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La domination au travail. Etude sur La Médaille et Portrait de l’écrivain en animal domestique de Lydie Salvayre

Travaillant de l’intérieur et en profondeur la domination et plus particulièrement sous l’angle de ceux qui s’y soumettent, Lydie Salvayre, lui restitue toute son opacité et par-là même son caractère proprement politique. Une analyse de Sylvie Servoise.


Quel monstrueux vice est donc celui-là que le mot de couardise ne peut rendre, pour lequel toute expression manque, que la nature désavoue et la langue refuse de nommer ?

Etienne de La Boétie, Le Discours de la servitude volontaire1

Au sein des nombreuses études actuellement consacrées à ce que l’on nomme la « littérature du travail2 », l’œuvre de Lydie Salvayre occupe une place de premier rang. La Médaille (1993) et Portrait de l’écrivain en animal domestique (2007) sont ainsi régulièrement convoqués dans le cadre d’analyses dédiées à la résistance spécifique que la littérature entend opposer à l’envahissement de ce que l’on a pu appeler « la novlangue néolibérale3 » ou à la fiction d’un consensus autour de la « culture d’entreprise » (et, avec elle, à l’idéologie néolibérale tout entière4). L’ironie, la caricature, la parodie et le pastiche, le mélange des styles et registres de langage, tous ces procédés énonciatifs et narratifs qui caractérisent la plume « baroque »5) de Lydie Salvayre se révèlent de fait des armes fort adaptées à l’exercice d’une littérature de dévoilement, destinée à révéler aux yeux du lecteur les mécanismes d’une domination, aliénation ou  injustice – ce que Sartre, en son temps et avant que le terme ne se confonde avec une littérature dogmatique et didactique, nommait une littérature « engagée6».

Cependant, plutôt que de nous intéresser à la manière dont Lydie Salvayre représente le monde du travail en dévoilant les rapports de domination qui le traversent, nous proposons de voir dans l’analyse de ces derniers une sorte de fil rouge qui parcourrait l’œuvre entière de l’auteure et qui trouverait à se déployer de manière particulièrement significative dans le monde du travail : là se donnerait à lire, dans toute sa complexité et ses subtilités, les relations entre dominants et dominés. Non seulement parce que celles-ci trouvent, de manière évidente (et souvent volontairement caricaturale chez Lydie Salvayre) à s’incarner dans des rapports humains médiatisés par une relation hiérarchique de pouvoir (employeur/employé ; cadre/ouvrier, etc.), mais encore parce qu’il se nourrit d’autres formes de dominations, sociales, économiques, culturelles et sexuelles, qui se renforcent l’une l’autre.

Parler, pour ces deux romans de Lydie Salvayre, de « domination au travail », ce n’est donc pas seulement renvoyer à la domination dans un milieu donné, à l’occasion d’une activité humaine se déployant dans un espace déterminé, régi par des valeurs, des discours, des modalités d’exercice du pouvoir spécifiques – l’usine, l’entreprise, le bureau d’un businessman devenu « roi du hamburger » – c’est aussi et surtout désigner le travail auquel la notion même de domination, comprise comme un principe de continuité dans les diverses sphères de l’agir et du pâtir humains, se voit soumise. C’est souligner à quel point Lydie Salvayre « travaille », dans et par ses textes, la domination, comment elle la questionne, la met à l’épreuve, en analyse les ressorts, en exhibe les manifestations et les éventuelles contradictions.

En effet, si les rapports de domination apparaissent comme omniprésents dans le monde du travail, ils sont en même temps éminemment problématiques par leur dimension plurielle et tentaculaire. Ce n’est pourtant dans cette capacité à dessiner toutes les formes possibles de la domination et leur articulation les unes aux autres que réside, à nos yeux, l’apport le plus décisif de Lydie Salvayre à la réflexion sur la domination. Il consiste plutôt dans le fait de mettre en scène des personnages qui semblent, pour la plupart d’entre eux, non seulement ne pas s’opposer à celle-ci mais, en une certaine mesure qu’il reste à analyser, y consentir. C’est alors la topique de la « servitude volontaire » que l’on pourrait retrouver ici, une notion qui, en dépit ou plutôt en raison même de son succès et de sa prétendue transparence, a donné lieu à un certain nombre de controverses – provenant notamment des études féministes qui ont proposé de ne pas confondre le fait de « consentir » à la domination et le fait d’y « céder ». Travaillant de l’intérieur et en profondeur la domination et plus particulièrement sous l’angle de ceux qui s’y soumettent, Lydie Salvayre, loin de résoudre l’énigme dont est intrinsèquement porteuse, et ce dans le Discours même de La Boétie, la « servitude volontaire », lui restitue toute son opacité et par-là même, son caractère proprement politique. 

La domination, omniprésente et problématique

Dans son œuvre, Lydie Salvayre met particulièrement l’accent sur le caractère fortement hiérarchisé du monde du travail. Fondé sur une structure pyramidale, il apparaît comme particulièrement propice à l’examen des rapports de domination : à la base, les employés, au sommet les dirigeants. La structure même de La Médaille rend visible cette division des tâches et des places, en faisant alterner « allocutions » des cadres de l’entreprise Bisson (le directeur des Ressources Humaines, la directrice de l’Action Sociale, le directeur de la communication, le directeur de la productivité et, à la toute fin, le Président Directeur Général, fils du fondateur) et « réponses » des travailleurs récompensés par une médaille pour leurs bons et loyaux services (essentiellement des ouvriers, nous reviendrons plus loin sur le cas particulier de l’ingénieur Démaret). Le partage de la parole ne saurait cependant constituer le gage d’une égalité quelconque, bien au contraire. Ce que laisse éclater la juxtaposition des discours, c’est l’asymétrie totale des positions : d’un côté des hommes et femmes de pouvoir qui ordonnent, interpellent, distribuent blâmes et éloges et imposent leur vision du monde, dans une langue stéréotypée et impersonnelle, essentiellement normative7, qui fonctionne par slogans (« L’ouvrier vrai est modeste »; « La fatigue n’existe pas » ; « Vivez votre travail dans sa dimension spirituelle ! » ; « Exploitez-vous vous-même ! ») ; de l’autre, des individus qui racontent leur expérience singulière, leurs conditions de travail abominables et leur vie broyée : M. Donte, dit « Gus », entré à l’entreprise au lendemain de son mariage et se trouvant « enchaîné à la chaîne comme un esclave du temps jadis8 » ;  Mme Duchêne, qui raconte comment son mari, à force de voir son visage noircir en raison de son métier d’ébarbeur, a sombré dans la dépression et s’est finalement suicidé ; Mme Bourseguin, qui a sué sang et eau pour pouvoir acheter un pavillon dans une cité que ses enfants rêvent de quitter dès que possible, etc.

Le rapport hiérarchique est maintenu dans la relation employeur/employé qui lie la narratrice du Portrait, une écrivaine désargentée, et Tobold, « le roi du hamburger », businessman richissime, celle-là étant engagée pour écrire la biographie, ou plus exactement l’hagiographie de celui-ci et, dans un même geste, pour divulguer la « bonne parole » capitaliste. Comme dans La Médaille, ce rapport hiérarchique est envisagé tel un rapport d’oppression : « J’avais le cou meurtri à cause de la laisse, et l’esprit fatigué de l’entendre me dire C’est noté ? vingt fois par jour C’est noté ? sur le ton qu’il réservait au personnel de service C’est noté ? Car je devais me rendre à l’évidence, j’étais à son service. Tenue de lui obéir, de l’admirer, de pousser des Oh, des Ah et des C’est merveilleux9 », lit-on dans l’incipit du roman.

