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Exil et héritage : l’enfance et la mémoire de la Shoah dans les romans de Nicole Krauss, L’Histoire de l’amour et La grande Maison.

Pour Clélie Millner, les deux romans de Nicole Krauss désignent leur auteure comme héritière et les romans eux-mêmes comme de possibles palimpsestes : les fictions prétendent humblement à la transmission d’un texte fantôme, inaccessible, qu’elles aident pourtant à se représenter.

Les deux premiers romans traduits en français de Nicole Krauss sont des récits de construction polyphonique qui semblent dessiner une remontée dans les générations : si l’action se déroule toujours implicitement dans un monde contemporain à l’écriture, aux alentours des années 2000, le premier, L’Histoire de l’amour, fait se rencontrer la génération des rescapés des camps et celle de leurs petits-enfants – et le roman, même s’il évoque la mort et la souffrance paraît faire triompher la transmission d’un amour irréductible et salvateur ; tandis que le second, La grande Maison, fait dialoguer davantage la première et la deuxième génération. Celle-ci, qui hérite plus directement du trauma, paraît être le relais d’une inquiétude sans fond. Les deux romans se répondent sur la notion d’héritage et sur le rôle fondateur de l’absence.

L’Histoire de l’amour1est un roman en montage alterné2où se succèdent la voix de Leopold Gursky, vieil écrivain juif polonais, le journal de la jeune Alma Singer et le récit hétérodiégétique de la vie de Litvinoff écrivain sud-américain originaire du même village polonais que Leopold.

Léo Gursky a émigré aux États-Unis après que son village, Slonim, et avec lui sa famille, ont été décimés, pour rejoindre Alma Meriminski, son amour de jeunesse, qui s’est mariée sur le Nouveau Continent pour donner un père à l’enfant qu’elle attend depuis son départ de Pologne. Léo restera à New-York malgré cette immense déception, deviendra serrurier, et observera de loin grandir ce fils qui ne le connaît pas et qui deviendra un écrivain célèbre  ; le journal de la jeune Alma Singer, petite-fille d’immigrés juifs, relate les péripéties de l’adolescente : elle tombe amoureuse, observe sa mère qui ne parvient pas à faire le deuil de son mari, insère des extraits du journal de son petit frère qui pense être un messie et des passages du roman que traduit sa mère de l’espagnol à l’anglais, sur la demande d’un mystérieux correspondant épistolaire.

Ce roman, intitulé L’Histoire de l’amour, est l’objet qui relie les trois récits : il a été écrit en yiddish par Léopold avant la guerre et célèbre ses amours, entre dix et vingt ans, avec Alma Meriminski, il a confié le manuscrit à son ami Litvinoff qui émigrait. Celui-ci, exilé au Chili, croyant son ami mort dans le massacre de Slonim, se décide un jour à traduire le roman en espagnol. Ce livre est lu par David Singer qui l’offre à sa future femme, Charlotte. Ils décident ensemble d’appeler leur fille comme l’héroïne de ce roman de leur amour, Alma. Quant à Alma Meriminski, l’aimée de Leopold, elle lisait des passages du livre envoyé par son ancien amant, à leur petit garçon qui n’a jamais su la véritable identité de son père, Isaac. Celui-ci, devenu à son tour écrivain et rongé par la maladie, soupçonne la vérité sur le texte que lui lisait sa mère et demande à Charlotte Singer de traduire le roman qui relate la rencontre de ses parents.

La grande Maison 3 est lui aussi construit en montage alterné, de façon peut-être plus classique. Interviennent tour à tour différents personnages obsédés par la perte d’un seul et même bureau : Nadia, écrivaine solitaire qui a hérité dans les années 1970 du bureau d’un jeune poète chilien, Daniel Varsky sans doute tué par les tortionnaires du régime de Pinochet ; Arthur, dont la femme récemment disparue, Lotte Berg, grandie à Nuremberg et rescapée d’un ghetto polonais grâce à l’un des derniers Kindertransport4, a composé des romans sur ce même meuble imposant ; Isabel, qui vit une histoire d’amour passionnée avec Yoav dont le père, Weisz, poursuit les mobiliers juifs disparus et recherche désespérément le bureau de son propre père afin de reconstituer à l’identique sa pièce de travail. À ces récits qui se tissent autour du mystérieux bureau s’ajoute celui d’un père israélien, qui ne parvient pas, même après la mort de sa femme, à se rapprocher de son fils Dov, qui a toujours paru porter une souffrance qui dépassait sa propre condition. On comprend à la fin du roman que Nadia, la première à intervenir, s’adresse à Dov, dans le coma, alors qu’elle l’a percuté sur la route. Un court texte dont le narrateur est Weisz lui-même clôt le roman.

Représenter le pire et son héritage

Les rescapés sont présentés comme des exilés de leur enfance : enfants pendant la Seconde Guerre mondiale, ou bien jeunes gens de vingt ans que la Shoah sépare définitivement de leur famille. La survie est un exil qui clive la destinée et assimile la jeunesse à une enfance du temps, presque à une enfance de conte dans le cas de Leopold Gursky, le héros de L’Histoire de l’amour. Les héritiers sont quant à eux toujours perçus comme une génération seconde, celle que les premiers ont tenté de protéger, celle qui a subi l’extrême violence de façon différée : une génération qui, même adulte, est toujours considérée dans l’enfance par leurs aînés, dans l’enfance éternelle de ceux qui n’ont pas connu la guerre qui a massacré la leur. L’enfance est comme un lieu où tous les personnages, dès lors, résident, assignés à un temps arrêté, temps de mort et temps d’espoir mêlés.

Ce choix du lien répété entre l’enfance et la guerre, ou plus exactement ici entre l’enfance et la Shoah, est dicté par une donnée objective : ces récits publiés et situés dans les années 2000 parlent de survivants, la majorité d’entre eux étaient des enfants ou des adolescents dans les années 1940. Il pourrait s’agir de la part de Nicole Krauss d’un « effet de réel », d’une exigence de vraisemblance et d’un désir affirmé d’écrire au présent.

