersaient les effets, etc (1881, argot des polytechniciens : » saccage en manière de brimade »). Déverbal de chambarder.
Par extension, familier : grand désordre, tumulte, vacarme
Au figuré : Bouleversement, renversement d’un ordre établi. Synonyme : chambardement
L’expression « ça valait mille ! » n’est répertoriée ni dans le Dictionnaire historique de la langue française dirigé par Alain Rey, ni dans le Dictionnaire du français non conventionnel (Hachette, Jacques Cellard et Alain Rey), ni dans le Grand Robert de la langue française (ni à « mille », ni à « valoir »). En revanche on trouve dans le TLF :
« Tu es un petit ballot ! »
A-petite balle de marchandises ou de vêtements et, par extension, colis emballé. Faire son ballot : partir
B-au figuré, familier
Vieilli (en parlant d’une chose) : le point, l’objet qui est propre à quelqu’un
Par analogie, populaire (en parlant d’une personne) : lourdaud, imbécile (1884)
C’est aussi une histoire des marques disparues, avec le paradoxe que ce qui semble le plus extérieur (« le shampoing Dulsol, le chocolat Cardon, le café Nadi », p. 19) fonctionne finalement « comme un souvenir intime, impossible à partager ».
Les chansons se situent à la croisée du collectif et de l’intime, de ce qu’on partage avec les autres en le vivant sur le mode le plus singulier et le plus personnel. La chanson de Dalida (« mon histoire c’est l’histoire d’un amour », en italiques, p. 17) prendra une résonnance particulière pour les lecteurs de Mémoire de fille en 2016 : cette chanson de 1957 accompagne le délitement de « la fille de 58 » après l’expérience sexuelle désastreuse de la colonie et l’amour fou éprouvé pour le moniteur chef30. Bruno Blanckeman a bien montré dans son article « La chanson, les chansons », que « la démarche littéraire d’Annie Ernaux accorde […] une place prépondérante à la chanson » :
Agent métonymique, celle-ci participe à la reconstitution d’ensembles objectifs et d’atmosphères subjectives : avec une chanson, des signes bruts du réel social et intime se fixent. Principe métronomique, elle rend possible la mesure du temps qui subvertit ses marqueurs chronologiques : avec une chanson, du temps s’inverse, le temps déborde. Puissance métabolique, la chanson, en prise sur le pulsionnel, saisit les états seconds et les métamorphoses de la personnalité : avec une chanson, le sujet s’éclate, à même sa propre partition31.
Le cinéma joue un rôle similaire de « partage du sensible » (Jacques Rancière32 ) : vu par plusieurs spectateurs, il fait sens pour chaque individu de manière singulière. C’est ce qu’a bien analysé Fabien Gris dans son travail sur « la cinémathèque d’Annie Ernaux » : « Chaque film émane de l’histoire intime et collective » ; il y a une « intrication de l’objet cinématographique avec l’histoire collective et individuelle » et une « relation spéculaire entre l’œuvre et ses spectateurs »33. À propos des allusions à des films, il parle d’« identification oblique » : « la référence filmique offre moins une altérité thérapeutique qu’une image qui participe de l’éclaircissement »34.
L’événement historique est perçu dans ses répercussions intimes : il est vécu universellement et aussi individuellement : « que faisiez-vous le 11 septembre 2001 ? » (p. 16). L’attaque terroriste des Tours jumelles à Manhattan, dont on a pu dater le véritable début du XXIe siècle (comme on date de 1914 le début du XXe siècle), est un événement mondial et une expérience intime, un marqueur de mémoire, puisque chacun se souvient précisément de ce qu’il faisait au moment où il a appris cette tragédie. Cette idée est développée p. 219-221.
L’évocation des camps, à propos d’une exposition au palais de Tokyo (musée d’art moderne de la ville de Paris) (p. 14) produit un contraste très fort avec la vignette précédente (les Zattere à Venise, dans un souvenir très doux) et la vignette suivante qui dit ce qu’était le quotidien de l’enfant au même moment que la tragédie de la Shoah (« les cabinets installés au-dessus de la rivière »).
L’histoire, c’est aussi celle portée par les faits divers et ce qu’ils révèlent d’une société et d’une époque. L’allusion à l’affaire Dominici (p. 14), un des grands faits divers de la France des années 50, qui eut lieu dans la nuit du 4 au 5 août 1952, renvoie à cette année détaillée dans La Honte, pour retrouver l’enfant qu’elle était après la tentative de meurtre de sa mère par son père35. Il s’agit donc là d’un double tabou puisque le meurtre renvoie au fait divers, mais aussi à la vie intime et familiale. Dans la vignette, la référence est faite à la fillette assassinée, à laquelle l’enfant de douze ans a pu s’identifier.