Si, à bien des égards, c’était au modèle de l’Etat totalitaire que pouvait renvoyer le système de domination dans La Médaille10 : l’ingérence du pouvoir dans la vie privée qui, dès lors, n’existe plus (visible notamment dans la première allocution du roman, consacrée au logement des ouvriers) ; le culte du chef (le fondateur de l’entreprise) indissociable d’une stratification du pouvoir et de la mise en place d’une chaîne de commandement (les multiples cadres dirigeants qui prennent la parole à tour de rôle et leurs relais dans le milieu ouvrier comme Pinchard) qui rend le pouvoir à la fois omniprésent et inaccessible ; la propagande, perceptible dans les diverses « allocutions » des responsables (par slogans et formules qui touchent à l’absurde) ; l’idéologie (de la productivité et de la rentabilité) qui donne sens à toutes les dimensions de la vie humaine ; la fabrication de l’ennemi intérieur (en l’occurrence le mauvais ouvrier, paresseux ou révolté. La sixième allocution, prononcée par le consultant extérieur en Sciences sociales, propose même une classification et hiérarchisation des ouvriers en trois types : « l’ouvrier vrai », « l’ouvrier méditerranéen », « l’ouvrier coloré et assimilé », les deux derniers étant évidemment les plus récalcitrants à s’intégrer au système). ))), c’est ici la figure du tyran qui est convoquée, dans la relation que celui-ci noue avec ses sujets et, notamment ses plus proches collaborateurs, au cercle desquels se voit admise la narratrice, prise dans un jeu ambigu de fascination-répulsion à l’égard de son « maître ».

On notera cependant que, bien qu’elle paraisse figer l’individu dans le rôle de dominant ou de dominé, la place occupée dans l’organisation hiérarchique du travail n’est pourtant pas exclusive d’autres formes de dominations, ni unilatérale, le dominé pouvant, dans le milieu professionnel lui-même ou ailleurs, être dominant. C’est ainsi que M. Pinchard, le contre-maître, s’acquitte avec zèle de sa fonction, soumettant les ouvriers à une cadence de travail infernale et une surveillance exacerbée afin de donner « entière satisfaction11 » à ses supérieurs. Il tient méticuleusement à jour ses fiches sur les ouvriers, s’attache à maintenir ses hommes toujours occupés (« parce que s’ils soufflent, ils pensent. Et s’ils pensent, c’est le foutoir, il n’y a pas d’autre mot12 ») et se livre à des interrogatoires dont les méthodes ne sont pas sans rappeler celles de la Gestapo ou du Guépéou, référence que l’humour de l’auteur convoque et neutralise à la fois13.

D’autres personnages déversent leur frustration dans leur vie privée, comme Gus : décrivant son travail comme un véritable enfer (« J’étais comme un halluciné dans cette nuit hurlante14 »), il se venge sur sa femme et ses enfants, qu’il terrorise. Si le processus consistant à devenir bourreau parce qu’on a été ou qu’on est encore victime est malheureusement bien connu, il est ici, de manière plus singulière, associé au sentiment paranoïaque d’être toujours dominé, même par ceux que l’on croit maîtriser. « Dominé par son contremaître à l’usine » « dominé par les machines à l’atelier, par le temps et par l’épuisement », Gus a le sentiment, alors même qu’il la maltraite, de l’être aussi par « [sa] femme à la maison 15» : celle-ci, en soignant les plaies infligées par les machines sur lesquelles il travaille, le rabaisserait (« Son abjecte douceur me châtrait16 »). La notion de la domination, vécue au jour le jour dans l’usine, a pénétré si avant dans la conscience du personnage qu’elle informe totalement sa vision du monde et des rapports humains : la volonté de dominer et la souffrance de la soumission occupent tout l’espace, à l’exclusion de tout autre sentiment ou affect. En ce sens, la femme de Gus est elle aussi victime du travail de son mari, en plus de l’être d’un rapport femme-homme inégal qui légitime l’autorité du « chef de famille », véritable tyran domestique. Les femmes sont du reste régulièrement présentées dans le roman – mais cela vaut pour de nombreuses autres œuvres de Lydie Salvayre – comme étant l’objet de dominations multiples qui s’imbriquent et se renforcent l’une l’autre. Ainsi de Mlle Pizzuto, entrée à l’âge de seize ans à l’usine, qui souffre à la fois des conditions abrutissantes et déshumanisantes de son travail et du fait d’être femme : victime à l’usine de harcèlement sexuel de la part de ses chefs comme de ses pairs, elle avait déjà subi la violence de son père, un autre « Gus ».

Les œuvres du corpus offrent donc une représentation particulièrement fine des différentes formes de domination à l’œuvre dans le monde du travail, et des interactions avec d’autres dominations dont elle se nourrit ou qu’elle engendre, hors du milieu professionnel. Cependant, il nous semble que la singularité et la force des romans tiennent avant tout au fait que ce sont moins les moyens et instruments de la domination qui y sont explorés que l’expérience même de la soumission, en ce qu’elle a de plus intime. Il s’agit moins pour Lydie Salvayre de montrer comment on domine que comment on est dominé – à moins que, précisément, ce ne soit la volonté de servir qui engendre la tyrannie, l’esclave le maître. Hypothèse provocatrice et dérangeante, dont La Boétie avait mesuré toute la portée en forgeant l’expression étonnante, antinomique par excellence, de « servitude volontaire ».

« Céder » ou « consentir » à la domination ?

Avant de voir jusqu’à quel point la notion de « servitude volontaire » peut éclairer la compréhension des mécanismes de domination à l’œuvre dans le corpus – et, inversement, comment les textes peuvent interroger la notion elle-même –, il convient d’examiner l’attitude des personnages dominés17. Á première vue, ils acceptent tous le pouvoir qui les soumet, au sens où ils n’agissent pas pour y mettre fin : les ouvriers médaillés dont les discours sont rapportés ne se révoltent pas et si la narratrice du Portrait se rebelle, c’est essentiellement dans son for intérieur18, et sans que cela ne soit suivi d’un quelconque effet.