Mais il nous semble que la mise en scène de l’enfance participe, chez cette auteure, d’un choix éthique. La Shoah n’est jamais représentée : les personnages sont des enfants qui ont été arrachés à leurs parents à temps. Ils ne font que deviner ce qui n’a pas été vécu : ils subissent l’assaut de leur imagination, sans pouvoir fixer le réel passé dans des images. Il semblerait que l’esthétique de Nicole Krauss soit en accord avec l’exigence éthique formulée par Jean- François Lyotard dans Heidegger et les Juifs en réponse à la question de l’écrire après Auschwitz : l’idée selon laquelle la Shoah doit être « représentée », sans être « inscrite ».

En représentant, on inscrit en mémoire, et cela peut sembler une bonne garde contre l’oubli. C’est, je crois, le contraire. Ne peut s’oublier au sens courant, que ce qui a pu s’inscrire, parce qu’il pourra s’effacer. Mais ce qui n’est pas inscrit, faute de surface inscriptible, faute d’une durée ou d’un lieu objet l’inscription se situe, – cela qui n’a pas de place dans l’espace ni le temps de la domination, dans la géographie et la diachronie de l’esprit fort de soi, parce qu’il n’est pas synthétisable, – disons : ce qui n’est pas matière à expérience parce que les formes ou formations de l’expérience, même inconsciente, celle que produit le refoulement secondaire, lui sont inaptes et ineptes, cela ne peut pas s’oublier, n’offre pas de prise à l’oubli, – cela reste présent « seulement » comme une affection qu’on n’arrive même pas à qualifier, comme un état de mort dans la vie de l’esprit. Il faut, assurément, il faut inscrire en mots, en images. Pas question d’échapper à la nécessité de représenter. Ce serait le péché même, de se croire saint, sauf. Mais c’est une chose de le faire en vue de sauver la mémoire, une autre d’essayer de réserver le reste, l’oublié inoubliable, dans l’écriture5.

« Réserver les restes » correspond chez Lyotard à une exigence de perpétuer la mémoire sous forme de hantise : la gageure de représenter sans inscrire signifie construire par le biais de l’œuvre artistique l’image d’une mémoire spectrale qui, ne pouvant se figer, ne peut pas non plus s’effacer. Or la Shoah pour ces jeunes personnages est le drame de l’absence et de l’imagination, insituable et irreprésentable : dans L’Histoire de l’Amour, le personnage de Léo Gursky raconte sa fuite dans la forêt quand arrivent les Nazis à Slonim, il raconte entendre les coups de feu, mais ne pas entendre les cris6. Ces cris sont trop distants pour lui, ou ont été refoulés : cités dans leur absence même, ils dessinent au cœur du roman une mémoire, ou une épouvante, spectrale. Quant à Litvinoff, parti avant les massacres, il se représente le sort de ses proches à l’aide d’une périphrase qui tient lieu d’euphémisme, « la vérité » et cet euphémisme est à son tour allégorisé par un éléphant qui occupe tout l’espace vital :

The War ended. Bit by bit, Litvinoff learned what had happened to his sister Miriam, and to his parents, and to four of his other siblings (what had become of his oldest brother, Andre, he could only piece together from probabilities). He learned to live with the truth. Not to accept it, but to live with it. It was like living with an elephant. His room was tiny, and every morning he had to squeeze around the truth just to get to the bathroom. To reach the armoire to get a pair of underpants he had to crawl under the truth, praying it wouldn’t choose that moment to sit on his face. At night, when he closed his eyes, he felt it looming above him.

La guerre s’acheva. Petit à petit, Litvinoff apprit ce qu’il était advenu de sa sœur Miriam, et de ses parents, et de quatre autres frères et sœurs (ce qui était arrivé à son frère aîné, André, il ne peut le deviner qu’à partir de probabilités). Il apprit à vivre avec la vérité. Pas à l’accepter mais à vivre avec. C’était comme s’il vivait avec un éléphant. Sa chambre était minuscule et, chaque matin, il devait se glisser le long de la vérité simplement pour se rendre à la salle de bains. Pour atteindre l’armoire et sortir des sous-vêtements, il lui fallait passer à quatre pattes sous a vérité, en priant pour qu’elle ne choisisse pas ce moment précis pour s’asseoir sur son visage. La nuit, quand il fermait les yeux, il la sentait planer au-dessus de lui 7

La première génération est ainsi hantée par la Shoah sans que celle-ci ne soit représentée. Elle est évoquée en une image dialectique comme un poids omniprésent et comme une absence abyssale, irréversible, les personnages « enroul[ant] leur mémoire autour d’un vide8». Elle peut être symbolisée, dans La grande Maison, par le bureau que cherche désespérément Weisz pour reconstituer la pièce de travail de son père le jour où il a été arrêté à Budapest et dont l’absence crée selon sa fille Leah un « trou béant9», alors que ce même bureau est pour Arthur, le mari de Lotte, l’allégorie même de la mort, décrite en des termes proches de ceux de l’éléphant de Litvinoff10. Arthur quant à lui comprend que Lotte livre des bribes de son passé cauchemardesque sous la forme « d’un théâtre d’ombres chinoises11» et qu’« [a]u centre d’elle-même, il y avait cette perte abyssale12». Génération hantée, les rescapés survivent dans le silence ou la symbolisation.