Des allusions à la vie de l’auteure et un travail d’écrivain : la preuve par l’œuvre et par l’écriture
On pourrait reprendre ici une belle formule de Michèle Bacholle-Bošković : « Les Années reflète les Annie-s36.» La première vignette ne contient pas de première personne. Le souvenir est pourtant porté par une conscience et un sujet. C’est le toponyme Yvetot qui renvoie bien à l’auteur, comme l’indique la notice au début du livre : « Annie Ernaux est née à Lillebonne et elle a passé toute sa jeunesse à Yvetot, en Normandie. » Même sans cette notice, c’est une information que le lecteur de l’œuvre d’Annie Ernaux possède sans doute déjà. L’effet est le même avec le toponyme Lillebonne (p. 14) et le souvenir intime et scatologique des premières années qui dit un milieu social très pauvre. Le livre est aussi une autobiographie sociale, ce qu’on appelle après l’invention du mot par Annie Ernaux une « auto-socio-biographie ». Dans L’Écriture comme un couteau en 2003, elle explique : « La Place, Une femme, La Honte et en partie L’Événement sont moins autobiographiques que auto-socio-biographiques. » La question des transfuges est évoquée avec l’insécurité linguistique de l’étudiante, ou de la lycéenne, qui utilise des expressions littéraires qui ne sont pas celles de son milieu d’origine (p. 15), et la perception des études comme facteur d’ascension sociale, qui permettent le passage d’un milieu dominé à un milieu dominant, et l’illusion de « triompher de la complexité du monde » puisque « l’examen passé, [les mots] partaient de soi plus vite qu’ils n’y étaient entrés » (p. 18). Toute cette problématique de l’auto-socio-biographie se répercute bien évidemment sur le mélange assumé de références à la culture légitime et à la culture populaire, comme on l’a déjà montré, sur un refus de choisir entre ces deux systèmes et de se maintenir dans un « entre-deux » sans doute douloureux, mais qui constitue la seule façon de ne pas trahir. Comme l’écrit Fabrice Thumerel : « Cette bipartition [entre culture légitime et culture populaire] structure le système de référence propre à chacun de ses textes37. »
Thérèse Raquin, souvenir cinématographique et visuel, film de Marcel Carné de 1953, raconte l’histoire d’une femme et son amant qui tuent le mari de la femme. Cette violence du meurtre, transcendée par la beauté du visage sur l’affiche, fait écho à la scène qui ouvre La Honte, le dimanche 15 juin 195238.
La naissance du fils aîné, souvenir le plus intime, apparaît entre deux vignettes plus anecdotiques qui renvoient à l’air ou à la rumeur du temps : « le nouveau-né brandi en l’air comme un lapin décarpillé dans la salle d’accouchement de la clinique Pasteur de Caudéran » (p. 13) a déjà été évoqué, pratiquement dans les mêmes termes, dans le roman La Femme gelée (1981) : « L’éclair d’un petit lapin décarpillé, un cri. Souvent après, je me suis repassé le film, j’ai cherché le sens de ce moment39. » L’adjectif est sans doute un régionalisme du patois normand pour désigner un lapin à qui on a enlevé la peau, comme on peut le comprendre plus loin : « Faire tout avec brusquerie, qu’il s’agisse d’attraper un lapin par les oreilles » (p. 32). Toute la vignette linguistique sur les calembours et « jeux de mots » de « la tribu ancienne » (p. 17-18) renvoie aussi à cette période de la vie familiale étouffante décrite dans ce roman. Mais le calembour permet aussi de faire référence à des événements très douloureux, sur un mode beaucoup moins dramatique. « Le comble de la religieuse est de vivre en vierge et de mourir en sainte » (p. 17) et « qu’est-ce que le mariage ? un con promis » (p. 18) sont des blagues qui appartiennent au troisième secteur et prennent une dimension plus grave si l’on songe à L’Evénement dans lequel Annie Ernaux fait le récit de son avortement clandestin en janvier 1964. Ils constituent une allusion aux tabous de l’époque (poids de la religion pour la mère), à la nécessité d’arriver vierge au mariage, à la honte qui pesait sur celles qu’on appelait encore « les filles-mères ». Toutes ces questions seront aussi retravaillées en 2016 dans Mémoire de fille, dont la lecture fait résonner de manière plus douloureuse la référence à Juliette Greco (p. 13) ou à la langue anglaise (p. 18)40.
On a déjà évoqué la figure de la mère qui apparaît dès la cinquième vignette où est abordée la maladie d’Alzheimer dont souffrait aussi une pensionnaire de la maison de retraite où elle a séjourné à la fin de sa vie. Tout ce passage (p. 12) se lit avec comme arrière-plan et comme sous-texte Une femme et « Je ne suis pas sortie de ma nuit ». Ici l’autobiographie peut être impersonnelle parce que l’œuvre a été personnelle. L’auteure peut s’effacer derrière son œuvre. C’est une sorte de vignette ventriloque. Annie Ernaux a parlé de « la preuve par corps » à propos de sa lecture de l’œuvre sociologique de Pierre Bourdieu : « La preuve par corps, c’est cela, la ratification de la théorie par la mémoire la plus enfouie et la plus douloureuse41. » On peut parler de « la preuve par l’œuvre » pour cette ouverture déconcertante qui convoque secrètement toute une bibliothèque (et une cinémathèque), et fait jouer à plein les effets d’intertextualité interne, qu’on appelle aussi intratextualité. Cette « preuve par l’œuvre » vaut pour l’œuvre déjà écrite, mais se confirme par l’œuvre postérieure à 2008 ; cela joue dans les deux sens, le passé et le futur, l’œuvre écrite et l’œuvre à venir, comme on l’a vu pour Mémoire de fille ou Le Jeune Homme, mais qui vaut aussi pour Retour à Yvetot (2013) qui fait écho à la vignette suivante (la fête foraine, p. 12) de manière plus classiquement autobiographique, comme un retour sur une scène primitive et traumatique : « C’est l’image d’un chaos que j’ai reçue le premier jour de mon arrivée à Yvetot avec mes parents. […] Je ne sais si cette conjonction de la fête et des décombres est à l’origine de l’espèce d’effroi et d’attirance que provoquera toujours en moi la fête foraine […]. Mais ce dont je suis certaine, c’est que cette première image m’a laissé une impression ineffaçable42. » Cette vignette avait déjà fait l’objet d’un récit plus classique, à la première personne dans L’Écriture comme un couteau en 2003 :
Il y a quelque chose d’irréel à raconter une expérience d’écriture somme toute immontrable. Par exemple dans cette image indélébile d’un souvenir qui vient de faite surface, une fois encore.