Or une telle attitude de soumission ne va pas de soi et c’est bien ainsi que le texte même de La Médaille le donne à voir et à penser au lecteur : tout est fait pour que la résignation des travailleurs lui apparaisse comme déconcertante, voire insensée. Tel qu’il est construit, le dispositif énonciatif du roman pourrait en effet a priori favoriser l’expression d’un conflit, en ce qu’il révèle le contraste entre la parole normative des dirigeants et la parole subjectivement vraie (au sens où elle renvoie à une expérience vécue) des travailleurs. Plus encore, celle-ci laisse éclater le caractère profondément mensonger et mystificateur de celle-là, faisant entendre, derrière le discours « officiel », une réalité sordide. Ainsi de la « réponse » de la veuve de M. Duchêne qui ne laisse aucun doute sur le fait que son mari se soit suicidé à la suite d’une dépression occasionnée par ses conditions de travail, démentant ainsi le propos de la direction selon lequel « les insinuations artificieuses des syndicats révolutionnaires qui prétendent que M. Duchêne a attenté à ses jours dans un mouvement de désespoir […] sont une insulte à sa mémoire19 ». Et pourtant, aucun usage pratique n’est fait, de la part des auteurs de ces discours, de cet effet de révélation qui, désignant les uns comme des menteurs et les autres comme les détenteurs de la vérité, constitue, déjà en soi, un renversement du rapport de force. Tout se passe comme si les ouvriers médaillés ne tiraient pas les conséquences pratiques de ce qu’ils perçoivent clairement comme une souffrance et expriment comme telle. Tous décrivent l’envahissement progressif du travail dans toutes les sphères de leur vie, la colonisation de l’esprit, des sentiments, de l’imaginaire, de la sensibilité. Ils ne font même que cela, raconter leur vie d’esclave. Mais aucun ne fait entendre une parole de révolte ou de contestation. La confrontation n’a pas lieu, reléguée en dehors de la salle où se déroule la cérémonie annuelle de remise des médailles – nous y reviendrons.

Comment comprendre cette attitude paradoxale qui consiste à acquiescer à la domination ? La question est d’autant plus urgente que, loin de relever de la simple fiction – le grossissement des pratiques sous la plume de Lydie Salvayre ne saurait faire oublier que celles-ci sont bel et bien avérées –, un tel comportement est à l’œuvre dans bien des entreprises, pour s’en ici tenir au milieu dans lequel se déroule La Médaille. En témoignent un certain nombre d’études sociologiques qui, pour caractériser les comportements des salariés dans les régimes de production post-fordiens, recourent aux notions d’« implication forcée », de « coopération forcée », de « coercition coopération », d’« autonomie contrôlée »20 : des expressions qui, se composant systématiquement d’un terme relatif à la dimension volontaire de l’accord et d’un second terme qui en revanche exprime la contrainte, reconduisent la notion de « servitude volontaire ». C’est à La Boétie en effet que l’on doit l’idée d’une collaboration active du dominé à la domination : « C’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge : qui, pouvant choisir d’être sujet ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse21». La part du dominé à son propre assujettissement est telle que l’auteur du Discours va même jusqu’à affirmer que, pour peu que le dominé cesse de vouloir servir, la tyrannie s’effondre : « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le [le tyran] heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser22 ».

Nombreuses sont les théories de la domination – et pas seulement au travail – qui ont repris l’idée d’un rapport de nécessité entre consentement et domination. Ainsi des analyses de P. Bourdieu sur la violence symbolique et la domination masculine qui reposent sur l’idée d’une intériorisation, de la part de ceux et celles qui en sont victimes, de la domination et de sa légitimité par l’entremise de la socialisation23, ou encore des travaux de l’anthropologue M. Godelier, pour qui « des deux composantes du pouvoir la force la plus forte n’est pas la violence des dominants mais le consentement des dominés à leur domination24 ».

À bien des égards, le comportement des ouvriers médaillés du roman de Lydie Salvayre pourrait faire l’objet d’une telle interprétation : de fait, s’ils décrivent bien leurs conditions de travail et de vie comme extrêmement pénibles, ils n’interrogent pas la légitimité – et donc l’illégitimité potentielle – du pouvoir qui s’exerce sur eux, conformément à l’idée bourdieusienne d’un agent déterminé à son insu et qui méconnaît le sens profond de son expérience. En ce sens, l’acceptation de la condition qui leur est faite proviendrait de ce qu’elle n’est pas perçue en tant qu’injuste – preuve supplémentaire, s’il en fallait, de la force de cette domination. Nous disions plus haut que le lecteur pouvait s’étonner du fait que les personnages ne tirent pas les conséquences pratiques de la conscience de leur mal-être ; ajoutons que c’est peut-être parce qu’ils n’en ont pas dégagé la dimension morale et la dimension arbitraire du tort qui leur est infligé : je souffre… et c’est injuste. Sans ce sentiment intime de l’injustice, pas de contestation de la domination possible – et, pourrions-nous ajouter, pas de consentement non plus, puisque ce terme suppose un sujet capable d’identifier la domination comme telle.

Une lecture attentive du texte nous empêche toutefois d’adhérer pleinement à cette hypothèse, dans la mesure où, d’une part, certains personnages associent bien leur condition à celle, injuste, d’un dominé, et qu’il est alors difficile d’arguer d’une quelconque méconnaissance de leur part : c’est le cas de Gus ou encore, dans une certaine mesure, de Mlle Pizzuto25 ; et où, d’autre part – cela concerne alors tous les personnages – l’acquiescement à la domination n’est jamais donné comme immédiat et premier, mais comme le résultat d’un long processus, d’accoutumance ou plus exactement de résignation. Gus, Mlle Pizzuto, la veuve Duchêne, M. Pinchard, Mme Bourseguin, racontent d’abord l’expérience d’un servage vécu comme tel (« j’étais emporté de force dans une vie que je ne voulais pas26 »), leur extrême difficulté à le supporter (« une fatigue comme si j’avais soulevé la terre entière dans mes bras27 ») ; leur volonté, voire leur tentative de s’y soustraire (Gus qui, du jour au lendemain, quitte son travail, sa femme et ses enfants pour ensuite revenir ou Duchêne, qui se suicide) et, finalement leur reddition : « Maintenant j’ai pris le pli. Ça roule. On se fait à tout. Même au pire28 » ; « Puis les choses se sont tassées29 » ; « Avec l’âge, je suis devenu étanche30 » ; « Alors un jour j’ai renoncé31 ». La force de l’habitude, en somme.

On sait que, précisément, La Boétie faisait – ou plutôt semblait faire, selon l’analyse de Cl. Lefort consacrée à l’écriture « oblique » de l’auteur32 – de la coutume « la première raison de la servitude volontaire33 » : c’est elle qui participerait à la naturalisation de la servitude et à la formation de la croyance en sa légitimité. Mais il convient de rappeler que, pour La Boétie, cette accoutumance à la servitude était principalement le fait de ceux qui « avaient été nourris et élevés dans le servage » et qui n’avaient jamais connu la liberté. La génération précédente, celle des « pères », a en revanche été « contrainte » au servage et la domination s’est alors exercée non pas en vertu d’une quelconque volonté de la part de l’opprimé mais par l’usage, de la part de l’oppresseur, de la force brute34. Qu’elle s’effectue lors du passage d’une génération à l’autre ou au sein d’une même vie – La Boétie envisage d’ailleurs les deux cas de figure –, la servitude, avant d’être acceptée, a bel et bien été imposée.

