Salomon Maimon, philosophe, paria et autobiographe

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Martine Leibovici nous invite dans cet article à explorer la signularité du lien que Salomon Maimon établit entre écriture philosophique et écriture de soi.

Dans l’avant-propos de l’article consacré aux quatre conceptions du paria qui, du XVIIIème au début du XXème siècle, ont exprimé « un portrait différent du peuple juif » chez Heine, Kafka, Lazare et Chaplin, Hannah Arendt mentionne le nom de Salomon Maimon au point de départ de cette « tradition cachée ». La notion de paria désigne ici une figure élaborée par des poètes, des écrivains et des artistes, à partir de leur expérience vécue de « l’ambiguïté de la liberté […] et de la perfidie de l’égalité qu’offrait l’assimilation1 », induite par le mouvement d’émancipation des Juifs en Europe occidentale. Issu d’un groupe opprimé, le paria juif moderne – souvent un intellectuel – s’est déjà hissé jusqu’aux sphères non-juives de la société, mais il n’est plus capable de s’identifier aux rôles que prévoyaient pour lui le groupe ou la société d’origine sans pouvoir ou sans vouloir s’identifier à ceux que la société qu’il cherche à rejoindre voudrait lui faire endosser, par fidélité à ce groupe dont il a lui-même voulu s’extraire. Une telle position ambiguë de dedans/dehors s’exprimait par « une opposition individuelle passionnée à son environnement tant juif que non juif2 ». Arendt ne consacrera aucune étude à Salomon Maimon et, à ma connaissance, cette occurrence est la seule dans toute son œuvre. L’ouvrage dans lequel la figure maimonienne du paria se dessine au mieux est son Histoire de ma vie, plus exactement L’histoire de la vie de Salomon Maimon, racontée par lui et éditée par Karl Philipp Moritz. Publiée à Berlin en 1792, cette « autobiographie de transfuge3 » deviendra un siècle plus tard une référence majeure pour de nombreux Juifs d’Europe de l’Est.

Parmi les figures de paria énumérées par Arendt, Salomon Maimon est le seul philosophe. Et son autobiographie raconte comment c’est l’unique désir de chercher la vérité qui a guidé son existence d’un bout à l’autre. Né dans le village lituanien de Neswich, qui appartenait alors au royaume de Pologne (aujourd’hui en Bielorussie), il était promis à un brillant avenir de talmid haham, c’est-à-dire de docteur de la loi, érudit et sage tout à la fois4.. Cela ne l’empêcha pas de s’initier en autodidacte à la philosophie de façon quasiment clandestine jusqu’à prendre la décision de quitter son village en 1776 à l’âge de vingt-trois ans. Si, comme l’indique Foucault, la philosophie est « la forme de pensée qui s’interroge sur ce qui permet au sujet d’avoir accès à la vérité5 », une telle interrogation ne peut faire l’économie du moment de l’histoire de la vérité où la vie du sujet s’est déroulée. Pour Maimon, ce moment est celui de la révolution kantienne qui, entre autres, pose la distinction entre l’empirique et le transcendantal laquelle recoupe le sujet lui-même. Dans un rapport de respect critique à l’égard de Kant, Maimon défend une telle scission, il entreprend même de la purifier. Son moi est un moi radicalement abstrait de tout lien, de tout environnement concret, et son désir de vérité est purement spirituel, intellectuel, voire intellectualiste. Le mot « vérité » chez Maimon renvoie cependant à un autre sens : la conduite de « franchise6 », ou d’un dire le vrai en toutes circonstances qui fait penser à la parrhésia cynique. L’objectif de son autobiographie est alors de montrer que cette conduite, qui a si souvent paru scandaleuse à ses contemporains, n’est que la manifestation de ce désir de vérité philosophique, d’une volonté de la faire apparaître dans le monde.

Le moment où Salomon Maimon a vécu sa recherche éperdue de vérité est à la fois celui de la révolution kantienne et des débuts de l’autobiographie moderne. S’il est vrai que, comme Abraham Socher le suggère, son autobiographie peut être considérée comme une tentative de mise en ordre du divers de sa propre vie dérivée de Kant7, on peut toutefois se demander si l’engagement dans l’écriture autobiographique, et même la ressource qu’il y a trouvée, ne l’a pas conduit à mettre en œuvre une démarche de compréhension irréductible à une problématique de subsomption de l’empirique sous le transcendantal, faisant ainsi apparaître des dimensions que le discours philosophique aurait du mal à intégrer. Car dans le cas de Maimon, ce moment de la vérité a aussi été un lieu, Berlin, la ville de l’Aufklärung, un milieu, celui des Juifs éclairés, et un projet, la Haskala. La mise en œuvre de son désir de vérité a supposé des passages vers des lieux et des milieux autres que ceux de sa culture d’origine, traversés, qui plus est, par de solides préjugés à l’égard du monde d’où il vient. Préjugés anti-juifs de la société prussienne, d’une part, mais préjugés aussi de la bourgeoisie juive naissante à l’égard des Juifs de l’Est, dans une période où l’émancipation des Juifs commençait à être à l’ordre du jour.

La lutte existentielle menée par Maimon au nom de son désir de vérité lui a fait rencontrer des obstacles qui ne sont pas seulement des préjugés dus à l’ignorance réductibles grâce à une argumentation rationnelle, mais ils prennent sens si l’on tient compte des conditions dans lesquelles il a forgé son identité comme celle d’un moi à vocation philosophique. De plus, la forme hybride de son Histoire de ma vie, pétrie de digressions, alternant le genre narratif et les exposés théoriques, vient battre en brèche tout projet d’unification ou de synthèse des tensions qui ont en permanence troublé sa vie. De sorte que l’échec de Maimon à unifier ou synthétiser ces tensions, quoi qu’il en soit de ce que lui-même a cherché à faire, est précisément ce qui fait sa force et même son intérêt philosophique.