Dans ce même roman, la génération suivante hérite du manque sous la forme d’un profond malaise13. Certains subissent un sort tragique, comme un malheur à retardement : Daniel Varsky a sans doute été torturé et assassiné par le régime de Pinochet qui employait d’anciens dignitaires nazis. Le régime de Pinochet, comme dans les romans de Bolaño14, paraît ainsi être la résurgence déplacée du Troisième Reich. L’ombre du tortionnaire plane jusqu’à la fin du roman où Arthur parle de son arrestation à la fin des années 1990, à Londres. Le fils de Lotte, adopté, est mort au même âge que Varsky, une vingtaine d’années, sans que le lecteur ne connaisse la cause de sa disparition, mais sa mère adoptive conclut qu’une mère ne peut protéger son enfant « – ni de la douleur, ni de l’horreur, ni du cauchemar de la violence, ni des trains plombés filant dans la mauvaise direction, ni de la perversité des inconnus, ni des trappes, ni des abîmes, ni des incendies, ni des voitures sous la pluie, ni du hasard15». Les drames et les époques se superposent dans cette perte qui ne paraît pas pouvoir être évitée, mais au centre de l’énumération figure la déportation vers les camps de la mort, qui fut le sort des parents mêmes de Lotte, des grands-parents biologiques de l’enfant. Les personnages qui ont la chance de vieillir parlent de leur « sentiment orphelin16», et plus généralement, les enfants, « plus proche[s] […] de l’essence des choses17» expriment une épouvante que les adultes perçoivent avec effroi : Dov dès la naissance, selon son père, exprime une souffrance sans nom qui inspire la culpabilité18; dans les yeux de son fils, la mère adoptive de l’enfant de Lotte voit passer « un désespoir très ancien19» et Nadia est poursuivie par des cris d’enfant, réels et imaginaires.

Dans L’Histoire de l’amour, la deuxième génération est assez peu présente, mais c’est la troisième qui fait le lien avec les survivants. Alma Singer et son frère ressentent un malaise diffus, le jeune garçon ne cesse de tomber et de se faire mal, il n’a pas d’amis, la jeune fille ne lit que des livres sur la survie en milieu hostile. Leur tristesse est certes liée au deuil du père, mais aussi, de façon plus discrète à cette « odeur des livres que [leur grand-père] avait rapportés de Pologne20» qu’Alma cite parmi les choses importantes que lui a transmises sa mère. Or une nouvelle généalogie se dessine : alors qu’Alma est à la recherche d’Isaac qui a été à l’origine de la traduction de L’Histoire de l’Amour, ses pas la mènent à Léo Gurski : elle pense rencontrer un homme que pourrait aimer sa mère, et va à la rencontre du père de celui-ci, tandis que son frère, Bird, est convaincu qu’Alma a découvert que son père n’était pas celui qu’ils pensaient tous deux et qu’en Léo Gursky, elle a retrouvé son père caché. Génération sacrifiée, la deuxième n’apparaît que sous forme de relais à l’avènement du livre écrit par L. Gursky, mais c’est la troisième génération, à travers le personnage d’Alma, nommée comme la jeune fille aimée avant la guerre, qui renoue avec les rescapés, qui en est plus directement l’héritière.

Les romans de Nicole Krauss peuvent ainsi se lire comme une représentation du processus de transmission de la mémoire. Les survivants tentent de vivre avec le passé traumatique, tandis que les descendants en héritent de manière déplacée, comme en anamorphose.

La mémoire a ainsi un impact différent sur les générations. Les rescapés se taisent et tentent, parfois, de reconstituer quelque chose de leur passé. Un parallèle explicite est introduit avec la vie de Freud lui-même dans La grande Maison. Isabel, la petite-amie de Yoav se rend régulièrement à la dernière demeure de Freud à Londres, après son exil forcé de Vienne pour fuir la Gestapo, et elle s’étonne du souci de reproduction très exact de la part de Freud de son appartement viennois :

When Freud fled Vienna almost all of his belongings were crated up and shipped to the new house in London, where his wife and daughter lovingly reassembled, down to the last possible detail, the study he’d been forced to abandon at 19 Berggasse. At the time I didn’t know anything about Weisz’s study in Jerusalem, and so the poetic symmetry of the house’s nearness to Freud’s was lost on me. Maybe all exiles try to re-create the place they’ve lost out of their fear of dying in a strange place. And yet, during the winter of 1999, when I would linger on the worn Oriental rug in the doctor’s study, comforted by the hominess of the place and the sight of his many figurines ant statuettes, I was often struck by the irony that Freud, who shed more light that anyone onto the crippling burden of memory, had been unable to resist its mythic spell any better than the rest of us.

Lorsque Freud s’enfuit de Vienne, presque toutes ses possessions furent emballées et expédiées vers la nouvelle demeure londonienne où sa femme et sa fille réaménagèrent avec amour, dans le moindre détail, le bureau qu’il avait été forcé d’abandonner au 18, Berggasse. A l’époque, je ne savais rien du bureau de Weisz à Jérusalem, si bien que la poétique symétrie de la proximité de cette maison et de celle de Freud m’échappa. Peut-être tous les exilés cherchent-ils à recréer les lieux qu’ils ont perdus, par peur de mourir dans un endroit étranger. Et pourtant, durant l’hiver 1999, alors que je m’attardais sur le tapis d’orient usé du cabinet du docteur, rassurée par le côté accueillant de la pièce et le spectacle de ses nombreuses figurines et statuettes, j’étais souvent frappée par l’ironie qui voulait que Freud, qui fit davantage que quiconque la lumière sur le poids paralysant de la mémoire, aurait été tout aussi incapable que le reste d’entre nous de résister à son charme mythique21.