Dès lors, est-il encore possible de dire que les ouvriers « consentent » à leur domination ? Si l’on devait s’en tenir aux analyses de La Boétie, ne faudrait-il pas plutôt dire qu’ils y ont « cédé », pour reprendre le terme employé par l’anthropologue Nicole-Claude Mathieu ? Dans son article au titre significatif, « Quand céder n’est pas consentir35 », celle-ci réfute en effet de manière radicale la notion de « consentement » qui, d’une part, sous-entend la notion de contrat entre deux parties égales (le consentement se veut, selon l’expression consacrée, « libre et éclairé ») et qui, d’autre part, tend à évacuer ce qui constitue, à ses yeux, le véritable ressort de la domination : la force, la contrainte pure et simple. Or, d’après N.-Cl. Matthieu, qui a plus particulièrement en ligne de mire les rapports femmes-hommes, on ne peut parler d’égalité, tant il est vrai que dominés et dominants n’ont pas accès aux mêmes représentations et connaissances, les dominés voyant « leurs possibilités, leur rayon d’actions et de pensées36 » fortement limités. Serait-ce à dire que, comme chez Bourdieu, la domination s’explique par le fait que les dominés n’ont pas conscience de leur oppression ? Sans doute, les opprimé-e-s ne mesurent pas complètement la portée de la contrainte qu’ils subissent selon l’anthropologue : « Il semble bien que les rapports d’oppression basés sur l’exploitation du travail et du corps se traduisent par une véritable anesthésie de la conscience inhérente aux limitations concrètes, matérielles et intellectuelles, imposées à l’opprimé(e)37 ». Mais il lui importe surtout de souligner que cette limitation de la conscience n’est pas le fruit, comme le prétendrait l’auteur de La Domination masculine38, d’une quelconque intériorisation de la légitimité de la domination ou d’une violence « symbolique », mais bien le résultat d’une violence concrète, subie au jour le jour :

Ce n’est pas, à mon sens, la « reconnaissance » par les opprimé(e)s de la légitimité du pouvoir et des bienfaits et des services des dominants qui maintient principalement, « en plus de la violence », la situation de domination, mais bien plutôt la conscience contrainte et médiatisée de l’ignorance où sont maintenu(e)s les opprimé(e)s – ce qui est leur part réelle de l’idéel et constitue, avec les contraintes matérielles, la violence, force principale de domination39.

En ce sens, le consentement, entendu au sens fort d’adhésion idéologique, ne serait pas tant l’affaire des dominés que celle des dominants :

Les dominants possèdent, en plus de leurs bénéfices concrets, et en provenant directement, le privilège de forger l’imaginaire du réel – où se déploie la légitimation de leur pouvoir. Le problème de la légitimité, et donc de la légitimation, est typiquement le problème du dominant. La dominée, elle, est engluée dans le concret et sa part éventuelle (et toujours limitée) à la connaissance de et à la croyance en la « légitimité » de son oppression, si elle existe, n’est qu’une goutte d’eau (fade)dans l’océan de sa fatigue.

Sans doute cette analyse rend-elle particulièrement bien justice au processus raconté par les personnages de La Médaille : le fait qu’ils ne s’opposent pas à l’oppression subie ne signifie pas qu’ils y consentent, qu’ils croient en la légitimité de la domination ou qu’ils recherchent cette dernière en vertu d’un désir de servitude proprement masochiste, mais simplement qu’ils cèdent à une force qui leur est supérieure. L’habitude est le nom donné à cette forme d’accommodement avec le réel qui s’obtient à l’usure, « l’océan de fatigue » avalant, jour après jour, les forces de ceux qui finissent par se rendre, anesthésiant toute pensée de révolte, tout sentiment d’injustice, tout regard critique sur soi et le monde : « J’étais vannée, sans force, absolument sans force pour quoi que ce soit, sans force même pour verser des larmes, parce qu’il faut un peu de force pour verser des larmes et avoir du chagrin40 » raconte ainsi Mlle Pizzuto quand elle évoque ses premiers mois dans l’usine.

Si la fatigue du dominé, provoquée intentionnellement par le dominant pour « limiter » ses capacités intellectuelles et physiques de résistance, constitue sans aucun doute une forme de violence particulièrement efficace, elle n’est pas la seule à être convoquée dans le roman. Car de fait, comme le notait déjà La Boétie, il en est toujours, parmi les serfs, qui, « plus fiers et mieux inspirés que d’autres, sentent le poids du joug et ne peuvent s’empêcher de le secouer41 » – ce qui, comme le souligne Cl. Lefort, relativise fortement, dans le texte même du Discours, l’idée que la coutume est toute-puissante sur les hommes42. Ainsi, certains ouvriers après avoir cessé le travail dans leur atelier, viennent faire entendre leur voix jusqu’aux portes de la salle où se déroule la cérémonie des remises de médailles. Mais eux aussi vont « céder », sous l’effet d’une force moins physique que verbale. C’est la ruse, à laquelle a si souvent recours le tyran pour tromper son peuple qui, cette fois, les piège. L’ingénieur Démaret, le seul médaillé qui ne soit pas ouvrier, profite de la parole qui lui est donnée pour haranguer les ouvriers grévistes. Cette dernière « réponse du médaillé » constitue le stade ultime de la domination du patronat, selon une recette bien connue : l’intégration de la contestation du système en vue de sa propre consolidation. L’orateur, ancien militant révolutionnaire, « établi » dans l’usine dans les années 1970 avant de grimper les échelons et de devenir ingénieur, situe d’abord son discours sur le plan intime, donnant ainsi l’illusion de rompre, ou du moins de suspendre la relation de pouvoir qui animait les discours précédents. S’adressant « plus particulièrement aux amis qui viennent spontanément de [les] rejoindre », il évoque sa « jeunesse rebelle » et insiste sur ce que lui ont appris les ouvriers : « Je rencontrai des hommes transpirants, velus, véridiques. Vous ! Alors le réel m’arracha les paupières. J’ouvris les yeux. La barque de mes illusions se fracassa sur l’acier de vos machines ! Je devins un adulte43 ». Non seulement il renverse les positions de maîtrise, mais en plus il reconnaît aux ouvriers une « humanité » (« grâce à vous, j’ouvris la porte d’un monde probe, viril, musqué. Un monde d’hommes44 »), que les discours précédents ne faisaient que leur dénier. La dimension caricaturale du propos, à l’effet indéniablement comique, ne saurait faire oublier son efficacité : une fois établi un faux rapport d’égalité (qui de fait décontenance les émeutiers) la domination peut, paradoxalement, se déployer à son aise. Et c’est ainsi que, mobilisant les récalcitrants autour d’un projet collectif « c’est dans la collaboration, mes amis, qu’il faut chercher la voie45 », affirmant les impératifs de solidarité, transparence et communication, jouant la carte de la « concertation » et du « dialogue », il fait exactement le contraire de ce qu’il dit : il ne donne pas la parole à un émeutier qui la demande et réaffirme la domination des cadres sur les ouvriers. C’est en effet le PDG qui, dans le livre, aura, au sens propre comme figuré, le dernier mot, le roman s’achevant sur son allocution. Les formes de la domination changent – de fait, le roman montre bien le passage d’une organisation verticale, fondée sur la parole autoritaire et paternaliste des chefs à une organisation apparemment plus horizontale, qui repose sur l’implication des travailleurs et qui correspond aux pratiques actuelles du néo-management46 – mais la domination, elle, demeure et se voit même renforcée à mesure qu’elle intègre (et déjoue) sa contestation.

Davantage qu’un consentement à la domination, ce que met en scène La Médaille, c’est donc très exactement la violence et la perversité d’un système oppressif qui interdit toute rébellion et annihile toute capacité de résistance. Ce n’est pas un tel schéma que semble développer Portrait de l’écrivain en animal domestique : au contraire, on serait plutôt tenté de voir dans ce roman la représentation de l’acquiescement à la domination, d’une part parce que la narratrice a clairement conscience de la condition qui lui est faite et d’autre part, en ce qu’elle interroge, avec une lucidité troublante, les motifs de son incapacité à mettre fin à cette situation d’oppression.  