C’est juste après la guerre, à Lillebonne. J’ai quatre ans et demi environ. J’assiste pour la première fois à une représentation théâtrale, avec mes parents. Cela se passe en plein air, peut-être dans le camp américain. On apporte une grande boîte sur la scène. On y enferme hermétiquement une femme. Des hommes se mettent à transpercer la boîte de part en part avec de longues piques. Cela dure interminablement. Le temps de l’effroi dans l’enfance n’a pas de fin. Au bout du compte, la femme ressort de la boîte intacte43.
La vignette sur « le russe appris en six mois pour un Soviétique » se lit sur le souvenir de Passion simple et de Se perdre, où Annie Ernaux a utilisé de manière très transgressive « les mots d’homme qu’on n’aimait pas, jouir, branler » (p. 18) d’une vignette située cinq items plus loin dans la liste. On a vu déjà comment le souvenir du fait divers de Lurs renvoie à La Honte et à la scène inaugurale de tentative de meurtre et de violence qui sépare radicalement l’enfant du milieu scolaire où elle se trouve de fait déplacée. Dans l’évocation apaisée et sensible des Zattere (p.13), on peut peut-être percevoir une référence à la relation avec son amant W et à la fin du récit de sa jalousie dans L’Occupation (2002) : « Je suis retournée à Venise cet été. J’ai revu le campo San Stefano, l’église San Trovaso, le restaurant Montin et naturellement les Zattere, tous les lieux où je suis passée avec W. Il n’y a plus de fleurs sur la terrasse devant la chambre que j’avais occupée avec lui dans l’annexe de l’hôtel La Calcina, les volets sont clos44. » Toute cette liaison amoureuse et scandaleuse avec un homme de trente ans son cadet est au cœur du dernier livre publié par Annie Ernaux, Le Jeune Homme. La référence cryptée à celui qui deviendra son mari et à l’été 1963 s’éclaire a posteriori à la lecture du photo-journal qui ouvre Écrire la vie (2011).
Un souvenir très intime et sexuel est caché derrière une adresse à Venise et une situation temporelle floue (« dans les années soixante »). L’intime fait ainsi l’objet d’un codage que le lecteur ne peut décoder que par sa lecture préalable ou postérieure de l’œuvre autobiographique de l’auteur. C’est le photojournal ouvrant Écrire la vie (p. 91) qui donne a posteriori les clés de cette vignette, dans une notation de septembre 1988 : « Ce soir, naturellement, dans la lumière grisée, l’hôtel-pension de 1963 : 90 A, Rio del Saloni […], il me semble que tout est conservé, c’est-à-dire moi, un soir d’août, et les rideaux bougeaient doucement, blancs, un peu déchirés, raccommodés. Sur la place, des jeunes chantaient […]. Il y a vingt-cinq ans, moi, toujours le même, engendré mille fois de ce moi, cependant45. » On y trouve deux autres allusions, qui prouvent l’importance de ce lieu :
En face, l’hôtel fermé, cette porte close, 90 A, la fontaine, les arcades. Plus tard, je longe les Zattere, déserts, le soir tombe […]. J’ai marché là, il y a 23 ans, avec la plus grande sensation de bonheur. Je marche aujourd’hui. Je marche aujourd’hui et rien n’est perdu. Je n’ai pas eu moins que ce que je désirais et je suis toujours moi. (Septembre 1986)
et les amants de Venise (Philippe et moi) dans cette pensione des Zattere, pleine de lierre (4 janvier 1993).
L’allusion à Marianne de ma jeunesse est à peine décryptée : « La vraie récompense du bac aurait été de vivre une histoire d’amour ressemblant à Marianne de ma jeunesse. En attendant, on flirtait, retrouvant en cachette celui qui descendait un peu plus bas à chaque rendez-vous, et qu’il faudrait quitter bientôt parce qu’on n’allait pas faire l’amour pour la première fois avec un garçon que les copines trouvaient rougeaud. » (p. 74) Il faudra attendre Mémoire de fille pour comprendre la portée de cette référence et son grand investissement fantasmatique, qui avait aussi été au cœur de Ce qu’ils disent ou rien (1977).
Il faudrait enfin dire un mot des « flaques lumineuses d’un dimanche d’été » insérées dans « toutes les images crépusculaires des premières années » et celles des « rêves » qui sont aussi bien des cauchemars « où l’on marche sur des routes indéfinissables » (p. 14). Annie Ernaux cherche là à rendre perceptible ce qui est le plus impalpable et fuyant, à le rendre dans sa « vérité sensible » qu’il s’agit pour elle de « saisir » et de « mettre au jour46». Cette vignette a un lien évident avec le souvenir précédent (ce qui est très rare dans cette composition) : « les images crépusculaires des premières années » constituent presque un oxymore. Le crépuscule est la fin de la journée, et non le début de la vie. Mais ces images sont si floues, si lointaines, qu’elles semblent « crépusculaires ». Ce « dimanche d’été » est peut-être le dimanche d’août 1950 où elle a appris qu’elle avait eu une sœur morte avant sa naissance, comme elle le raconte dans L’Autre fille (2011)47. Elle reconstruit même qu’il s’agit du 27 août 1950, date à laquelle l’écrivain Cesare Pavese s’est donné la mort dans une chambre d’hôtel à Turin.