L’entreprise de Weisz trouve ainsi un écho dans la démarche même du père de la psychanalyse et semble sceller l’impossible détachement au passé traumatique. Mais cette présence freudienne se lit surtout, de façon plus implicite, dans la question de la Nachträglichkeit, l’après-coup. C’est ainsi que l’on peut interpréter toutes les manifestations du malaise éprouvé par la génération des héritiers que nous avons citées plus haut. Dans La grande Maison, un exemple du déplacement à retardement de l’événement traumatique est particulièrement marquant. Isabel accompagne Yoav en Suisse chez un revendeur de meubles. Or elle se demande pendant un long moment si cet homme n’est pas Heinrich Himmler ressuscité tant elle trouve la ressemblance troublante. Elle se lève la nuit et découvre la présence d’un enfant qui leur avait été caché, qu’elle prend un instant pour un fantôme. Plus tard, elle le porte, endormi, jusqu’à une pièce remplie de formes indistinctes dans l’obscurité. Un enfant endormi, presque anonyme, dans ses bras, elle découvre une scène d’un autre temps :

[…] shadows, I soon was able to make out, that they were crowded with shapes of various sizes assembled in long rooms, a great, melancholy mass that seemed to extend in all directions before dissolving into the far larger corners of the vaulted hall. Although I could see very little, I sensed what the shapes were. Il was suddenly riminded of a photograph I’d across some years earlier while researching the work of Emanuel Ringelblum for one of my college history courses, an image of a large group of Jews in Umschlagplatz, adjacent to the Warsaw Ghetto, all of them crouching or sitting on shapeless bags or on the ground, awaiting deportation to Treblinka.

[…] une pénombre dans laquelle je ne tardai pas à discerner une foule de formes de taies variées disposées en longues rangées, une grosse masse mélancolique qui paraissait d’étendre dans toutes les directions avant de se dissoudre dans les coins les plus reculés de la salle voûtée. Malgré le peu de visibilité, je devinai ce qu’étaient ces formes. Elles me rappelèrent soudain une photo sur laquelle j’étais tombée, des années plus tôt, en faisant des recherches sur l’œuvre d’Emanuel Ringelblum pour l’un de mes cours d’histoire, à l’université, l’image d’un important groupe de juifs sur l’Umschlagplatz, adjacente au ghetto de Varsovie, tous accroupis ou assis sur des sacs informes ou par terre, attendant leur déportation vers Treblinka 22 

Liant ainsi indissociablement enfance et résurgence du pire, le personnage est le jouet de cet après-coup analysé par Freud. La résurgence de souvenirs chez Freud s’accompagne en effet d’un oubli antérieur qui est à l’origine-même de l’« après-coup » : en ce qui concerne la psychologie individuelle, cette « restauration du passé » ne peut avoir lieu que grâce à ce temps de « latence23» qu’est l’intervalle – souvent long – de l’oubli. Freud généralise cette caractéristique de la névrose humaine à la psychologie des masses, masses qui selon lui conservent elles aussi « dans l’inconscient des traces mnésiques du passé24» constituant un « héritage archaïque » partagé. Ces traces inconscientes peuvent se frayer un chemin vers la conscience, mais elles sont alors entravées par une résistance telle, ce que Freud nomme un « contre-investissement25», que leur surgissement est nécessairement travesti, déplacé. Si cette analyse freudienne concerne avant tout une interprétation de l’histoire de la religion juive et justifie dans ce sens, comme l’écrit Derrida, une « obéissance ”différée” (nachträglich)26» au prophète, le processus d’un retour du refoulé collectif peut être envisagé en-dehors des cadres stricts du judaïsme, comme le mécanisme même de la mémoire d’une communauté.

Appels de la nostalgie et du désir

Chez Nicole Krauss cependant, cette souffrance en après-coup s’accompagne d’une forme d’espoir. La latence, qu’elle soit vide de l’absence ou silence de l’oubli, est la condition d’un possible surgissement, qui peut tout aussi bien être le retour douloureux du refoulé que l’avènement d’un désir de vie. Il ne s’agit pas de prôner une réconciliation de la mémoire, la hantise se perpétue bien dans les romans, mais de désigner de façon simultanée le manque comme possible appel du désir. Au-delà d’un sentiment crucial partagé, le manque est en effet la clé diégétique de la structure narrative des œuvres.

Dans le premier roman, tous les personnages sont liés par un manuscrit écrit en yiddish par Léo Gursky, L’Histoire de l’amour, que Litvinoff a enfermé dans un tiroir de bureau, et que sa femme a décidé de détruire dans une inondation. L’origine yiddish du livre a donc disparu mais il survit dans ses traductions espagnole et anglaise ; dans le second roman, les personnages sont reliés entre eux par un mystérieux bureau, sur lequel plusieurs écrivains composent leurs œuvres (Lotte, Nadia et s’immisçant entre elles dans la chronologie le Chilien Daniel Varsky) et l’un des tiroirs en est hermétiquement fermé et la clé perdue. Dans ce tiroir, Weisz révèle à la fin, qu’il n’y a rien : son père le lui avait octroyé et il n’avait enfermé que le vide.

Les deux romans désignent en leur cœur une origine absente, origine d’écriture disparue ou désignée comme un vide essentiel. Cette origine n’est pas sans rappeler la définition de « l’origine tourbillon » de Walter Benjamin auquel Nicole Krauss voue une grande admiration : origine qui n’a rien d’une genèse, d’un point fixe à partir duquel penser un développement linéaire, mais qui est un élément qui réapparaît, resurgit, « ce qui est en train de naître dans le devenir et le déclin27», qui revient de manière toujours transfigurée, ce qui rend l’origine toujours accessible et toujours déplacée. Ici, le manque originel habite les personnages et trouve une figuration spatiale dans le bureau d’un écrivain dans les deux romans, il est à la fois le signe d’un vide ontologique – vide à la fois synonyme d’un manque essentiel et propice à la naissance du désir – et celui d’un événement qui crée une césure, vide du trauma de la Shoah. Chez Nicole Krauss, la question de l’absence et de la disparition est toujours double – ontologique et historique, existentielle et traumatique, sans que l’un des aspects ne paraisse prendre l’ascendant sur l’autre. Le vide, appel du désir, est une condition de l’espoir, mais jamais la mémoire ne se trouve pour autant réconciliée. Comme si les deux pans du vide jouaient entre eux sans jamais se résoudre.