Une vie en porte-à-faux

Depuis Platon, le schème de la conversion de l’âme du philosophe vers la vérité et de l’incompréhension voire de l’hostilité que son attitude suscite chez ses contemporains aveuglés par la doxa, est l’un des lieux communs de l’entrée en philosophie. Mais l’appel de la vérité n’a pas seulement été pour Maimon une conversion de l’âme, il s’est matérialisé par un départ réel, par un arrachement au lieu, à la société et aux langues de son enfance. Le lieu de la vérité fut la Prusse plutôt que la Pologne, sa langue l’allemand plutôt que l’hébreu ou le judéo-polonais lituanien. Les choses se compliquent encore si l’on se dit qu’au bout du compte, il n’a circulé que tardivement dans les cercles intellectuels prussiens non juifs, l’essentiel de son périple en Pologne et en Prusse l’ayant fait passer d’un groupe juif à l’autre, le plus important dans son histoire ayant été celui des Juifs riches éclairés de Berlin, détachés du monde et de la langue du shtetl et désireux de s’assimiler à la culture dominante. Berlin, où prédominait la figure de Moses Mendelssohn que l’on surnommait le nouveau Socrate. Mais c’est aussi sa maîtrise de la langue et de la tradition hébraïques qui fut le passeport d’entrée de Maimon dans ce groupe, non seulement comme précepteur de leurs enfants, mais aussi comme aide précieuse au grand projet de la Haskala, la traduction en hébreu des ouvrages de la philosophie moderne.

Partout où Maimon vécut, il s’est trouvé en « porte à faux8 » mais c’est précisément cette position qui en fit un analyste de ces groupes, un sociologue en quelque sorte, ce décryptage se produisant de façon rétrospective par le travail d’écriture autobiographique. C’est en particulier le cas dans le premier chapitre du livre qui commence par une analyse de la Pologne de son époque en termes de classes, pour en arriver aux Juifs ou à la Nation juive qu’il caractérise comme une organisation sociale de type aristocratique, où les meilleurs ne sont ni les bien nés ni les riches mais les docteurs de la loi. Leur prestige est tel que les gens incultes les hébergent et leur donnent leurs filles pour épouses qui « subviennent aux besoins de leurs époux sacrés et des enfants9 ». Dans l’autobiographie la finesse des rapports sociaux et des rapports de pouvoir, les représentations qui les structurent, apparaissent surtout grâce à des anecdotes qui sont de véritables scènes, à charge pour le lecteur de les interpréter lui-même. Pouvoir reconstituer des scènes est à mon sens l’une des grandes ressources de l’écriture autobiographique.

Maimon était une espèce d’enfant prodige de l’étude du Talmud et tout le destinait à devenir un de ces aristocrates réputés et respectés dans leur monde d’origine. Il en garde certainement une haute estime de lui-même, qui transparaît dans de nombreux épisodes où il met en scène sa propre vivacité d’esprit, et ce dès son plus jeune âge. S’il décrypte toutefois le rapport des érudits aux incultes comme un rapport de pouvoir d’une minorité savante sur une majorité, c’est qu’il n’est pas dupe des servitudes et des mensonges attachés à cette position qu’il a expérimentée dès sa prime jeunesse. Il est conscient de tout cela, il l’observe, mais il sait aussi qu’il dépend de la communauté pour sa subsistance, même une fois parti de Lituanie, où il emporte son précieux bagage d’érudit. Et c’est bien cette lucidité qui, poussée à la limite, le mettra dans une situation impossible : impossible de continuer à être un talmid haham sans pouvoir être autre chose. Tout en sachant qu’il dépend des réseaux traditionnels de solidarité pour vivre, il y a toujours un moment où il casse lui-même la manne. Car les gens incultes sur qui repose son prestige sont aussi très souvent superstitieux. Maimon est une espèce de Diogène juif cherchant à guérir ses contemporains de la superstition par des comportements dévastateurs accompagnés de formules-choc, comme s’il voulait briser le transfert qui s’effectuait sur sa personne. À Posen10 par exemple où il jouissait d’une réputation et d’une sinécure d’érudit, voilà qu’il multiplie les provocations à l’encontre de ce qu’il considère comme de la superstition. Ainsi un bois de cerf était placé à l’entrée de la synagogue et l’on croyait que celui qui le toucherait mourrait sur le champ. Très théâtralement, Maimon annonce qu’il allait toucher ce bois et qu’il ne lui arriverait rien. Il joint le geste à la parole, mais loin que les yeux se dessillent, la superstition vire en fanatisme : « leur peur se mua en haine à mon égard. Ils virent en moi celui qui avait profané le sanctuaire11 ». Contrairement à Diogène qui était aimé des Athéniens dans ses provocations mêmes, les actes de Maimon finissent toujours par briser le soutien dont il bénéficiait. Cependant, l’hospitalité à l’égard de l’érudit était une tradition tellement forte, que, malgré son comportement provocateur, le rabbin qui l’hébergeait lui avait signifié son désir de le voir prolonger son séjour chez lui. Maimon ne fut donc pas chassé mais décida lui-même de quitter Posen pour se diriger vers Berlin où il réussit cette fois à entrer et à prendre contact avec le milieu des Juifs éclairés, promoteurs de la Haskala.