Tous ces « arrêts sur mémoire » (p. 252) sont le signe d’un « refus de la forme linéaire du récit », comme l’explique Aurélie Adler dans son article « Les Années, livre-somme retissant les fils de l’œuvre48 » :
Annie Ernaux semble avoir fait siennes les critiques qu’adresse Pierre Bourdieu à « l’illusion biographique » qui repose sur le présupposé selon lequel « la vie est une histoire 49, suivant un continuum, régie par un telos. […] Dans Les Années, l’intratextualité est mise au service d’un agrandissement de la perspective historique et sociale. […] En rejointoyant les livres antérieurs, Les Années réussissent le tour de force qui consiste à édifier une figure d’auteure « maîtresse du temps » (« Écrire, c’est toujours au présent », entretien, p. 213), tout en marginalisant le sujet réel50.
Il s’agit bien de « rendre la dimension vécue de l’Histoire » (p. 251), ce qui permet de construire une identité. Comme l’explique Annie Ernaux dans un entretien avec Fabien Arribert-Narce, « la seule continuité, ou forme d’identité qu’[elle pourrait] se reconnaître, c’est la mémoire51». Tous ces éclats de mémoire liminaires peuvent être lus comme un « dictionnaire palimpseste » de l’œuvre antérieure et même à venir. C’est la formule proposée par Laurent Demanze52, très séduisante, même si cette ouverture ne suit pas l’ordre alphabétique qu’on attend strictement d’un dictionnaire.
La preuve par l’œuvre, c’est aussi la preuve par le style et l’écriture. Ici Annie Ernaux combine l’acquis de ses œuvres autobiographiques et de ses ethnotextes comme Journal du dehors ou La Vie extérieure (2000) qui sont de nature « factographique », comme l’a étudié Marie-Jeanne Zenetti dans sa thèse53. Les entrées des journaux extimes annoncent peut-être ce choix d’une composition par liste, qui sera reprise dans Mémoire de fille, composé comme une sorte d’inventaire pour retrouver « la fille de 58 ». L’auteure se livre ici à un véritable travail d’écrivain, visible notamment dans l’art subtil et millimétré du montage des items entre eux, comme nous en avons donné quelques exemples. L’analyse de Marie-Pascale Huglo sur ce travail du montage est particulièrement éclairante :
À l’impératif temporel de tout sauver avant qu’il soit trop tard répond l’impératif esthétique d’une articulation, d’une syntaxe, d’une conduite. Le dispositif formel, sur lequel Ernaux insiste dans les passages consacrés à son livre, se rapproche du cinéma compris comme arrimage d’un double temps : temps articulé, produit par le montage, et temps authentique de l’enregistrement. L’esthétique cinématographique serait donc, aussi, une appropriation littéraire du montage, particulièrement perceptible dans les énumérations, les séries de souvenirs (politiques, cinématographiques, etc.) et la reprise de situations similaires (le repas familial par exemple) d’une époque à l’autre, l’alternance des « arrêts sur mémoire » et du défilement ou encore, au début et à la fin du livre, dans la succession non chronologique d’images flottantes chargées d’affect, émanant d’une mémoire atemporelle, elliptique, non encore gouvernée par le décompte du temps. La capacité à « monter » le temps dans une écriture concertée sans perdre de vue son écoulement incessant fait toute la force de ce livre54.
Ce travail d’écrivain se manifeste aussi dans les réflexions sur la langue, les expressions, avec une forte influence de la sociolinguistique. Annie Ernaux s’interroge également sur « les métaphores si usées qu’on s’étonnait que d’autres osent les dire », ce qui est bien une préoccupation d’écrivain, et entre en écho avec ce qu’elle déclare dans Retour à Yvetot : « Mon souhait est d’écrire dans la langue de tous55. » Cela la renvoie aussi à sa situation de transfuge sociale pour qui « rien ne va de soi dans la vie sociale, non plus dans l’écriture », comme elle l’écrit dans L’Atelier noir, son journal d’écriture56. Les figures de style sont rares dans son écriture et on est d’autant plus sensible à cette comparaison, qui définit la mémoire comme un geyser, pour décrire « les paroles attachées pour toujours à des individus comme une devise – à un endroit précis de la nationale 14 » et qui « sautent de nouveau à la figure, comme les jets d’eau enterrés du palais d’Été de Pierre Le Grand qui jaillissent quand on pose le pied dessus » (p. 16). La comparaison elle-même est autobiographique, elle fait œuvre, elle est expérience vécue du corps. L’attention de l’auteure se porte aussi sur les expressions familières comme « pédaler à côté du vélo » (p. 18), que l’on retrouvera plus loin : « est-ce qu’on n’était pas en train de pédaler à côté du vélo, mais l’école de toute manière servait-elle à quelque chose » (p. 113) ou « les expressions datées ».