La domination au travail de la littérature

La narratrice de Portrait de l’écrivain en animal domestique est appelée à jouer un rôle bien reconnaissable dans la structure et l’organisation du pouvoir, celui dévolu à ceux que La Boétie nommait les « tyranneaux » : soit les individus qui, jouant le rôle de relais du pouvoir auprès de la population, consolident la tyrannie. Leur présence ne constitue rien de moins, selon l’auteur du Discours, que « le secret et le ressort de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie » : en effet, « ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais bien toujours (on aura quelque peine à le croire d’abord, quoique ce soit exactement vrai) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et lui assujettissent tout le pays47 ». Si la femme de Tobold, Cindy, qui figure comme la conseillère, a largement contribué à la conquête du pouvoir (économique) par Tobold (il a commencé par ouvrir une boîte de strip-tease où elle dansait) et à sa réaffirmation (c’est elle qui lui souffle l’idée de se convertir au charity business à la fin du roman), si Pierre Barjonas est l’homme des basses œuvres, à tout faire (intimider des rivaux, trouver des prostituées pour Tobold…), la narratrice, elle, est chargée de la propagande : elle a été engagée pour faire l’hagiographie de Tobold et écrire l’Evangile du capitalisme. Or les tyranneaux, comme le montre bien La Boétie, sont précisément ceux qui, bénéficiant au plus près des largesses du maître, sont aussi, et en raison même de cette proximité, les plus vulnérables. Touchant au plus près le centre du pouvoir, ils sont aussi, selon un paradoxe qui n’est qu’apparent, les moins libres, les plus dominés :

Le laboureur et le paysan, pour tant asservis qu’ils soient, en sont quittes en obéissant ; mais le tyran voit ceux qui l’entourent, coquinant et mendiant sa faveur. Il ne faut pas seulement qu’ils fassent ce qu’il ordonne, mais aussi qu’ils pensent ce qu’il veut, et souvent, même, pour le satisfaire, qu’ils préviennent aussi ses propres désirs. Ce n’est pas tout de lui obéir, il faut lui complaire, il faut qu’ils se rompent, se tourmentent, se tuent à traiter ses affaires et puisqu’ils ne se plaisent qu’à son plaisir, qu’ils sacrifient leur goût au sien, forcent leur tempérament et le dépouillent de leur naturel48.

C’est bien cette violence que subit, au jour le jour, la narratrice. Pour complaire à son maître, elle renonce à tout ce qu’elle est, ou croit être : « dès le premier jour de notre collaboration, je devrais même dire la toute première minute, je sus que je ne serais jamais à ma place auprès de Tobold le roi du hamburger, je sus que tout ce à quoi je consentirais dans ce travail irait à l’opposé de moi-même49 ». Elle met sa plume au service d’un homme qui incarne non seulement tout ce qu’elle déteste personnellement (elle dénonce tout au long du récit sa vulgarité, son arrogance, son ignorance, sa misogynie), mais tout ce qui s’oppose à ce qui constitue d’après elle la condition d’écrivain, à commencer par l’indépendance, garante de toute liberté : « car j’étais une artiste et une artiste n’avait à recevoir d’ordre de personne, une artiste ne pouvait vivre son art à genoux, une artiste exigeait pour condition première sa totale liberté […]50 ». Si le tyranneau constitue sans aucun doute le degré ultime de l’aliénation – « Quelle condition est plus misérable que celle de vivre ainsi n’ayant rien à soi et tenant d’un autre son aise, sa liberté, son corps et sa vie51 ! » s’exclame La Boétie – le tyranneau écrivain, du moins dans l’acception (romantique) qui est évoquée dans le roman52, se voit encore plus profondément opprimé : écartelée entre son désir de liberté et sa condition de serf, la narratrice vit particulièrement mal un « dilemme qui était, semblait-il vieux comme le monde, battu et rabattu, archi-banal et archi-romantique : Brutus et Erostrate, les mains sales, la tragédie de Lorenzaccio53». À cela s’ajoute que la narratrice se présente comme un écrivain non seulement réfractaire au pouvoir et à toute forme de domination, mais plus particulièrement hostile au capitalisme et à ses discours de légitimation – ceux-là même auxquels elle est censée contribuer par la rédaction des « Mémoires » de Tobold54. Elle se renie donc deux fois, en tant qu’écrivain et en tant qu’écrivain « de gauche », ce qui a pour effet de lui rendre sa soumission d’autant plus insupportable et d’engendrer un sentiment de culpabilité extrême : « Et moi qui avais passé une partie de ma jeunesse au Café des Ormeaux à expliquer comment combattre le Capital par la pensée, moi qui m’étais toujours enorgueillie d’être un écrivain de la révolte […], un écrivain révolutionnaire quoi, bien que ce mot fît honte, moi donc, l’écrivain de toutes les rébellions, je n’osais dire merde de vive voix à un marchand de hamburgers55 ».

Car c’est un fait : non seulement elle ne dit pas « merde », mais elle ne dit rien du tout, se soumettant à ce qu’elle déteste et sait détester. On serait donc ici autorisé à parler de consentement à la domination au sens où non seulement celle-ci est subie en connaissance de cause mais qu’en plus sa dimension « volontaire » n’échappe pas à la narratrice. Car ce qui étonne, voire sidère celle-ci, c’est moins la force de son tyran que sa capacité à elle de se soumettre : « Pourquoi, alors, restais-je ? Quel sortilège m’attachait ? Et pour quelles raisons ne cherchais-je pas à le rompre56 ?». L’hypothèse de la servitude volontaire se conforte du fait que, s’interrogeant sur ses causes, la narratrice semble aboutir à des conclusions semblables à celle de La Boétie : elle admet être sensible à ce que ce dernier nommait les « appâts de la servitude », qui ne sont en fait rien d’autre que des « compensations de [la] liberté ravie », destinés à « endormir le peuple et à l’abrutir ». Si les anciens tyrans offraient ainsi au peuple « les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce57 », Tobold offre à la narratrice l’opulence, une vie de luxe, la possibilité de s’adonner aux jeux de séduction que favorise le fait de se faire passer, pour justifier sa présence continuelle auprès de son employeur, pour une « escort-girl », ou encore de côtoyer des stars de cinéma et les grands de ce monde. Et ça marche : « […] je me laissais glisser chaque jour plus avant dans une torpeur exquise dont je ne pouvais mesurer les effets puisque le luxe qui m’entourait me grisait littéralement et ôtait, sans que je m’en aperçusse, les dernières ronces de mon âme58 ».