À partir de cette bifurcation essentielle de son existence, Maimon s’engagera par vents et marées dans un intense travail de lectures et d’écriture philosophiques. D’abord encouragé chaleureusement par Mendelssohn, puis adoubé par Kant, il devient un auteur reconnu : il publie en allemand dans les revues de l’Aufklärung et en hébreu dans celles de la Haskala, ainsi que de nombreux ouvrages de philosophie. Mais alors qu’il s’était toujours trouvé en porte-à-faux dans son milieu d’origine, c’est maintenant dans le milieu dont dépend sa reconnaissance comme philosophe que Maimon va faire l’épreuve d’autres modes d’inadaptation à son environnement, qui l’obligeront à quitter Berlin à nouveau. Son périple le mènera de Hambourg à Amsterdam pour enfin revenir à Berlin où il écrira sa Lebensgeshichte en 179212.

Le milieu des Juifs éclairés adhère certes avec enthousiasme à l’idéal de l’autonomie individuelle grâce à l’utilisation par chacun de sa propre raison, mais il se veut aussi raffiné, par la langue et les manières, c’est une bonne société où il faut savoir paraître. D’où une claire volonté des Juifs à perruque poudrée de se distinguer des Juifs de l’Est. La division n’est cependant pas aussi profonde qu’elle le sera au XIXème siècle, car c’est souvent à des rabbins polonais qu’ils confient l’éducation religieuse de leurs enfants13, à condition toutefois qu’ils se cantonnent à ce que l’on attend d’eux et se conforment à l’image du « sage plongé uniquement dans l’étude des Écritures saintes14 ». Or Maimon ne cadre pas tout à fait avec cette image. La première fois qu’il avait cherché à entrer à Berlin15, sa franchise l’avait conduit à se présenter comme un homme éclairé désireux d’apprendre la médecine et auteur d’un commentaire en hébreu du Guide des égarés de Maimonide, c’est-à-dire comme un érudit polonais, certes, mais qui au lieu de montrer sa grande piété, recherchait un savoir profane. Ainsi ce n’est pas seulement parce qu’il était pauvre que Maimon ne fut pas autorisé à entrer dans Berlin, mais c’est aussi à cause de la méfiance que son profil suscitait auprès des notables de la communauté.

Voici le portrait que Maimon donne de lui-même à son arrivée à Königsberg, première étape de son exode vers la terre de l’Aufklärung16 :

Imaginez-vous un jeune homme d’environ vingt-cinq ans, originaire de Pologne/Lituanie, barbu, s’exprimant dans un mélange d’hébreu, de judéo allemand, de polonais et de russe (sans omettre les incorrections grammaticales de toutes ces langues réunies) et qui prétend de surcroît comprendre l’allemand et avoir un bagage scientifique17.

Plus tard à Berlin, où il a enfin été admis, il porte encore la barbe et son accoutrement est toujours celui d’un Juif polonais. Dans le but vraisemblable de se jouer de lui, quelques « amis » entreprennent alors de le dégrossir, ils lui font raser sa barbe, entreprennent d’éduquer son goût, le persuadent d’apprendre les beaux-arts, l’antiquité classique, le français ou l’art de la galanterie, toutes qualités requises par l’idéal de Bildung. Mais leurs intentions ne sont pas complètement bienveillantes : ils l’emmènent dans des lieux mal famés et le relâchement des contraintes rituelles libèrent chez lui « l’instinct du plaisir des sens » auquel il se livre de façon désordonnée. Mais Maimon n’oublie pas sa vocation première, car en échange, il leur sert des exposés philosophiques auxquelles ces « gentlemen18 » ne comprennent rien, ce qui suscite son mépris qu’il finit par leur exprimer directement en leur déclarant un jour que la seule raison qu’il avait d’être avec eux n’était que « le vin, le rôti, etc.19 ». Alerté par les rumeurs, voire directement briefé par ses « grands amis », Mendelssohn finit par convoquer Maimon pour le persuader de quitter Berlin, muni toutefois de lettres de recommandation pour Hambourg où il se rend en 1783. Son profil d’Apikores20 se dessine alors : « je cherchais à propager des opinions et systèmes dangereux, et pour finir on disait que je menais une vie trop libre et que je m’adonnais beaucoup trop aux plaisirs des sens21 ».

Parmi les premiers, Maimon a fait l’expérience de la contrainte sociale relayée par les Juifs émancipés eux-mêmes et qui accompagna, selon Zygmunt Baumann, l’extension du projet d’émancipation dont les Lumières étaient porteuses. Le prix du billet que les Juifs émancipés devaient payer pour entrer dans la nouvelle humanité était l’accession à la Sittlichkeit, c’est-à-dire à « des manières dignes et raffinées comme la propreté, une ligne de conduite sexuelle strictement respectée, un comportement discret dans les lieux publics22 ». Il ne suffisait pas d’être un subtil commentateur de Kant, encore fallait-il montrer par son comportement que l’on était un être émancipé, mouler son apparaître dans une forme sociale convenue.

Mais la Lebensgeschichte indique aussi la résistance de Maimon à un autre schéma qui allait structurer la problématique de l’émancipation des Juifs en cours d’élaboration au XVIIIe siècle : la valorisation du Juif d’exception par rapport à l’obscurantisme des autres Juifs. L’un des lieux communs concernant les Juifs, que les émancipateurs partageaient souvent avec leurs ennemis, était la soi-disant influence délétère du Talmud23. Certes les descriptions données par Maimon des yeshivot24 de sa Pologne natale ne sont pas, loin s’en faut, des hagiographies. D’où les introductions souvent précautionneuses des éditeurs juifs du livre, craignant que de telles descriptions n’alimentent l’antijudaïsme, ce qui ne manqua pas de se produire. Maimon est cependant bien conscient des préjugés de ses lecteurs. Pour être fidèle à la vérité, il doit certes admettre qu’il s’est mis à « détester les rabbins25 », mais ce n’est qu’après s’être efforcé d’exposer « sans parti pris » dans un long excursus ce qu’est la religion juive depuis les origines. Il ne peut critiquer les « méfaits des rabbins concernant la religion » qu’à la condition d’exposer aussi « ce qu’ils ont de bon26 ». Mieux, il se fixe une tâche qu’il ne mènera cependant pas à bien : « Je devrais écrire un livre où j’exposerais toutes les accusations et les moqueries contre les Talmudistes, qui émanent autant des auteurs chrétiens que des Juifs qui veulent être éclairés27 ».