Dans cette ouverture, l’emploi des temps est particulièrement travaillé. On a vu déjà l’alternance entre le futur et l’imparfait. Il faudrait dire aussi un mot du présent, temps de l’aphorisme, comme dans cette réflexion qui porte une grande mélancolie : « Comme le désir sexuel, la mémoire ne s’arrête jamais. Elle apparie les morts aux vivants, les êtres réels aux imaginaires, le rêve à l’histoire. » (p. 15) Ainsi s’inscrit la nécessité de passer outre les tabous sexuels qui sont aussi porteurs de mémoire. On peut aussi en conclure que le réel et l’imaginaire sont autant vecteurs d’histoire, sans prédominance de l’un sur l’autre. Les représentations imaginaires d’une époque en disent autant sur l’air du temps que les événements historiques.
Dans ce travail d’écrivain, on sera sensible également aux items plus longs de cette liste, assez rares et surtout aux moments conclusifs, qui, associés à la force de la liste et de sa capacité d’évocation, contiennent une puissance lyrique aussi contenue que prodigieuse. La mémoire se relance à chaque item de la liste, d’où la grande importance des blancs typographiques entre chaque biographème, et le rôle de la juxtaposition et de l’écriture de l’inventaire dans cette ouverture qui joue beaucoup des effets de rupture.
Un refus de la première personne
On ne trouve pas de complément d’agent pour les verbes de perception. Ainsi il n’y a pas de complément d’agent dans le troisième biographème : « l’homme croisé sur un trottoir de Padoue, l’été 90 » (p. 11). La première personne est sous-entendue mais pas grammaticalement indiquée. Pourtant il s’agit bien du regard de l’auteure et de sa mémoire, de son flux de conscience. Cela vaut aussi pour les perceptions auditives : « les expressions hors d’usage, réentendues par hasard » (p. 16). La conscience a enregistré par la vision, puis par l’ouïe, ce qui indique peut-être ici l’influence du modèle de la statue de Condillac. On trouve aussi un biographème sans première personne, avec l’emploi polyvalent du pronom indéfini « on » qui remplace le pronom « je » : « quand on pose le pied dessus » (p. 16). L’évocation des « phrases recopiées sur des carnets à l’adolescence » (p. 16) indique un intérêt pour la langue qui était peut-être déjà celui d’un écrivain, mais on note le refus du récit de vocation, qui rejoint celui de la forme linéaire du récit. Le déterminant indéfini « des » confirme ce refus de la première personne (pas le déterminant possessif « mes »).
Les constructions impersonnelles participent de ce refus de la première personne, comme dans « les phrases terribles qu’il aurait fallu oublier » (p. 16) : la tournure grammaticale impersonnelle et le verbe défectif « falloir », qui n’existe pas à la première personne, permettent de dire le trauma intime de tout le monde, comme s’il s’agissait de phrases que chacun pouvait remplacer par celles qui l’ont dévasté. Ici l’insulte « tu ressembles à une putain décatie » (p. 16) sera reprise et contextualisée dans Mémoire de fille57. Dans l’expression « battre le cœur et mouiller le sexe », le plus intime est dit dans les formes les plus impersonnelles, comme dans les exemples de grammaire. On trouve une nouvelle tournure impersonnelle dans « il n’en restait » (p. 18) ; « il ne sortira rien » (p. 19) au dernier paragraphe est une construction doublement impersonnelle.
Le « je » se dissout ou se dilate dans le pronom indéfini « on », ce qui permet de construire des biographèmes sans première personne, comme dans le paragraphe conclusif sur la disparition des images (p. 15) : « l’on figurait en gamine » permet d’effacer la première personne, sans renoncer à l’autobiographie et au récit de filiation ; « notre mémoire » renvoie bien à une première personne, mais du pluriel, ce qui indique clairement le projet d’une autobiographie collective. Cet effacement de la première personne aboutit à l’aphorisme final qui prend une valeur universelle, également grâce au présent de vérité générale : « Comme le désir sexuel, la mémoire ne s’arrête jamais. » L’insécurité linguistique des transfuges est vécue intimement, mais aussi analysée comme une expérience collective : « les tournures que d’autres utilisaient avec naturel et dont on doutait d’en être capable aussi un jour » (p. 15).
Dans l’évocation des rêves, « les parents » (p. 14) ressuscitent et non « mes parents », et même le sujet rêvant, sa part la plus intime et individuelle, n’est pas exprimé à la première personne : « l’on marche sur des routes indéfinissables » (p. 14). Même les rêves et les cauchemars peuvent se partager, ne sont pas aussi individuels et singuliers qu’on pourrait le croire, comme l’analyse Bernard Lahire dans son étude sur la sociologie des rêves58.