Cela peut se lire dans la confrontation de deux déclarations de Nicole Krauss. La première dans un entretien publié dans The Observer:

It [had] something – or everything to do with – the fact that my grandparents came from these places that we could never get back to, because they’d been lost. And people were lost. My great-grandparents and lots of great-uncles and aunts died in the Holocaust. Maybe it is something inherited in the blood, a sense of loss of a thing and a longing for it.

Cela à quelque chose à voir – ou tout à voir – avec le fait que mes grands-parents venaient de ces lieux où l’on ne pouvait jamais faire retour, parce qu’ils avaient été perdus. Et les gens avaient été perdus. Mes arrière-grands-parents et beaucoup de mes grands-oncles et tantes sont mort dans l’Holocauste. Peut-être est-ce quelque chose dont on hérite dans le sang, un sens de la perte de quelque chose et le désir ardent de cette chose28.

Cette constatation entre en écho avec la dédicace de L’Histoire de l’amour : sous quatre portraits des années 1940, Nicole Krauss écrit : « Pour mes grands-parents, qui m’ont appris le contraire de la disparition29».

La perte et la disparition se renversent sans cesse dans un jeu dialectique : le lieu de l’origine a disparu et provoque un fort sentiment de nostalgie, au sens étymologique : un désir de retour impossible, puisque les familles ont été décimées, puisque la jeunesse a été massacrée par l’histoire. Et malgré cette souffrance, la nostalgie chez Krauss prend aussi le sens paradoxal du mot allemand Sehnsucht qui désigne à la fois la nostalgie comme souffrance de la perte et un désir tourné vers l’avenir, une aspiration. Les personnages qui ont survécu ne peuvent se remettre de la Shoah, mais ils vont tout faire pour qu’advienne une présence autre.

Celle-ci peut s’avérer paradoxalement mortifère, comme dans la démarche de Weisz dans La grande Maison. Le personnage cherche les meubles qui ont été raflés par les Nazis, il accueille des survivants, qui étaient pour la plupart enfants pendant la Seconde Guerre mondiale, qui lui décrivent un meuble qu’ils aimeraient retrouver : celui-ci le traque alors jusqu’à pouvoir le leur restituer. Pressé par le temps, il présente parfois aux clients un meuble qui n’est que ressemblant, et ceux-ci acceptent la supercherie pour trouver l’apaisement. Il explique que « à la différence gens, […] l’inanimé ne disparaît jamais30». Weisz lui-même n’a de cesse de reconstituer la pièce où son père travaillait au moment de son arrestation à Budapest en 1944. Tous les meubles, les tableaux, sont peu à peu retrouvés. Seul manque le bureau, qui laisse une place béante dans la pièce. Quand Weisz peut s’y asseoir, dans le tout dernier passage du roman, on peut lire un nouveau retournement :

I reached out my hand and ran my fingers across the dark surface of the desk. There was a few scratches, hut otherwise those who had sat at it had left no mark. I knew the moment well. How often I had witnessed in the others, and yet now it almost surprised me: the disappointment, then the relief of something at last sinking away.

Je tendis la main et passai les doigts sur la surface sombre du bureau. Il y avait deux ou trois égratignures, mais à part cela, ceux qui s’y étaient assis n’avaient laissé aucune marque. Je connaissais bien cet instant. Combien de fois l’avais-je observé chez d’autres, et pourtant, à présent, il me surprit presque : la déception, puis le soulagement de quelque chose qui disparaissait enfin31.

Ce qui disparaît ici, c’est le vide-même. Le manque qui provoque la souffrance et le désir qui meut la quête. Juste après cette découverte, Weisz se suicide, soulagé de sa nostalgie comme du désir qui le maintenaient en vie.

De façon plus positive, dans L’Histoire de l’amour, Léo Gursky raconte une anecdote qui fait directement écho à la dédicace de Nicole Krauss  : son cousin tente de le photographier, mais il n’apparaît jamais sur les clichés développés, ceux-ci ne saisissent que l’absence. Gursky ne s’en étonne pas. Cependant, il continue d’essayer. Et peu à peu, il perçoit un mouvement, une silhouette, jusqu’à ce que son visage apparaisse après plusieurs années. Sa vie sera elle aussi « le contraire de la disparition32» écrit-il. C’est ainsi également que l’on peut lire la progression de la diégèse : Léo Gursky cherche chaque jour à être vu, il fait des esclandres dans les cafés pour être remarqué, il postule pour être modèle d’une école de dessin afin d’être regardé toute une journée : il ne veut pas mourir un jour où personne ne pourrait témoigner l’avoir vu. Son principal témoin, c’est Bruno, son ami d’enfance retrouvé par hasard sur un trottoir de New-York, qui habite au-dessus de chez lui et avec lequel il communique quotidiennement. Or la fin du roman révèle que Bruno n’est qu’un fantôme de son enfance, qui est mort avec les autres à Slonim. Il part au rendez-vous avec Alma Singer, pense apercevoir un fantôme encore une fois, mais en réalité, la fin du roman est la rencontre avec son apparition-même au monde. Alma, jeune fille réelle des années 2000, le voit et lui révèle l’existence de son roman, L’Histoire de l’amour, dans des traductions étrangères. Peut-être cette réconciliation arrive-t-elle in extremis : l’excipit laisse entendre que cette rencontre est peut-être également celle de la mort pour Léo Gursky.