Autant des auteurs chrétiens que des Juifs qui veulent être éclairés… Maimon n’est pas dupe de leurs préjugés à l’égard des Juifs orientaux. À partir de là on peut comprendre les réticences que lui inspire le projet de la Haskala. Lors de son troisième séjour à Berlin, il participe à la revue Ha-me’assef (le collectionneur), éditée par la Société des chercheurs de la langue hébraïque. Cette société entendait former le goût des Juifs en leur permettant d’avoir accès aux œuvres de la tradition occidentale, elle avait aussi pour but de soustraire l’hébreu à la sacralité, de le perfectionner afin que cette langue soit susceptible de produire une littérature et une philosophie. Insistant sur la Bible au détriment du Talmud, on voulait aussi rationaliser les contenus religieux en les soustrayant à l’influence rabbinique. La traduction était centrale à une telle entreprise emblématisée par la traduction de la Bible en allemand écrite en caractères hébraïques par Mendelssohn. Tout en reconnaissant le bien-fondé de l’intention, Maimon est plus que réservé sur les chances de succès d’une telle entreprise. « Je connaissais trop bien, écrit-il, les principes et le mode de pensée des rabbins pour croire que de tels moyens pourraient y changer quelque chose28 ». Il voyait mal comment les Maskilim29 allaient pouvoir concurrencer l’immense prestige de la noblesse de la Nation, d’autant plus qu’ils n’imaginaient pas à qui ils avaient vraiment affaire. Certes, aux yeux des talmudistes, « tous ceux qui n’ont pas étudié le Talmud sont des idiots », ce qui, dans un sens, montre leur fermeture d’esprit, mais ce propos est énoncé dans un contexte d’où l’on retiendra aussi leur « très grande virtuosité30 », Maimon écrivant plus loin que « les talmudistes ne sont pas aussi bêtes qu’on ne le croit31 ». Il déplore beaucoup plus l’état lamentable de l’enseignement des yeshivot de son époque ou la perte de temps sur des sujets aussi importants que la question de savoir si l’on a « le droit de tuer un pou ou une puce le jour du chabbat32 », que les caractéristiques de la méthode talmudique à proprement parler. Le réexamen de la même question sous différents angles en fonction d’un même principe fondamental développe une forme d’esprit systématique et raisonnée. La pratique de la disputation – chacun tirant d’un même texte des aspects contradictoires, tout développement tenant compte d’un aspect et de l’autre malgré leur caractère contradictoire – mobilise des qualités comme « l’acuité intellectuelle, l’éloquence mais aussi l’impertinence » et favorise ce que Maimon nomme un salutaire « scepticisme talmudique33 ». Ce nouveau nom d’auteur sous lequel Salomon Ben Joshua publiera son premier ouvrage de philosophie, où transparait clairement le nom de Maimonide, indique sa fidélité à la tradition rationaliste juive, c’est-à-dire pour le public allemand sa ferme intention de ne pas l’abandonner, et pour le public juif la partie de la tradition hébraïque qui lui donna la force de tracer son propre chemin de vie.

L’apparaître parfois comique d’un moi purement intellectuel

Se considérant comme un moi pensant amant de la vérité par-dessus tout, Maimon a voulu faire apparaître ce désir sous forme de dire le vrai dans la concrétude de la vie avec les autres quelles qu’en fussent les circonstances. C’est l’art de l’anecdote propre à l’écriture autobiographique qui a fait ressortir des obstacles relevant de conditions socio-historiques, alors même que la spécificité de sa conception philosophique du moi pensant rendait quasi impossible la prise en compte de ces conditions.

Le premier ouvrage en allemand que Maimon fit paraître à Berlin34 est l’Essai sur la philosophie transcendantale (1789). Consacré à un commentaire de La critique de la raison pure, il en avait adressé le manuscrit à son auteur sur les conseils du philosophe Marcus Herz, disciple et ami de Kant. Trop occupé sur le moment à l’élaboration de sa Critique de la faculté de juger, Kant avait d’abord voulu renvoyer ce manuscrit, mais, écrit-il à Marcus Herz, « un coup d’œil, que je jetai sur lui, me fit reconnaître sa qualité supérieure, et que non seulement aucun de mes adversaires ne comprenait aussi bien mon œuvre et la question capitale, mais encore que très peu pourraient posséder, pour les recherches profondes de ce genre, autant de pénétration que M. Maimon35 ». Suivent une dizaine de pages répondant aux deux premières sections du livre, que Kant charge M. Herz de communiquer à Maimon, tout en lui signalant que cette lettre n’était pas écrite pour être publiée. Elle n’en circulera pas moins dans les cercles privés et les salons berlinois, ce qui permit la publication de l’Essai, et lança la carrière publique de Maimon.

Son questionnement redonne vigueur au scepticisme de Hume que l’idéalisme transcendantal avait prétendu dépasser en concevant la connaissance comme l’application de catégories universelles a priori à des intuitions sensibles particulières, elles-mêmes mises en forme a priori par l’espace et le temps. Mais d’après Maimon, il ne s’agit là que d’un fait qui présuppose une concordance entre deux modes de représentation hétérogènes, que Kant ne légitime jamais. Pour résoudre cette difficulté, Kant fait l’hypothèse de la Chose en soi, c’est-à-dire de la réalité telle que la penserait un entendement infini en dehors de toute expérience possible et donc inaccessible à l’entendement humain. Si Maimon critique cette hypothèse, c’est que pour lui le critère de la vérité ne réside que dans la construction de la connaissance elle-même par l’esprit. C’est la pensée qui se donne un objet lorsqu’elle considère un divers comme une unité et connaître consiste à établir de plus en plus de relations entre les phénomènes, l’activité synthétique étant en elle-même indicatrice de réalité, sans qu’il soit besoin de supposer une chose en soi.