Il faut également analyser la place de la première personne dans les citations, notamment dans l’histoire drôle, où la conscience apparaît comme un petit théâtre intime et collectif. La réplique « oui je sais bien mais je ne sais pas tricoter les manches » est donnée sans guillemets ni deux points, tel un flux, dans un refus des contraintes et des marques littéraires du dialogue. Les formes aphoristiques des citations (p. 17) privilégient le présent de vérité générale, caractéristique de la maxime, comme dans celles de Sartre, Mme de Staël, Proust, Renouvier. Le cas est un peu différent avec la citation de Péguy où la première personne est portée secrètement par le lyrisme de l’invocation « ô » et du thème maternel et funèbre. On trouve la première personne dans la chanson de Dalida, « mon histoire c’est l’histoire d’un amour » (p. 17) mais en italiques : il s’agit d’une première personne que l’auteure pourrait reprendre à son compte, comme elle le fera explicitement dans Mémoire de fille :
Dès que j’entends dans le métro ou le RER les premières notes de la chanson Mon histoire c’est l’histoire d’un amour jouée, quelquefois chantée en espagnol, je suis à la seconde évidée de moi-même. Jusqu’ici – Proust est passé par là – je pensais que durant trois minutes je redevenais réellement la fille de S. Mais ce n’est pas elle qui resurgit, c’est la réalité de son rêve, la réalité puissante de son rêve que les mots chantés par Dalida et Dario Moreno étendaient à l’univers entier avant qu’il ne soit recouvert, refoulé, par la honte de l’avoir eu59.
Beaucoup de gens pourraient reprendre cette première personne de la chanson à leur compte ; c’est même le propre des chansons, et la raison pour laquelle on appelle ce genre « chanson populaire ». La première personne se trouve donc diluée ou dilatée presque à l’infini. On trouve également une première personne, mais dans un titre de film, Marianne de ma jeunesse (p. 19), là encore en italiques, ce qui produit le même effet, plus discret que dans la chanson de Dalida ; cela sera rendu plus évident après la parution de Mémoire de fille : « Tout en elle est désir et orgueil. Et : Elle attend de vivre une histoire d’amour60. »
On peut également étudier la première personne des autres, quand elle renvoie aux amants et non à l’auteur : « les phrases des hommes dans le lit la nuit, Fais de moi ce que tu veux, je suis ton objet » (p. 16). Elle apparaît également dans le langage recuit des calembours de la « tribu ancienne » (p. 18) : « c’est assez je cache à l’eau mon dauphin » (p. 17).
Le refus de la première personne est encore plus net quand elle est employée dans la négation, comme dans le dernier paragraphe conclusif sur l’effacement des mots. La phrase averbale « Ni je ni moi » (p. 19) constitue une clé essentielle de la lecture du texte. Il s’agit du seul moment où ils pourraient apparaître et être assignés à sa personne et à son identité, mais elle le refuse clairement. Le moi se dilue et est voué à disparaître, comme il disparaît déjà dans le texte : un « prénom », puis « masse anonyme ». Ce paragraphe produit un effet d’ardoise magique où tout s’efface. Il est marqué par un très grand lyrisme malgré l’absence de première personne. On peut même dire que le lyrisme, loin de ses procédés canoniques et repérables, se trouve même décuplé par cette dépersonnalisation. L’expression « une table de fête » annonce les scènes de repas qui vont structurer le déroulement du livre. Plus globalement, ce paragraphe qui clôt le prologue annonce la propre mort de l’auteure, ce qui confère au livre qu’on va lire une dimension testamentaire, et l’inscrit dans le flot et le flux inexorables des années où s’inscrit notre propre disparition.
Conclusion
Dès cette ouverture, le lecteur se trouve saisi par une forme renouvelée de l’autobiographie et de l’élégie, conçue comme une évocation du temps qui passe et détruit tout. Il reconnaît là des thèmes constitutifs de la littérature retravaillés par une mise en forme singulière et un refus d’éliminer la culture populaire du milieu d’origine. Cette écriture factographique permet peut-être de concevoir l’autobiographie comme une possibilité d’encyclopédie vivante. L’ouverture fonctionne comme une sorte de fleur de thé qui va s’ouvrir et se diffuser dans la suite du livre et un précipité de toute l’œuvre. « La liste des souvenirs intimes, biographèmes de la mémoire, dressé au début et à la fin du livre, dévoile ainsi une singularité irréductible à l’absorption par le collectif », comme l’écrit Aurélie Adler61. Nous sommes confrontés à une sorte de mémoire en archipel, à des éclats mémoriels tels que pourrait chercher à les reconstituer une personne souffrant de la maladie d’Alzheimer, qui n’aurait pas cependant perdu son humour. Il s’agit de l’ouverture d’une œuvre matricielle dans l’ensemble des livres d’Annie Ernaux, aussi bien par ce qu’elle reprend des récits déjà écrits et publiés, que par ce qu’elle projette et annonce des récits à venir. On pourrait souhaiter la réalisation d’une application numérique des Années comme celle de Candide proposée par la BnF en 201262. Le livre pourrait se déplier dans toutes ses références intertextuelles et intersémiotiques (picturales, cinématographiques, publicitaires etc.), mais aussi intratextuelles. Il s’agirait d’une sorte d’encyclopédie réalisée alors qu’elle est seulement évoquée et virtuelle dans le livre. Ce serait à la fois un document et un monument, un outil de travail et un hommage. C’est aux générations qui viennent à la réaliser et j’espère vivre assez longtemps pour en voir le résultat, et pouvoir me dire que je n’ai pas perdu mon temps et mon énergie si j’ai insufflé ce désir à de plus jeunes que moi, capables techniquement et littérairement de réaliser ce rêve. On peut comprendre, en lisant cette ouverture et cette œuvre, le désir de devenir acteur, de devenir un corps qui a la mémoire précise de l’œuvre et l’incarne en la sachant par cœur, comme à la fin de Fahrenheit 451, roman d’anticipation dystopique de Ray Bradbury63 publié en 1953, et adapté au cinéma par François Truffaut en 1966.