On pourrait cependant se demander, suivant en cela la démarche développée par N.-Cl. Mathieu et retracée plus haut, si la narratrice peut vraiment choisir de se soumettre ou de ne pas se soumettre, et si là encore elle ne fait pas, plus simplement, que « céder » à une violence supérieure – le terme apparaissant du reste à plusieurs reprises dans le roman59. La question mérite d’autant plus d’être posée que le texte insiste sur la précarité matérielle du personnage qui constitue l’une des raisons majeures, dit-elle, de l’acceptation du travail proposé : « Soit dit à ma honte, je m’écrasais. Je m’écrasais comme le font ceux qui dépendent d’un autre pour vivre et qui craignent, s’ils regimbent, de perdre leurs bénéfices60 ». N’oublions pas non plus que c’est une femme qui s’exprime, dans une société qui, pour aussi égalitaire qu’elle se déclare, continue d’autoriser des comportements sexistes. La goujaterie et le machisme de Tobold sont le fait de toute une société qui ne s’étonne nullement de voir ce dernier continûment flanqué d’une « escort-girl » et d’une épouse martyre (la putain et la maman), y voyant même un signe du pouvoir. La tyrannie de Tobold fait fond sur cette double vulnérabilité de la narratrice – écrivaine désargentée et femme – provoquée par une violence quotidienne, et qui lui est antérieure. C’est parce qu’elle est déjà dominée selon des critères économiques et de genre que la narratrice n’est pas en mesure de résister à la domination de Tobold qui, elle, par un retournement absolument pervers, lui donne l’illusion de la libérer des deux précédentes. Tobold lui offre en effet d’être reconnue économiquement en tant que femme riche, et sexuellement en tant que femme désirable – ce que sa condition d’écrivain, précaire et exclusivement dévouée à la littérature ne lui offrait pas61. Mais cette reconnaissance, au lieu de l’émanciper, renforce ses chaînes, en consolidant le système qui, déjà, l’opprimait : en rétribuant excessivement un travail qui relève moins de l’art que de la propagande, Tobold réaffirme le principe de rentabilité (on n’investit que sur ce qui rapporte) qui exclut a priori l’écrivain et la littérature ; en donnant à la narratrice l’occasion de mener une vie sexuellement délurée, il la cantonne dans un rôle de femme-objet.

Doit-on dès lors réfuter ici encore la notion de servitude volontaire, au motif d’une primauté de la violence sur le consentement ? Pas forcément, dès lors que l’on veut bien entendre derrière cette expression autre chose que le simple acquiescement, passif, à la domination : le « désir de servir », comme invite à le faire Cl. Lefort62. Le texte met de fait en scène un sujet qui n’est pas seulement soumis, mais aussi désirant et qui contribue, par ses aspirations mêmes, à nourrir la domination – phénomène que le roman précédemment étudié, La Médaille, ne représentait pas. Dans Portrait…, le lecteur comprend que la domination pourrait très bien, à l’instar de ce qu’évoque La Boétie, cesser dès lors que la narratrice cesserait de la vouloir. En effet Tobold n’a pas de véritable prise sur celle-ci, il n’a aucun moyen de la contraindre, même économiquement : elle se présente certes comme « complètement désargentée », mais précise également que l’argument financier n’a pas été le seul à dicter son choix d’accepter ce travail : y entrent aussi ses propres aspirations, « curiosité pour le monde des affaires, attirance pour ce qui [lui] est résolument contraire ([…] où la littérature ne comptait pour rien), désir de rencontrer un homme de renom63 ». Contrairement à ce que nous avancions plus haut, le véritable dilemme consiste donc moins en la lutte entre la soif de liberté et une condition aliénée qu’entre le désir de liberté et d’autres désirs multiples – « de gloire », « de luxe », « de protection »64 ou encore sexuels, qui sont propres à la narratrice. On n’oubliera pas non plus la fascination trouble qu’exerce Tobold sur la jeune femme, précisément par son désir à lui, « désir sauvage de tout dominer65 ». C’est la puissance de ce désir, l’énergie que Tobold emploie à le réaliser par tous les moyens qui semble bien constituer, in fine ce « sortilège » – le terme se retrouve aussi sous la plume de La Boétie66 – qu’elle n’arrive pas à rompre. « Amour de la brute, aurait dit le philosophe, amour de la puissance de nuire et d’écraser, amour de la méchanceté comme promesse de force et promesse de meurtres67 », reconnaît la narratrice. Mais cet « amour de la brute » pourrait bien s’expliquer par le désir de ressembler à la brute, de jouir de la même liberté – tyrannique – que le tyran, d’asservir les autres comme il vous asservit. La réversibilité du rapport de domination, du désir de soumission et du désir de maîtrise, est clairement identifiée dans un passage du livre où la narratrice envisage, avec l’emphase ironique qui lui est propre, la possibilité d’une relation amoureuse avec Tobold : « Après avoir été son écrivain domestique, allais-je devenir son esclave sexuelle, délicieusement servile ? Lui ôterais-je son suspensoir dans des caresses insensées ? Le rendrais-je captif, à mes pieds enchaîné, suppliant, asservi68 ? ». Cette idée d’un désir d’asservissement de l’autre, fiché dans le cœur même du désir de servir, nous renvoie, une fois encore, au texte de La Boétie tel que le lit Lefort : en dernière instance, « le ressort de la domination tient au désir, en chacun, quel que soit l’échelon de la hiérarchie qu’il occupe, de s’identifier au tyran en se faisant le maître d’un autre. Telle est la chaîne de l’identification que le dernier des esclaves se veut encore un dieu69 ».

On remarquera d’ailleurs que le « sortilège » se dissipe précisément lorsque le désir mimétique n’est plus possible : autrement dit lorsque le tyran ne projette plus l’image de la force, mais de la faiblesse. « Le désespoir mortel » qui s’est abattu sur Tobold lorsqu’il a compris qu’il était, comme tous les tyrans, irrémédiablement seul, et sans « amis »70, a de fait eu pour effet « de rompre l’hébétude de [l’] esprit de la narratrice71 ». Elle a retrouvé la force de secouer son joug, de cesser de travailler pour Tobold qui, déchu de son rang, ne pouvait plus constituer à ses yeux le maître, l’Un, pour reprendre l’expression lefortienne, en face duquel elle pouvait se définir, dans et par la soumission, comme l’« Autre ».

On aura compris, au terme de cette analyse, que les romans de Lydie Salvayre étudiés ici ne se contentent pas d’envisager la question des rapports de domination au travail à partir du point de vue des dominés et qu’ils ne se contentent pas non plus de reconduire la topique de la « servitude volontaire », entendue au sens ordinaire d’acquiescement du dominé à sa domination. Ils restituent en effet d’abord à cette notion tout le pouvoir de sidération que lui avait d’emblée conférée La Boétie, en la présentant véritablement comme une question – suscitée chez le lecteur par le dispositif énonciatif de La Médaille et directement prise en charge par la narratrice dans le Portrait : comment est-elle possible ? Ensuite, ils questionnent, chacun à leur manière, la notion même de « servitude volontaire » en mettant l’accent sur certaines des tensions qui la traversent, et ce dès son émergence dans le texte fondateur de La Boétie. La Médaille invite ainsi à interroger la mince frontière qui sépare le fait de consentir, au sens d’acquiescer, voire d’adhérer à une domination et le fait de plier face à une violence première, au regard duquel le consentement serait non seulement second, mais même secondaire : selon nos analyses, les ouvriers de La Médaille, à qui la fatigue et/ou la ruse imposées par le patronat ont ôté toute capacité à se représenter leur condition comme fondamentalement injuste et par là-même justiciable d’une interrogation sur la légitimité des relations de pouvoir qui la déterminent, cèdent, plus qu’ils ne servent volontairement. Portrait de l’écrivain en animal domestique, quant à lui, décrit plus particulièrement les ressorts de l’acquiescement à la domination qu’effectue la narratrice mais précise l’acception de l’adjectif « volontaire » dans le sens actif d’un « désir de servir » que nourrit le dominé, rejoignant par-là la lecture lefortienne du texte de La Boétie. Selon le philosophe, ce phénomène si étrange qu’est la « servitude volontaire » ne peut en effet s’éclairer qu’à condition de le comprendre comme « désir de servir » et ce « désir de servir » lui-même ne peut être envisagé que comme procédant du « désir de dominer » entendu comme expression du désir premier de l’homme, celui de la liberté.