Mieux : le moi n’a de consistance que dans l’activité de connaissance. Pour le concevoir, Maimon reprend à son compte l’idée kantienne du Je transcendantal comme « unité de la conscience, […] condition de toute intuition et de tout concept en général36 ». En tant que condition de toute connaissance, l’unité de la conscience n’est pas donnée dans une intuition sensible qui permettrait de l’objectiver, l’esprit ne peut pas lui appliquer ses propres catégories, en particulier celle de la substance, comme le fait Descartes ; elle est donc inconnaissable. Pour Maimon, le moi n’est cependant pas un objet transcendantal. Même s’il n’est pas une substance, il est pourtant susceptible d’acquérir de la substantialité, de devenir de plus en plus réel, par l’activité de connaissance ou plus précisément de conceptualisation, de recouvrement des phénomènes par des rapports intellectuels. Plus il y parviendra, plus il acquerra un statut de sujet :

Plus je pense ou juge, plus les prédicats du sujet dans le jugement deviennent généraux, et plus ils sont généraux, moins ils présentent l’objet de la pensée, ou plus ils présentent le sujet de ma pensée 37.

L’activité de liaison des jugements les uns avec les autres effectuée par le moi au moyen d’une abstraction de plus en plus prononcée par rapport à tout objet extérieur, réalise une conscience de plus en plus grande de la puissance de détermination du moi qui finit par la saisie intuitive du pur sujet par lui-même, en tant que « déterminable et détermination ». Une telle saisie est un idéal car elle n’est l’apanage que d’un entendement infini qui pense « le monde intellectuel, c’est-à-dire, l’ensemble de tous les rapports possibles pensés par un entendement 38 » . Elle y tend seulement car « le moi auquel j’aboutis est encore un prédicat (du sens interne)39 » au sens où il ne peut accéder à lui-même que dans le temps. Être soi-même ne peut jamais advenir dans la concrétude des relations mondaines qui sont, par définition, particulières et situées. Nous pouvons cependant nous en approcher dès lors que nous activons notre faculté de réflexion et qu’elle produit le plus grand réseau de relations pensées au lieu d’être soumise aux effets du pur donné empirique. C’est alors seulement que je deviens réel et singulier :

Nous avons donc […] une règle pratique grâce à laquelle nous pénétrons pour ainsi dire en nous-mêmes, ou mieux, par laquelle, nous recevons, en tant que tels, toujours plus de réalité. En effet […] plus nous devenons substance (sujet de nos représentations), et plus ces représentations deviennent générales, plus elles sont reliées les unes aux autres, plus nous devenons simples. De même, plus la série de ces représentations est grande, plus nous devenons identiques à nous-mêmes en des temps différents, c’est-à-dire plus notre degré de personnalité est grand40.

Comme l’indique Samuel Hugo Bergman, l’homme est pour Maimon, citoyen de deux mondes. D’un côté il est pure pensée, il ne dépend d’aucun objet donné, car son entendement les construit par lui-même. Il tend vers un entendement infini qui reste cependant un idéal jamais atteint. Mais, d’un autre côté, l’homme réside dans le monde empirique de l’espace et du temps auquel le concept n’a pas accès :

La doctrine de la connaissance de Maimon essaye de comprendre le monde pur, “réel” mais finit en scepticisme lorsqu’il conçoit le monde “existentiel” comme imperméable au concept et comme seul produit de l’imagination ne pouvant pas être complètement expliqué. Constituer une éthique voudrait alors dire réfléchir à la manière dont le monde supérieur de la vérité peut se manifester dans le monde inférieur, alors même que les obstacles propres au monde sensible s’y opposent nécessairement. L’homme qui y parviendrait serait le sage parfait : la règle éthique la plus haute, le souverain bien est contenue dans ces trois mots « vitam impendere vero consacrer sa vie à la vérité41.

Mais Maimon n’envisage pas seulement la dualité des deux mondes en se demandant comment faire pénétrer le supérieur dans l’inférieur. L’inférieur est aussi envisagé comme garde-fou contre les exagérations du supérieur. Ainsi quand celui qui accède à un plus haut degré de personnalité veut se manifester aux autres, il court un double risque : développer un mépris hautain pour ceux qu’il juge englués dans la superstition, d’une part, apparaître sous le personnage détestable du raisonneur insensible au réel, d’autre part. La seule issue est de conserver le sens de l’humour, à l’égard de soi d’abord, ce que ne manque pas de faire le rappel du lien avec le monde, lorsque le sage revient, selon la formulation de Jacques Taminiaux à propos de Hannah Arendt, du retrait à l’appartenance42. Là encore, ce sont des anecdotes, de petits récits autobiographiques, qui, mieux qu’un raisonnement philosophique, peuvent faire comprendre ce double risque.

Maimon se souvient de l’amitié qui le liait dans son village de Lituanie à son ami Moïse Lapidot, à l’époque où, brillant étudiant talmudique, il était secrètement attiré par les sciences et l’idéal philosophique du penser par soi-même qui impliquait de « ne pas imiter les autres purement et simplement ». Se considérant fièrement comme différents et plus malins que tout le monde, les deux amis prétendent décrypter chez les autres les motivations immorales qui se cachent derrière des actions menées au nom de la vertu43 et ils se déchaînent « contre la perversité de la vertu humaine à la Mandeville ». Au passage, Maimon note que leur façon de stigmatiser les « errements religieux et moraux des masses » s’accompagnait d’un regard « condescendant et méprisant » jeté sur elles44. C’est pourquoi la sévérité et la lucidité doivent également s’exercer à l’égard d’eux-mêmes et interroger avec la même exigence leur amour de la vie contemplative alors que ni l’un ni l’autre n’en avaient les moyens matériels – les parents de Lapidot étaient pauvres et ceux de Maimon ruinés :

la vie contemplative que nous menons et qui ne correspond en rien à nos moyens, n’est-elle pas la conséquence de notre paresse et de notre penchant pour l’oisiveté que nous tentons de fonder par des réflexions sur la vanité des choses de ce bas monde45 ?