De même, les enfants qui héritent de la nostalgie, héritent également du désir, d’une aspiration au « contraire de la disparition ». Ce désir se manifeste d’abord par la capacité d’aimer : chacun des trois personnages principaux de L’Histoire de l’amour vit une grande histoire : Léo avec Alma Meriminski, Litvinoff avec Rosa, Alma avec Micha et le couple des parents d’Alma est également évoqué comme un couple très amoureux. Dans La grande Maison, Leah demande à Isabel de revenir auprès de son frère Yoav car ils n’ont pu s’oublier l’un l’autre. Mais le désir et l’espoir prennent également une autre forme, plus spécifique : au sein de la troisième génération, on trouve deux figures de messie : Bird, le frère d’Alma, pense être un lamed vovnik33, tandis que le fils d’Isabel et Yoav, seul héritier cité dans La grande Maison – tous les désirs d’enfant paraissant avortés – se prénommera David, comme le célèbre roi à l’origine de la lignée du Messie dans la Torah. Le personnage de Bird est naïf et maladroit et cette référence n’est sans doute pas à prendre de façon littérale (comme le montre l’ironie du passage cité en note), celui de David ne fait qu’apparaître très rapidement. Cependant, à travers ces personnages s’ouvre la possibilité d’un espoir, la perspective d’une fin à l’errance, de manière toujours asymptotique. L’image de cet avenir messianique est développée par Weisz de façon métaphorique à la fin La grande Maison. Cette maison à reconstruire, qui donne son titre au roman, c’est d’un point de vue diégétique le travail auquel s’attelle Weisz qui cherche l’éclat du soleil sur le plancher dans le récit de ses clients et qui meuble sa propre maison de Jérusalem en reconstituant la maison de ses parents à Budapest. Mais c’est aussi la métaphore, inspirée par le rabbin Ben Zacchai (Ier siècle), citée par Weisz comme un dévoilement in extremis, du lieu à porter en soi pour les Juifs chassés de Jérusalem par les Romains, et d’un texte de lois :

Turn Jerusalem into an idea. Turn the Temple into a book […]. Bent a people around the shape of what they lost,and let everything mirror its absent form. Later his school became known at the Great House […] Two thousand years have passed, my father used to tell me, and now every Jewish soul is built around the house that burned in that fire, so vast that we can, each one of us, only recall the tiniest fragment: a pattern on the wall, a knot in the wood of a door, a memory of how light fell across the floor. But if every Jewish memory were put together, every last holy fragment joined up again as one, the House would be built again, said Weisz, or rather the memory of the House so perfect that it would be, in essence, the original itself. Perhaps that is what they mean when they speak of the Messiah: a perfect assemblage of the infinite parts of Jewish memory.

Faites de Jérusalem une idée. Faîtes du Temple un livre […]. Enroulez un peuple autour de la forme de ce qu’il a perdu et laissez chaque chose refléter la forme absente. Par la suite, son école fut connue sous le nom de la Grande maison […]. Deux mille ans ont passé, me disait mon père, et aujourd’hui chaque âme juive est construite autour de la maison qui brûla dans un incendie, si vaste que nous ne pouvons, autant que nous sommes, nous en rappeler qu’un minuscule fragment : un motif dans le mur, un nœud dans le bois d’une porte, une réminiscence de la façon dont la lumière tombait sur le sol. Mais si tous les souvenirs juifs étaient réunis, tous les fragments sacrés, jusqu’au dernier, joints en un seul, la Maison serait reconstruite de nouveau, dit Weisz, ou plus exactement un souvenir de la Maison, si parfait qu’elle serait essentiellement celle des origines. C’est sans doute ce que l’on veut dire quand on parle du Messie : un assemblage parfait de la mémoire juive34.

Nicole Krauss joue avec cette référence messianique, présentant des personnages de messie quelque peu ridicules ou outranciers dans chacun de ses romans traduits en français, jusqu’au dernier, Forêt obscure35, dans lequel le personnage principal, Epstein, en vieillissant, se trouve à la fois obsédé par la mémoire de ses parents rescapés de la Shoah et assailli par un rabbin charismatique et grotesque qui lui soutient qu’il est de la lignée de David. La figure du messie qui revient cependant comme un leitmotiv est une autre des formes de l’héritage et se définit ici comme l’image dialectique de la mémoire et de l’espoir d’un avènement. Chaque enfant semble porteur d’une dimension messianique, dans le sens où il est le détenteur d’un tesson de cette mosaïque toujours en construction. Chaque enfant rapproche le peuple juif à la fois de retrouvailles avec son passé et d’un avenir plus heureux. Cette mosaïque, métaphore du lien d’une communauté, est un ouvrage qui tient par la transmission, celle de la mémoire, celle de l’enfance, celle du livre.

L’enfance instaure ainsi dans les récits de Nicole Krauss un certain rapport au texte : se retrouvent en elle la relation au livre dans le judaïsme, l’injonction à lire et à écrire, tout comme l’existence d’un texte sans cesse augmenté et recommencé. La voix de l’enfance a disparu, comme le yiddish que ne peuvent plus parler entre eux Léo et Bruno36, comme le manuscrit premier de L’Histoire de l’amour, cependant ce roman d’enfance devient texte palimpseste qui autorisera tous les autres : celui de ce roman lui-même qu’Alma Singer retranscrit par bribes, traduites en anglais, dans son journal, l’écriture de conte qui parsème le récit de Léo Gurski, mais aussi le nouveau livre qu’il rédige, lui qui pensait ne plus jamais pouvoir écrire après le massacre de Slonim37, qui porte un titre à l’optimisme outrancier, Des Mots pour tout, et dont le manuscrit sera par erreur attribué à son fils Isaac. De même, même si c’est de façon moins appuyée, le tiroir vide de mots dans La grande Maison fera naître les nouvelles et les romans écrits par Lotte et Nadia, la poésie de Daniel Varsky.