Dans cette perspective, le paradoxe n’est qu’apparent à dire que les romans de L. Salvayre sur la servitude (« imposée » et « désirée » donc, plus que « volontaire ») sont aussi, et peut-être avant tout des romans sur la liberté. Non pas que celle-ci constituerait l’horizon à partir duquel penser celle-là : de fait aucune représentation de la liberté ne vient jouer dans les textes le rôle de contre-point du monde aliéné mis en scène. Il faut plutôt voir dans l’exploration de la servitude, dans l’arpentage d’un espace travaillé par les rapports de force et de domination, un moyen privilégié de faire émerger et résonner l’exigence de la liberté. En ce sens, le geste littéraire de Lydie Salvayre n’est pas très différent de celui qu’elle attribue à Kafka, cet écrivain de la liberté qui, pourtant, n’aura cessé de montrer dans son œuvre l’impossibilité de la liberté :

Kafka procède de la sorte : puisque l’homme n’est pas libre, puisque son destin est tracé, puisqu’il est soumis aux puissances diaboliques que sont l’Amérique capitaliste, la Russie bureaucratique et l’Allemagne pré-nazie, puisque donc l’homme est sous emprise, Kafka, plutôt que de contrer cette emprise, la pousse jusqu’à l’extrême. Au lieu de chercher à s’en libérer, au lieu de se rebeller contre elle, il fait absolument l’inverse : il pousse son intimité avec la machine à broyer au risque de sa propre destruction. Il en épouse le mouvement. Il en démonte les rouages. Il s’y engouffre. Il s’y livre pieds et poings liés, pour la mieux dire, pour en laisser la trace dans l’écriture, et tant pis si cette trace ne s’exprime que ″sous la forme d’un miaulement de chat : c’est mieux que rien″ dit-il72.

C’est en cela qu’on peut donner une signification proprement politique, au sens lefortien, aux livres de L. Salvayre sur la servitude et la liberté : parce que, brisant l’illusion du « nom d’Un », l’illusion d’un monde uni dans et par la soumission à un pouvoir, de quelque nature qu’il soit, ils laissent ouvert un espace, fût-il minuscule, d’interrogation de la légitimité de ce pouvoir.

Cet article a d’abord été publié dans Stéphane Bikialo (dir.), Lydie Salvayre, Paris, Classiques Garnier, 2020.

 