Le rappel des conditions matérielles de l’exercice de la pensée est un anti-climax qui empêche le penseur de se prendre au sérieux. Se penchant sur les souvenirs de cette amitié adolescente, Maimon qualifie ainsi l’attitude que les jeunes philosophes allaient adopter désormais : « En parfaits cyniques que nous étions, nous passions nos plus belles années à nous gausser de nous-mêmes46 ». Dans la version qu’en donne Maimon, l’attitude cynique ne consiste pas seulement dans un parti-pris de franchise, elle requiert aussi du philosophe qu’il garde une distance salutaire à l’égard de sa propre façon de s’insérer dans le monde, dénoncer l’hypocrisie certes mais se garder du mépris envers les autres.

Une autre anecdote dénonce les risques de l’abstraction raisonnante, de la tendance à préférer la cohérence coûte que coûte à partir d’un axiome posé au départ, même faux, malgré les démentis de la perception. Dès lors ce sont ceux dont on cherche à ouvrir les yeux qui vous empêchent en fait de vous embarquer dans un délire rationnel. Encore en Pologne, Maimon vient de découvrir un traité de physique cartésienne, après lequel il pense avoir découvert les clés de toutes les énigmes de la nature, moyennant quoi il entreprend d’éclairer la lanterne des autres Juifs encore prisonniers des superstitions :

Me promenant un jour avec quelques amis, nous découvrîmes une chèvre qui nous barrait le chemin. Lorsque je me mis à la battre avec ma canne mes amis me reprochèrent toute ma cruauté. “Quelle cruauté, répondis-je, croyez-vous que la chèvre ressente une douleur quand je la bats ? Vous vous trompez lourdement. La chèvre n’est qu’une machine” […]. Ils se mirent tous à rire en disant : “Mais ne vois-tu pas que la chèvre pousse des gémissements lorsque tu la bats ?” je répondis aussitôt : ” Oui elle pousse des gémissements ; mais si vous battez un tambour, il résonnera aussi “. Mes amis s’étonnèrent de ma réponse et comme une trainée de poudre la nouvelle se répandit que j’étais devenu fou puisque je prétendais qu’une chèvre n’était rien d’autre qu’un tambour47.

Le philosophe en butte à la risée des ignorants lorsqu’il redescend dans la caverne est un topos bien connu. Mais la réaction de bon sens du soi-disant ignorant par rapport à la méconnaissance du réel du soi-disant savant enfermé dans ses certitudes raisonnantes peut aussi opportunément venir lui rappeler les travers de son intellectualisme outrancier.

Les vérités trouvées en chemin

Sur le plan formel, l’autobiographie de Maimon est tout à-fait hétéroclite. Il le sait : « Je n’ai certes pas écrit cette Histoire de ma vie en me pliant aux règles élaborées d’une bonne biographie48 ». On peut y reconnaitre toutes sortes d’emprunts : une histoire de vol à la Rousseau, une histoire de pogroms proche de certains passages de Candide, une amitié de jeunesse qui fait écho à Anton Reiser, des scènes comiques à la Sterne ou Swift, etc49. D’une manière générale, le fil conducteur du texte est souvent rompu. Maimon mélange les genres : entre deux épisodes de sa vie, il interpose des excursus philosophiques – dont le plus important est un commentaire du Guide des Egarés de Maimonide – ou des développements sur la religion juive, le hassidisme et la kabbale. La façon même dont il s’approprie la forme autobiographique est significative d’une autopoïesis bien particulière au sein d’une tradition naissante : la constitution de soi au travers des méandres de l’existence, mais sous une forme tumultueuse et désordonnée qui correspond précisément, jusque dans ses impasses, à la création d’une figure individuelle nouvelle qui jusque-là n’avait pas de modèle, celle de l’intellectuel juif germanophone.

Cette forme tumultueuse n’est pas seulement caractéristique de l’Histoire de ma vie. Maimon est aussi conscient du caractère atypique de son écriture philosophique : « en ce qui concerne mon style et mon exposé, j’avoue moi-même qu’ils sont très défectueux (n’étant pas allemand de naissance ni rompu à la dissertation)50 ». Tous ses commentateurs se sont heurtés à la forme déconcertante de ses écrits qui, selon Ernst Cassirer, déploient « devant le lecteur, en des variations confuses et sous une forme abrupte et aphoristique, une abondance d’idées apparemment hétérogènes51 ». Interpréter sa pensée implique alors un travail difficile de débroussaillage d’un tel maquis pour en extraire la constance et l’unité qui la dominent en réalité. Mais au lieu d’opposer le fond et la forme comme le fait Ernst Cassirer, ne peut-on au contraire, donner un sens à la forme tumultueuse du travail de Maimon ? Tout en affirmant au début de l’Essai sur la philosophie transcendantale, qu’il n’écrit pas « pour des lecteurs plus attentifs au style qu’à la chose même », Maimon refuse un peu plus loin de distinguer « vérité dans le discours et vérité dans la pensée ». D’après lui, celle-ci ne se laisse pas scinder de son expression : « la vérité est la relation particulière (du discours) à (la pensée), ou la correspondance d’une expression à une pensée. La fausseté est le contraire, c’est-à-dire le fait qu’à l’expression aucune pensée ne corresponde52 ». Il faut alors considérer que la littéralité du texte de Maimon ne pose pas seulement le problème du style au-delà duquel découvrir la pensée elle-même, mais renvoie plutôt à une articulation très particulière entre la vérité recherchée et la voie empruntée pour y parvenir. En l’occurrence, cette voie ne fut pas linéaire : les étapes de l’existence de Maimon n’ont pas suivi les grades réguliers d’un parcours académique, sa formation est un mixte de schémas traditionnels juifs et de culture profane acquise de façon quasi autodidactique. D’après Maimon, une vie menée sous le signe de l’amour pour la vérité est une vie déchirée, perpétuellement insatisfaite :