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NOTES
- Annie Ernaux, L’Atelier noir, Paris, éditions des Busclats, 2011, p. 63.[↩]
- Ibid., p. 55-56.[↩]
- Entretien sur Flaubert avec Françoise Simonet-Tenant, dans Robert Kahn, Laurence Macé, Françoise Simonet-Tenant (dir.), Annie Ernaux l’intertextualité, PURH, 2015, p. 23-30, ici p. 25. Voir Les Années (Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2010), où elle évoque « la licence de lettres modernes », elle a lu « tout Flaubert ». Nous renverrons directement aux pages de cette édition des Années dans le corps du texte.[↩]
- Ibid., p. 29. Voir Les Années, op. cit., p. 249 : « C’est maintenant qu’elle doit mettre en forme par l’écriture son absence future, entreprendre ce livre, encore à l’état d’ébauche et de milliers de notes […] ».[↩]
- Flaubert, Correspondance, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, t. II, p. 519.[↩]
- Jean-Jacques Rousseau, préambule du manuscrit de Neuchâtel, écrit au plus tôt en 1764, publié au début du XXe siècle, remplacé dans le texte définitif des Confessions, par une version plus brève. Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, éd. J. Voisine, Paris, Garnier, 1980, var. c, p. 790.[↩]
- Annie Ernaux, Mémoire de fille, Paris, Gallimard, 2016, p. 18.[↩]
- (Avant-texte, 1989, liasse 1, folio 8 ter, cité par Fabrice Thumerel dans « Les Années ou les Mémoires du dehors », dans Francine Best, Bruno Blanckeman, Francine Dugast-Portes (dir.), Annie Ernaux : Le Temps et la Mémoire, Paris, Stock, 2014, p. 229-243, ici p. 235.[↩]
- Annie Ernaux, L’Atelier noir, 5 juillet 1990, op. cit., p. 83.[↩]
- Fabrice Thumerel, art. cit., p. 231.[↩]
- Ibid.[↩]
- Annie Ernaux, La Honte, Paris, Gallimard, 1997, p. 132.[↩]
- Fabrice Thumerel, art. cit., p. 232.[↩]
- Annie Ernaux, L’Atelier noir, op. cit., p. 101.[↩]
- Maya Lavault, « Annie Ernaux, l’usage de Proust », dans R. Kahn, L. Macé, Fr. Simonet-Tenant (dir.), Annie Ernaux l’intertextualité, op. cit., p. 33-44, ici p. 44.[↩]
- François Le Lionnais, « Le Troisième Secteur » [1970], dans Oulipo, La Bibliothèque Oulipienne, vol. 3, Paris, Seghers, 1990, p. 172, cité par Véronique Montémont, « La chambre d’échos », dans R. Kahn, L. Macé, Fr. Simonet-Tenant (dir.), Annie Ernaux l’intertextualité, op. cit., p. 162.[↩]
- Annie Ernaux, « Littérature et politique », [Nouvelles nouvelles, n° 15, 1989], dans Écrire la vie, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2011, p. 549-551, cit. p. 550.[↩]
- Jean-Paul Sartre, Les Chemins de la liberté, t. I, L’Âge de raison, Gallimard, 1945, p. 53 : « Exister c’est ça, se boire sans soif. »[↩]
- Voltaire, « Le Pauvre Diable » [1758], dans Œuvres complètes de Voltaire, Contes en vers, Satires, Épîtres, Poésies mêlées, Garnier frères, 1877, p. 108 : « Il compilait, compilait, compilait. »[↩]
- Germaine de Staël, De l’Allemagne [1813], 2e éd., H. Nicolle, Mame frères, 1814, t. III, p. 234 : « et la gloire elle-même ne saurait être pour une femme qu’un deuil éclatant du bonheur. »[↩]
- Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, 2e partie [1919], dans À la recherche du temps perdu, t. II, éd. J.-Y. Tadié, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade, 1988, p. 1-306, cit. p. 4 : « C’est pourquoi la meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l’odeur de renfermé d’une chambre ou dans l’odeur d’une première flambée […]. »[↩]
- Jean-Jacques Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques, Dialogues [posth.], dans Œuvres complètes, t. I, éd. B. Gagnebin et M. Raymond, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1964, p. 657-992, cit. du Deuxième Dialogue, p. 813. Les italiques sont de Rousseau.[↩]
- Charles Péguy, « Ève », Cahiers de la quinzaine, 4e cahier de la 15e série, 1914, p. 13 : « Ô mère ensevelie dans le premier jardin ».[↩]
- Julien Benda, La Trahison des clercs, Paris, Grasset, 1927, p. 7. Citation de Charles Renouvier, Philosophie analytique de l’histoire, t. IV, p. 742 : « le monde souffre du manque de foi en une vérité transcendante ».[↩]
- Annie Ernaux, Mémoire de fille, op. cit., p. 13, 85, 105, 129-130 (la langue anglaise), 133-134, 144-145, 150-151 (Tally Ho Corner).[↩]
- Georges Sadoul, Dictionnaire des films, Paris, Le Seuil, coll. « Microcosme », 1965.[↩]