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NOTES

  1. E. de La Boétie, Le Discours de la servitude volontaire [1548], Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », édition établie par M. Abensour, 1993, p. 177.[]
  2. Citons, entre autres, J.-P. Engélibert, « ″Ressources inhumaines″ » : Le nouvel esprit du travail dans quatre romans français contemporains (François Bon, François Emmanuel, Aurélie Filipetti, Lydie Salvayre) », TRANS-[En ligne], 4 | 2007, mis en ligne le 18 juillet 2007, consulté le 06 mars 2016. URL : http://trans.revues.org/192; S. Servoise (dir..), Travail sans fin. Discours et représentations à l’œuvre, Raison publique, n°15, automne 2011, Paris, PUPS, accessible en ligne https://www.raison-publique.fr/article476.html ; S. Bikialo et J.-P. Engélibert (ed.), Dire le travail. Fiction et témoignage depuis 1980, La Licorne, n° 103, Rennes, PUR, 2012 ; C. Grenouillet, C. Vuillermot-Febvet (dir.), La Langue du management et de l’économie à l’ère néolibérale. Formes sociales et littéraires, Strasbourg, PU de Strasbourg, coll. « Formes et savoirs », 2015 ; A. Adler et M. Heck (dir.), Ecrire le travail au XXIe siècle : quelles implications politiques ? Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, coll. « fiction/non-fiction 21 », 2016 ; A. Labadie, Le roman d’entreprise au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, coll. « fiction/non-fiction 21 », 2016.[]
  3. A. Bihr, La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste, Lausanne, Page 2, 2007.[]
  4. Bien souvent ramenée, précisons-le, à quelques-uns des traits que comporte cette idéologie extrêmement composite et très diversifiée quant à ses sources (voir sur ce point S. Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris, Grasset, coll. « mondes vécus », 2012).[]
  5. Le terme revient souvent sous la plume de l’écrivain, pour parler de son propre style (L. Salvayre, « Littérature : un appel vers la liberté », entretien avec S. Servoise en juin 2010 au Forum Raison Publique sur le thème « Les mains libres ? Art et création », Raison publique) ou bien sous la plume de ses narrateurs (comme la narratrice de Portrait de l’écrivain en animal domestique [2007], Paris, Editions du Seuil, coll. « Points », 2009, p. 69. Dorénavant, nous renverrons à cette édition par l’abréviation P.[]
  6. Rappelons que pour Sartre l’engagement en littérature se définit d’abord comme dévoilement du monde et appel à la liberté du lecteur : l’écrivain engagé n’impose pas un point de vue idéologique ou politique, il « a choisi de dévoiler le monde et singulièrement l’homme aux autres hommes pour que ceux-ci prennent en face de l’objet ainsi mis à nu leur entière responsabilité » (J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? [1948], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1985, p. 29). []
  7. Sur la capacité du roman à faire entendre la différence des langues et des discours et sur la signification politique d’un tel geste dans une perspective rancièrienne, nous renvoyons à J.-P. Engélibert, « ″Ressources inhumaines″ : Le nouvel esprit du travail dans quatre romans français contemporains… », art. cit.[]
  8. L. Salvayre, La médaille [1993], Paris, Editions du Seuil, coll. « Points », 2004, p. 29. Dorénavant, nous renverrons à cette édition par l’abréviation LM.[]
  9. L. Salvayre, Portrait de l’écrivain en animal domestique [2007], Editions du Seuil, coll. « Points », 2009, p. 9. Dorénavant, nous renverrons à cette édition par l’abréviation P. []
  10. L’entreprise Bisson ne paraît pas en effet si éloignée de ces Etats totalitaires dont l’organisation, les structures, les moyens de constitution et de maintien ont été analysés par de nombreux philosophes, notamment H. Arendt (« Le totalitarisme » [1951], dans Les Origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2002,p. 610-838) et Cl. Lefort (Un homme en trop, Paris, Le Seuil, 1976). []
  11. LM, p. 102.  []
  12. Ibid., p. 99.  []
  13. « Tu devrais aller voir à Moscou si j’y suis », dit M. Pichard à l’ouvrier qu’il convoque dans sa cabine (ibid.) []
  14. Ibid., p. 27. []
  15. Ibid., p. 28-29.   []
  16. Ibid., p. 28. []
  17. Dans une perspective quelque peu différente, S. Bikialo propose de voir dans Portrait de l’écrivain en animal domestique une adaptation contemporaine du célèbre texte de La Boétie, dans son article « Cette servitude dit volontaire (pensée avec Lydie Salvayre) », dans R. Guidée et P. Savidan (dir.), Dire les inégalités. Représentations, figures, savoirs, Rennes, PUR, 2017, p. 101-110. []
  18. Même lorsque la narratrice ose, une fois dans le livre, à la fin du chapitre 20, exprimer une critique à l’encontre de Tobold, elle est incapable de donner sa pleine mesure à sa colère, et rentre rapidement dans le rang (P., p. 131-132).  []
  19. LM, p. 72.  []
  20. L. Goussard, « Le consentement limité au travail. Résistances et consentements des salariés dans l’ingénierie automobile », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 14 | 2008, mis en ligne le 30 mai 2009, consulté le 14 octobre 2012. URL : http://traces.revues.org/385[]
  21. E. de La Boétie, Le discours de la servitude volontaire, op. cit., p. 179. []
  22. Ibid., p. 181. Nous pourrions voir ici les prémisses d’une pensée de la désobéissance civile (voir S. Laugier et A. Ogien, Pourquoi désobéir en démocratie ?, Paris, La Découverte, 2011).[]
  23. Nous renvoyons notamment à P. Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Le Seuil, 1997 et, du même, La Domination masculine, Paris, Le Seuil, 1998. []
  24. M. Godelier, « La part idéelle du réel : essai sur l’idéologique », L’Homme, XVIII, 3-4, 1978, p. 155-188, p. 179. []
  25. Gus parle explicitement, comme on l’a vu plus haut, de « domination ». Quant à Mlle Pizzuto, si sa lucidité et sa capacité de résistance à l’égard de la domination paternelle sont réelles (elle quitte le foyer parental à seize ans), il n’en est pas de même pour son activité professionnelle. Sans doute lui est-il trop douloureux de constater qu’elle n’a fait que changer de chaînes : elle nourrit l’illusion d’avoir « choisi » son joug, ce qui la dispense de se penser comme étant dominée. []
  26. LM, p. 29.[]
  27. Ibid., p. 55.[]
  28. Ibid., p. 32.[]
  29. Ibid., p. 58.[]
  30. Ibid., p. 102.[]
  31. Ibid., p. 121.[]
  32. Cl. Lefort, « Le nom d’Un », dans E. de La Boétie, Le discours…, op. cit., p. 247-307 et notamment p. 276-285.[]
  33. E. de La Boétie, Le discours…, op. cit., p. 196.[]
  34. Ibid., p. 190 : « Il est vrai de dire qu’au commencement, c’est bien malgré soi et par force que l’on sert ; mais ensuite on s’y fait et ceux qui viennent après, n’ayant jamais connu la liberté, ne sachant même pas ce que c’est, servent sans regret et font volontairement ce que leurs pères n’avaient fait que par la contrainte. Ainsi les hommes qui naissent sous le joug ; nourris et élevés dans le servage sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés, et ne pensant pas avoir d’autres droits, ni d’autres biens que ceux qu’ils ont trouvé à leur entrée dans la vie, ils prennent pour leur état de nature, l’état même de leur naissance. »[]
  35. Nous renvoyons tout particulièrement à N.-Cl. Mathieu, « Quand céder n’est pas consentir » [1985], repris dans L’Anatomie politique. Catégorisations et idéologies du sexe, Donnemarie-Dontilly, Editions iXe, coll. « Racine de iXe », 2013, p. 121-208.[]
  36. Ibid., p. 200.[]
  37. Ibid., p. 199.  []
  38. La contestation de l’analyse bourdieusienne de la domination masculine, menée à partir des analyses développées dans « Quand céder n’est pas consentir », est particulièrement vigoureuse dans « Bourdieu et le pouvoir auto-hypnotique de la domination masculine » [1999], repris dans L’Anatomie politique, 2. Usage, déréliction et résilience des femmes, Paris, La Dispute, 2014, p. 53-89.[]
  39. N.-Cl. Mathieu, « Quand céder n’est pas consentir », op. cit., p. 201.[]
  40. LM, p. 54.[]
  41. E. de La Boétie, Le discours…, op. cit., p. 196.[]
  42. Cl. Lefort, « Le nom d’Un », op. cit., p. 283 : « De fait, s’il fallait croire en la toute-puissance de la coutume, l’on devrait aussi renoncer à l’idée d’un renversement de la tyrannie. »[]
  43. LM, p. 158 pour cette citation et les précédentes.[]
  44. Ibid., p. 159. []
  45. Ibid., p. 161.[]
  46. L. Boltanski et E. Chiapello, Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.[]
  47. E. de La Boétie, Le discours…, op. cit., p. 212.[]
  48. Ibid., p. 215. []
  49. P., p. 18.[]
  50. Ibid., p. 17.[]
  51. E. de La Boétie, Le discours…, p. 216.[]
  52. On notera que la figure de l’écrivain convoquée par Salvayre est l’exact contraire de celle convoquée par La Boétie dans son texte. Celui-ci évoque en effet les poètes de son temps qui se sont mis au service du pouvoir royal, à commencer par Ronsard, dans un passage d’une ironie féroce (ibid., p. 210-211).[]
  53. P., p. 93.[]
  54. La narratrice évoque ainsi ses « convictions politiques, marquées, pour résumer, par un sens aigu de l’injustice sociale, un regrettable goût de l’inconfort matériel et moral, une étanchéité affichée aux slogans de toutes sortes, jointe à une incrédulité tenace quant aux doctrines politico-économiques en vogue et aux bienfaits qu’elles étaient censées apporter à l’humanité » (P., p. 144-145).[]
  55. Ibid., p. 144.[]
  56. Ibid., p. 93.[]
  57. E. de La Boétie, Le discours…, op.cit., p. 203.[]
  58. LM., p. 146.[]
  59. Par exemple : « Et quoique que l’attraction qu’il [Tobold] exerçait sur moi me parût, dans le fond, peu glorieuse, j’y cédais, j’y cédais, à mon corps défendant j’y cédais » (ibid., p. 36).[]
  60. Ibid. Sur la représentation de l’écrivain comme travailleur précaire dans ce roman, nous nous permettons de renvoyer à notre article « L’écrivain, un travailleur comme les autres ? » (sur Portrait de l’écrivain en animal domestique de Lydie Salvayre et Daewoo de François Bon), dans A. Adler et M. Heck (dir.), Ecrire le travail au XXIe siècle : quelles implications politiques ?  op. cit., p. 55-66.[]
  61. P., p. 91 : « Ma vocation littéraire exigeait (croyais-je alors) une vie austère et le renoncement concomitant aux diverses dissipations (surtout sexuelles) qui auraient pu lui porter préjudice ».[]
  62. Cl. Lefort, « Le nom d’Un », op. cit., p. 261.[]
  63. Ibid., p. 10.[]
  64. Ibid., p. 94.[]
  65. Ibid., p. 35.[]
  66. E. de la Boétie, Le discours…, op. cit., p. 175 : « ils [des millions de millions d’hommes »] sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le nom d’un ».[]
  67. P., p. 94.[]
  68. Ibid., p. 131.[]
  69. Cl. Lefort, « Le nom d’Un », op. cit., p. 301.[]
  70. La solitude et l’impossibilité de connaître l’« amitié » est le sort qui échoit inéluctablement au tyran qui, selon La Boétie, n’est jamais entouré que de « complices » (Le discours…, op. cit., p. 221).[]
  71. P., p. 207.[]
  72. L. Salvayre, « Littérature : un appel vers la liberté », art. cit.[]
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