L’enfance et la mort, la disparition et la renaissance se mêlent inextricablement dans le roman comme pour désigner cette transmission et cet irréductible lien entre l’anéantissement passé, sa mémoire vive, l’ouverture à l’avenir et la littérature. Ainsi le roman La grande Maison se termine-t-il (d’un point de vue chronologique, le texte ne respectant pas une temporalité linéaire) sur une double annonce décalée : celle du suicide de Weisz, qui a lieu plusieurs années avant qu’Isabel ne l’apprenne, et celle de la naissance de son petit-fils David, qui héritera du bureau mais dont les parents se sont en partie libérés de l’emprise du passé. L’Histoire de l’amour, quant à lui, postule l’écriture-même du roman comme une image dialectique. Léo Gursky a en effet commencé sa carrière en écrivant la mort, puisqu’il rédigeait des nécrologies de Juifs célèbres (Ossip Mandelstam et Isaac Babel par exemple), parmi lesquelles figurait la sienne propre. Un jour qu’il était très malade, son ami Litvinoff a lu et relu à voix haute la nécrologie de son ami en veillant ce dernier, convaincu de le maintenir en vie Joost Krijnen compare Litvinoff dans cette scène à une Schéhérazade moderne qui repousse la mort grâce au récit ou, plus largement, grâce à la littérature38. L’écriture de la mort a suspendu la mort réelle et Gursky a survécu. Litvinoff, pensant que son ami d’enfance a été tué par les Nazis, a ensuite exigé que cette nécrologie figure à la fin de sa traduction de L’Histoire de l’amour, comme une signature cachée. Et elle clôt également le roman homonyme de Nicole Krauss. Par un jeu de mises en abyme, le texte qui était à la fois origine de l’écriture – le premier texte de Gursky – et annonce de la mort de l’écrivain est promesse de renaissance et de transmission.

Dans les deux cas les titres des romans de Nicole Krauss désignent leur auteure comme héritière et les romans eux-mêmes comme de possibles palimpsestes : les fictions prétendent humblement à la transmission d’un texte fantôme, inaccessible, qu’elles aident pourtant à se représenter, dans la nostalgie et le désir recommencés : L’Histoire de l’amour décompose et recompose un livre palimpseste et son cheminement, tout en déplaçant ses attentes dans le monde contemporain au lecteur, La grande Maison laisse planer l’idée que le roman qu’on est en train de lire est un tesson de la mosaïque, cette grande maison n’étant jamais qu’un idéal asymptotique. Irréconciliable, la mémoire est transmise malgré tout, tout en autorisant d’autres enfances et d’autres écritures.

 