L’être pensant […] se reconnaît [..] d’un côté limité au monde sensible, et de l’autre, au contraire, il sent en lui-même, une tendance irrésistible à élargir toujours ces limites et à finir par trouver un passage du monde sensible au monde intelligible53.

Aussi infranchissable soit ce décalage entre la limitation du monde sensible et l’infini du monde intelligible, l’insatisfaction qu’il provoque pousse l’être à se mettre en route pour trouver un passage de l’un à l’autre. Maimon, nous l’avons vu, a véritablement pris la route, et il a rencontré des obstacles auxquels son équipement intellectuel et moral ne l’avait pas préparé, sa vie fut remplie de hasards et de bifurcations imprévues. Au fond, peu importe ici l’achèvement, seules comptent les découvertes faites en chemin, parfois autres que ce qui est recherché mais qui ne seraient jamais advenues si l’ « être pensant » ne s’était pas mis à chercher le passage vers le monde intelligible :

Et supposé même qu’il ne le trouve jamais, il peut toutefois par sa recherche incessante découvrir d’autres vérités (qui sont peut-être d’une importance moindre mais importantes néanmoins et dignes de recherche), un peu comme l’alchimiste qui cherchait de l’or (..) et a trouvé le bleu de Prusse54.

 

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NOTES

  1. Hannah Arendt, « Le Juif comme paria : une tradition cachée », trad. de l’anglais par S. Courtine-Denamy, dans Écrits juifs, Paris, Fayard, 2011, p. 434-435.[]
  2. Cette formulation se trouve dans la version allemande de ce texte, que S. Courtine-Denamy avait prise comme base de la première traduction (« La tradition cachée », in La tradition cachée. Le Juif comme paria, Paris, Bourgois, 1987, p. 180).[]
  3. Je me permets de renvoyer ici à M. Leibovici, Autobiographies de transfuges. Karl Philipp Moritz, Richard Wright, Assia Djebar, Paris, Le Manuscrit, 2013. Voir aussi « Écritures de soi entre les mondes. Décrypter la domination », dir. M. Leibovici, Tumultes, n°36, mai 2011.[]
  4. Citant le bref passage où Arendt mentionne Maimon, Abraham Socher fait justement remarquer que l’accès de Maimon à la philosophie témoigne d’une situation différente de celles qui donnèrent lieu aux figures de paria qu’elle étudie. Beaucoup plus que Heine et Kafka, éloignés d’au moins une génération du monde du shtetl et de sa culture, ou de Lazare, issu du judaïsme provençal, il était « au seuil d’au moins deux mondes différents » (The radical enlightenment of Salomon Maimon. Judaism, heresy and philosophy, Stanford University Press, 2007, p. 15). Le livre de Socher est le premier à examiner de près « les façons complexes et ironiques avec lesquelles [la pensée de Maimon], jusque dans son aspect le plus hautement radical philosophiquement, s’enracine dans une tradition philosophique hébraïque du Moyen Âge et de l’aube des temps modernes » (Ibid., p. 6).[]
  5. Michel Foucault, L’herméneutique du sujet, Paris, Hautes Études/Gallimard. Seuil, 2001, p. 16.[]
  6. Salomon Maimon, Histoire de ma vie, – ci-après HV – trad. Maurice-R. Hayoun, Berg International, 1984, p. 230.[]
  7. Voir A. Socher, op.cit., p. 14.[]
  8. HV, p. 161.[]
  9. Ibid., p. 222.[]
  10. Refoulé une première fois à la porte de Berlin par les notables de la communauté juive chargés de filtrer les Juifs pauvres, réduit à la mendicité pendant plusieurs mois, Maimon finit par être recueilli par le grand rabbin de Posen (Posnan en polonais) qui lui fournit un logement et un emploi de précepteur.[]
  11. HV, p. 173.[]
  12. L’existence de Maimon fut précaire d’un bout à l’autre, d’autant qu’il n’a aucun sens de l’économie et finit par dépenser beaucoup d’argent en alcool. En 1795, il est recueilli par le comte Adolf von Kalckreuth qui lui offre l’hospitalité à Glagau en Silésie (aujourd’hui en Pologne). Lorsqu’il meurt en 1800, la municipalité s’oppose à ce qu’on l’enterre dans le jardin de ses bienfaiteurs. Son corps est confié à la communauté juive locale qui l’enterre comme un hérétique derrière le mur du cimetière juif.[]
  13. Comme H. Arendt l’indique, les Juifs de cour « se montraient fiers de leur sombre passé de misère, de malheur et de paria, car leur gloire n’en scintillait qu’avec plus d’éclat [et] ils prirent bien soin de cultiver cet arrière-plan de pauvreté, de misère et de mépris » (« Les Juifs d’exception », dans La tradition cachée, op.cit., p. 132).[]
  14. Zwi Batscha, « Vorwort », in Salomon Maimons Lebensgeschichte. Von ihm selbst geschrieben und herausgegeben von Karl Philipp Moritz, Frankfurt a/M 1984, p. 363.[]
  15. Voir supra, note 9.[]