- Annie Ernaux, Mémoire de fille, op. cit., p. 79 : « j’ai désincarcéré la fille de 58, cassé le sortilège qui la retenait prisonnière depuis plus de cinquante ans dans cette vieille bâtisse majestueuse longée par l’Orne, pleine d’enfants qui chantaient C’est nous la bande des enfants de l’été ».[↩]
- Annie Ernaux, « De l’autre côté du siècle », La Nouvelle Revue française, n°550, juin 1999, p. 96-100, citation p. 100.[↩]
- Nathalie Froloff, « Vie et destin : “le livre impossible à écrire”? », dans R. Kahn, L. Macé, Fr. Simonet-Tenant (dir.), Annie Ernaux l’intertextualité, op. cit., p. 95-108, ici p. 106.[↩]
- Annie Ernaux, Mémoire de fille, op. cit., p. 13, 74.[↩]
- Bruno Blanckeman, « La chanson, les chansons », dans Fr. Best, Br. Blanckeman, Fr. Dugast-Portes (dir.), Annie Ernaux : Le Temps et la Mémoire, op. cit., p. 442-456, ici p. 455.[↩]
- Jacques Rancière, Le Partage du sensible : esthétique et politique, La fabrique éditions, 2000.[↩]
- Fabien Gris, « La cinémathèque d’Annie Ernaux », dans Annie Ernaux l’intertextualité, op. cit.,p. 137-151, ici p. 141-142.[↩]
- Ibid., p. 145.[↩]
- Annie Ernaux, La Honte, op. cit., p. 21-23.[↩]
- Michelle Bacholle-Bošković , « L’intersémiotique chez Annie Ernaux : un dialogue au-delà de l’écriture », dans R. Kahn, L. Macé, Fr. Simonet-Tenant (dir.), Annie Ernaux l’intertextualité, op. cit.,p. 123-134, ici p. 129.[↩]
- « Avant-propos. Annie Ernaux : une œuvre de l’entre-deux », Annie Ernaux, une œuvre de l’entre-deux, Fabrice Thumerel (dir.), Arras, Artois Presses Université, 2004, p. 11-36, cit. p. 27.[↩]
- Annie Ernaux, La Honte, op. cit., p. 13-15.[↩]
- Annie Ernaux, La Femme gelée, Paris, Gallimard, 1981, p. 141. Je souligne.[↩]
- Annie Ernaux, Mémoire de fille, op. cit., p. 13, 85, 105, 129-130 (sur l’anglais), 28, 51 (sur Gréco).[↩]
- Annie Ernaux, « La preuve par corps », dans Jean-Pierre Martin (dir.), Bourdieu et la littérature, Nantes, Éditions Cécile Defaut, 2010, p. 23-27.[↩]
- Annie Ernaux, Retour à Yvetot, Paris, Éditions du Mauconduit, 2013, p. 13.[↩]
- Annie Ernaux, L’Écriture comme un couteau, Stock, 2003, p. 14.[↩]
- Annie Ernaux, L’Occupation, 2002, Paris, Gallimard, coll. « Folio », p. 75.[↩]
- Annie Ernaux, Écrire la vie, « Photojournal », p. 7-102, citation p. 91-92.[↩]
- Ibid., p. 7.[↩]
- Annie Ernaux, L’Autre fille, Nil éditions, 2011, p. 19.[↩]
- Fr. Best, Br. Blanckeman, Fr. Dugast-Portes (dir.), Annie Ernaux : Le Temps et la Mémoire, op. cit., p. 69-83, ici p. 73.[↩]
- Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », dans Actes de la recherche en sciences sociales, 62-63, 1986.[↩]
- Aurélie Adler, « Les Années, livre-somme retissant les fils de l’œuvre », dans Fr. Best, Br. Blanckeman, Fr. Dugast-Portes (dir.), Annie Ernaux : Le Temps et la Mémoire, op. cit., p. 69-83, ici p. 73-75. [↩]
- « Vers une écriture « photo-socio-biographique » du réel. Entretien avec Annie Ernaux », Roman 20-50, n° 51, juin 2011, p. 163.[↩]
- Laurent Demanze, « Le Dictionnaire palimpseste d’Annie Ernaux », dans Dominique Viart, Gian Franco Rubino (dir.), Écrire le présent, Paris, Armand Colin, 2013.[↩]
- Marie-Jeanne Zenetti, Factographies. L’enregistrement littéraire à l’époque contemporaine, Paris, Garnier, 2014.[↩]
- Marie-Pacale Huglo, « En vitesse : Histoire, mémoire et cinéma dans Les Années d’Annie Ernaux », dans Bruno Blanckeman et Barbara Havercroft (dir.), Narrations d’un nouveau siècle. Romans et récits français (2001-2010), Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2012, p. 45-55, ici p. 53.[↩]
- Annie Ernaux, Retour à Yvetot, op. cit., p. 34.[↩]
- Annie Ernaux, L’Atelier noir, op. cit., p. 12.[↩]
- Annie Ernaux, Mémoire de fille, op. cit., p. 107, « le stage de formation des moniteurs, dans un château à Hautot-sur-Seine, aux vacances de Pâques. ».[↩]
- Bernard Lahire, L’Interprétation sociologique des rêves, La Découverte, 2018.[↩]
- Annie Ernaux, Mémoire de fille, op. cit., p. 74.[↩]
- Ibid., p. 25. [↩]
- Aurélie Adler, art. cit, p. 81.[↩]
- Consultable sur Gallica, URL : < https://gallica.bnf.fr/essentiels/voltaire/candide>[↩]
- Ray Bradbury, Fahrenheit 451 [1953], Paris, Denoël, coll. « Présence du futur », 1955 pour la traduction française.[↩]