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NOTES

  1. N. Krauss, The History of Love, New-York – London, W. W. Norton & Compagny, 2005, que nous abrégerons désormais en HL; L’Histoire de l’amour, traduit de l’anglais (États-Unis) par B. Hoepffner, avec la collaboration de C. Goffaux, Paris, Gallimard, 2006, désormais abrégé en HA.[]
  2. Nous empruntons cette dénomination, inspirée du vocabulaire d’analyse cinématographique, à Jean-Pierre Morel. Le montage alterné désigne une construction diégétique qui repose sur l’alternance de séquences narratives distinctes. Voir Jean-Pierre Morel, « Montage, collage et discours romanesque dans les années trente », Théâtre des années 20, collage et montage au théâtre et dans les autres arts, Lausanne, La Cité, L’Âge d’homme, 1978, p.38-73.[]
  3. N. Krauss, Great House, New-York, London, W. W. Norton & Compagny, 2010, désormais abrégé en GH; La grande Maison, traduit de l’anglais (États-Unis) par P. Guivarch, Paris, Éditions de l’Olivier, 2011, désormais abrégé en GM.[]
  4. Nom d’une opération de sauvetage clandestine qui a permis à des centaines d’enfants juifs allemands de se réfugier en Grande-Bretagne, laissant derrière eux leur famille.[]
  5. J.-Fr. Lyotard, Heidegger et les Juifs, Paris, Galilée, 1988, p. 51-52.[]
  6. HL, p. 8 : . « I lay still on the ground. Dogs barked in the distance. Hours went by. And then the shots. So many shots. For some reason, they didn’t scream. Or maybe I couldn’t hear their screams. Afterwards, only silence. My body was numb, I remember I tasted blood in my mouth. I don’t know how much time passed. Days. I never went back »; HA, p. 22-23: « Je suis resté immobile sur le sol. Des chiens aboyaient au loin. Les heures passaient. Et puis les coups de feu. Tant de coups de feu. Je ne sais pas pourquoi, ils n’ont pas crié. Ou peut-être ne pouvais-je pas entendre leurs cris. Plus tard, rien que le silence. Mon corps était paralysé, je me rappelle que j’avais un goût de sang dans la bouche. J’ignore combien de temps s’est écoulé. Des jours. Je ne suis jamais retourné là-bas ».[]
  7. HL, p. 156 ; HA, p. 297.[]
  8. GH, p. 275: « They’ve bent their memories around a void »; GM, p. 387.[]
  9. GH, p. 116 : « a gaping hole », GM, p.164, traduction légèrement modifiée, l’expression anglaise nous paraissant plus marquante que la traduction française choisie, « un grand trou ».[]
  10. .GH, p. 278 : « As if death itself were living in that tiny room with us, threatening to crush us, I whispered. Death that invaded every corner, and left so little room » ; GM, p.391 : « On eût dit que la mort elle-même vivait dans cette pièce minuscule avec nous, menaçant de nous écraser, murmurai-je. La mort qui investissait tous les coins de la pièce et nous laissait si peu d’espace ».[]
  11. GH, p. 246 : « a shadow play » ; GM, p.346.[]
  12. GH, p. 79 : « At the center of her was her abysmal loss »; GM, p. 114.[]
  13. Deux femmes ne souhaitent pas avoir d’enfant, Lotte et Nadia, cependant elles recréent l’une et l’autre une forme de généalogie qui justifie l’héritage (en l’occurrence, celui du bureau) : Lotte donne son bureau à Daniel Varsky et son mari Arthur suppose qu’elle voit en lui le fils qu’elle aurait pu avoir ; Nadia le confie à Leah Weisz qui prétend être la fille de Varsky et Nadia est frappée par la ressemblance entre la jeune femme et le poète chilien qui ne sont pourtant liés par aucune parenté. Ce jeu de généalogie imaginaire se retourne cependant en un héritage légitime : le bureau devient la propriété de Leah, qui est bel et bien la petite-fille de celui qui le possédait jusqu’à sa déportation.[]
  14. R.  Bolaño, par exemple, Estrella distante, Barcelona, Editorial Anagrama, 1996 ; Étoile distante, traduit de l’espagnol (Chili) par R. Amutio, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2002 ; ou encore El Tercer Reich, Barcelona, Editorial Anagrama, 2010 ; Le Troisième Reich, traduit de l’espagnol par R. Amutio, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2010. Il est à noter que ce dernier livre a été publié de manière posthume, Bolaño l’ayant écrit en 1989 et étant décédé en 2003.[]
  15. GH, p. 270-271 : « No matter how vigilant, in the end a mother can’t protect her child – not from pain, or horror, or the nightmare of violence, from sealed trains moving rapidly in the wrong direction, the depravity of strangers, trapdoors, abysses, fires, cars in the rain, from chance »; GM, p. 381.[]
  16. GH, p. 21 : « [an] orphaned feeling » ; GM, p. 35.[]
  17. GH, « the tiniest bit closer than the rest of us to the essence of things »; GM, p. 251.[]
  18.  GH, p. 176 ; GM, p. 249.[]
  19. GH, p. 270 : « some long-unrelieved desperation » ; GM, p. 380.[]
  20. HL, p. 180: « The smell of the old books her father brought from Poland »; HA, p. 344.[]
  21. GH, p. 110-111; GM, p. 156-157.[]
  22. HL, p.155 ; HA, p. 219.[]
  23. S. Freud, L’homme Moïse ou la religion monothéiste [1939], traduit de l’allemand par Cornélius Heim, Paris, Gallimard, 1986, p. 158.[]
  24. Ibid., p. 188.[]
  25. Ibid. p. 189.[]
  26. J. Derrida, Mal d’archive, Paris, Galilée, 1995, p. 127.[]
  27. W. Benjamin, Origine du drame baroque allemande, traduit de l’allemand par S. Muller, avec le concours de A. Hirt, Paris, Gallimard, Flammarion, 1985, p. 43.[]
  28. Notre traduction de N. Krauss, entretien avec Gaby Wood, « Have a Heart », The Observer, Pay 4, 2005n accessed January 8, 2013n http://www.guardian.co.uk/books/2005/may/15/fiction.features3.), dernière consultation le 5 janvier 2022, cité par V. Aarons et L. Berger, Third-generation holocaust representation – Trauma, history, and memory, Evanston, Northwestern University Press, 2017, p. 49.[]
  29. HL, page qui précède la pagination : « FOR MY GRANDPARENTS, who taught me the opposite of disappearing »; HA, p. 9.[]
  30. GH, p. 114 : « Unlike people, […] the inanimate doesn’t simply disappear »; GM, p. 162.[]
  31. GH, p. 289 ; GM, p. 406.[]
  32. HL, p. 82 : « It was the opposite of disappearing »; HA, p. 159.[]
  33. Il explique en secret son identité à sa sœur : HL, p. 52-53 : « “I think I might be a lamed vovnik.” “a what?” “One of the lamed vovniks,” he whispered. “The thirty-six holy people.” “What thirty-six holy people?”” The ones that the existence of the world depends on.” “Oh, those […]” […] “when the Messiah comes, he’s going to be one of the lamed vovniks. In every generation there’s one person who has the potential to be the Messiah. Maybe he lives up to it, or maybe he doesn’t. Maybe the world is ready for him, or maybe it isn’t.” »; HA, p. 105:  « “Je crois que je suis sans doute un lamed vovnik.” “Un quoi?” “Un des lamed vovniks, a-t-il chuchoté. Les trente-six justes.” “Quels trente-six justes ? ” “Ceux dont dépend l’existence du monde. ” “Oh, ceux-là […] » […] “quand viendra le Messie, il sera l’un des lamed vovniks. À chaque génération il y a quelqu’un qui est potentiellement le Messie. Peut-être qu’il se montre à la hauteur, ou peut-être pas. Peut-être que le monde est prêt pour lui, ou peut-être pas” »[]
  34. GH, p. 279 ; GM, p. 393.[]
  35. N. Krauss, Forest Dark, London, Bloomsbury, 2017; Forêt obscure, traduit de l’anglais (États-Unis) par P. Guivarch, Paris, Éditions de l’Olivier, 2018.[]
  36. HL, p. 6 : « The whole afternoon might go by without our saying a word. If we do talk, we never speak Yiddish. The words of our childhood became strangers to us – we couldn’t use them in the same way and so we chose not to use them at all. Life demanded new language »; HA, p. 17: « Tout un après-midi peut s’écouler sans que nous prononcions un seul mot. Quand nous parlons, ce n’est jamais en yiddish. Les mots de notre enfance nous sont devenus étrangers – nous ne pouvions plus les utiliser de la même façon, alors nous avons choisi de ne pas les utiliser du tout. La vie exigeait une nouvelle langue ».[]
  37. HL, p. 8 : « When I got up again, I’d shed the only part of me that had ever thought I’d fond words for even the smallest bit of life »; HA, p. 23: « Quand je me suis relevé, je m’étais débarrassé de la seule partie de moi qui avait jamais pensé que je trouverais des mots fût-ce pour le plus petit fragment de vie ».[]
  38. Holocaust Impiety in Jewish American Literature. Memory, Identity, (Post-)Postmodernism, Leiden [Netherlands]; Boston, Brill/Rodopi, 2016, p. 209).[]
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