  16. Maimon ne s’était pas à proprement parler enfui de Neswich. Il avait réussi à convaincre un érudit local de l’importance de se rendre en Allemagne pour étudier la médecine, une science certes profane mais profitable à l’ensemble des juifs de la région. Cet homme estimable finança la première étape de ce périple qui le mena à Königsberg.[]
  17. HV, p. 162.[]
  18. En anglais dans le texte.[]
  19. HV, p. 192-193.[]
  20. Dans la littérature rabbinique ce terme renvoyait d’abord aux disciples d’Épicure, mais il est passé dans le langage populaire pour désigner un Juif sceptique voire hérétique qui ne respecte plus les mitzvot.[]
  21. HV, p. 194.[]
  22. Zygmunt Bauman, « Visas de sortie et billets d’entrée : les paradoxes de l’assimilation juive », trad. M. Leibovici, dans Le paria, une figure de la modernité, M. Leibovici et E. Varikas ed., Tumultes, 2003-2004, n°21-22, p. 284.[]
  23. Par exemple Mirabeau parle de Mendelssohn comme d’un « homme jeté par la nature au sein d’une horde avilie », dont l’esprit s’est développé malgré le « bourbier » qu’est à ses yeux le Talmud (Sur Moses Mendelssohn Sur la Réforme politique des juifs (1787), EDHIS Paris 1968, p. 28).[]
  24. Une yeshiva est un centre d’étude de la Bible et du Talmud.[]
  25. HV, p. 127.[]
  26. Ibid., p. 225. Ces formulations se trouvent dans une partie non traduite de ce long excursus dans l’édition de M.-R. Hayoun.[]
  27. Ibid. p. 226-227.[]
  28. HV, p. 222.[]
  29. Les promoteurs de la Haskala.[]
  30. HV, p. 222.[]
  31. Ibid., p. 283.[]
  32. Ibid., p. 68.[]
  33. Ibid., p.81-82.[]
  34. Il avait fait un séjour au collège d’Altona (Hambourg) pour y acquérir des compétences linguistiques.[]
  35. Lettre de Kant à Marcus Herz du 26 mai 1789, trad. J. Rivelaygue, dans Immanuel Kant, Correspondance, Paris, Gallimard, 1991, p. 362. Maimon raconte cet épisode et cite ces passages dans HV, p. 217-218.[]
  36. S. Maimon, Essai sur la philosophie transcendantale – ci-après EPT – trad. J.-B. Scherrer, Paris, Vrin, 1989, p. 112.[]
  37. EPT, p. 133.[]
  38. Ibid., p. 140. Pour Maimon il n’y a pas de différence de nature mais seulement de degré entre l’entendement humain et l’entendement divin infini. Sur la parenté de ces thèmes avec Maimonide et certains commentateurs hébraïques, (Voir A. Socher, op.cit., p.95-98).[]
  39. EPT, p. 134.[]
  40. Ibid., p. 117.[]
  41. Samuel Hugo Bergman, The philosophy of Salomon Maimon, Jerusalem, The Magnes Press, 1967, p. 180-181 & 208.[]
  42. J. Taminiaux, La fille de Thrace et le penseur professionnel, Paris, Payot, 1992.[]
  43. « La variole avait fait des ravages dans notre village emportant de nombreux enfants. Les Anciens de la communauté se réunirent pour déceler les péchés occultes qui nous valaient de telles calamités […] Après enquête, il s’avéra qu’une jeune veuve s’était rendue coupable d’une conduite par trop légère avec quelques laquais de la cour […] On se préparait à la relâcher faute de preuve lorsqu’une vieille matrone, Madame F…, surgit telle une furie en s’écriant : “Fouettez-la, fouettez-la donc jusqu’à ce qu’elle avoue ses crimes ! Et si vous vous en abstenez, vous serez responsables de la mort de tant d’âmes innocentes !” Lapidot, témoin comme moi de toute la scène, me dit : “Ami, crois-tu que ce sont l’amour, la vertu et le souci de la moralité publique qui poussent Madame F… à accuser cette jeune veuve ? Certes non ! elle est simplement furieuse contre elle car cette dernière est encore belle et plait toujours”. » dans HV, p. 130-131.[]
  44. Ibid., p. 130.[]
  45. Ibid., p. 130-131.[]
  46. Ibid., p. 132.[]
  47. Ibid., p. 117.[]
  48. Ibid, p.227.[]
  49. Voir Conrad Wiedemann, « Zwei jüdische Autobiographien im Deutschland des 18. Jahrhunderts: Glückel von Hammeln und Salomon Maimon », in Juden in der deutschen Literatur, S. Moses et A. Schöne dir., Suhrkamp 1986.[]
  50. EPT, p. 39.[]
  51. Ernst Cassirer, Les systèmes post-kantiens. Le problème de la connaissance dans la philosophie et la science des temps modernes, Presses Universitaires de Lille, 1983, p. 68.[]
  52. EPT, p. 108.[]
  53. Ibid., p. 209.[]
  54. Ibid., p. 210.[]

Maitresse de conférences émérite de l’université Paris Cité, membre du LCSP. Auteure de plusieurs ouvrages sur Hannah Arendt, dont avec Anne-Marie Roviello, Le pervertissement totalitaire. La banalité du mal selon Hannah Arendt, (KImé, 2017) elle travaille depuis quelques années sur la dimension de compréhension du monde propre à des autobiographes en situation de transfuge, d’entre-deux ou d’être paria (voir Autobiographies de transfuges . Karl Philipp Moritz, Richard Wright, Assia Djebar, Le manuscrit, 2013). Elle s’intéresse aujourd’hui à la tentation autobiographique chez des philosophes inspirés par une démarche déconstructive, en l’occurrence Jacques Derrida et Sarah Kofman.