La terre est-elle fragile ?

irudayam

Cet article a été initialement publié au sein du dossier “Grammaires de la vulnérabilité” dirigé par Sandra Laugier.

Une image ouvre et ferme le film d’Al Gore, Une vérité qui dérange : celle de la planète bleue, de la Terre vue de l’espace.  La photo en fut faite, précise Al Gore, lors de la mission Apollo 8, le soir de Noël 1968. Elle devint, dès les années 1970, l’emblème du mouvement écologique. C’est en voyant cette image que James Lovelock eut l’idée de l’hypothèse Gaïa[1]. Cette sphère bleutée, un peu floue, c’est l’image même de l’unité de la vie, de son caractère unique, mais aussi de sa fragilité, celle de la terre et la nôtre propre, car nous en faisons partie. Voir ainsi la terre, c’est vouloir la protéger. C’est ce dont témoigne Michael Collins, un des membres de l’expédition Apollo sur la lune, en 1969 : ce qui l’a frappé, ce n’est pas tant la Lune, que la Terre, « la planète fragile où j’habite […] poste avancé minuscule suspendu dans l’infinité noire. La Terre doit être protégée et entretenue à la façon d’un trésor, à la façon de quelque chose de précieux qui doit durer[2]. » Et c’est bien ainsi qu’Al Gore l’utilise : enchaînant, à la fin du film, l’image de la planète bleue sur une plongée dans l’univers, où la terre n’est plus qu’un infime pixel, il rappelle aux spectateurs : c’est là, dans ce point minuscule, qu’est notre histoire, c’est là qu’est notre vie.

Le faible roseau, la rose éphémère : souvent des éléments naturels ont servi à symboliser la fragilité et la finitude de l’homme. Mais, lorsqu’il s’agit de présenter la fragilité de la nature elle-même, pas seulement d’en faire une métaphore de celle de l’humanité, l’échelle change : c’est la planète entière qui est convoquée. Mais, pour voir ainsi la terre depuis l’espace, il fallait bien l’avoir quittée. Cette vision protectrice ne serait-elle pas aussi dominatrice ? L’autre face de la reconnaissance de la fragilité de la terre ne serait-elle pas l’affirmation de la puissance de l’homme ? Les clichés de la planète bleue proviennent d’une « conquête spatiale », dernier développement d’un projet technologique et politique, de domination de la nature et des hommes, qui extrapole à l’univers la conquête coloniale européenne des Temps modernes. C’est du côté de la science-fiction et des utopies technologiques qu’il faut chercher l’idée que la terre est trop petite pour une aventure humaine qui se poursuivra à l’échelle de l’univers, pas du côté de l’éthique environnementale, dont l’idée fondamentale serait précisément inverse : nous sommes liés à notre environnement avec lequel nous avons des relations d’interdépendance. Nous sommes de fait « liés à la terre » rappelle Baird Callicott[3]. Ce qui rend possible l’émouvante image de la terre est aussi ce qui en nie l’enseignement affiché.

Qui dit la fragilité de la terre ? Ses défenseurs, ou ceux qui en récupèrent l’image à d’autres fins ? La planète bleue n’est-elle pas aussi un cliché ressassé, reproduit à des millions d’exemplaires dans toutes sortes de publicités ? Et la terre est-elle aussi fragile qu’on le dit, demandent les écosceptiques qui s’indignent de ce que l’on agite la menace d’une catastrophe inexistante ? Il faut donc, après avoir retracé le contexte dans lequel apparaît l’idée de la fragilité de la terre et présenté ce que l’on entend par là, en examiner les critiques. Cela nous conduira à nous interroger : entre la fragilité du monde et la solidité de la Terre, faut-il choisir ?

La fragilité du monde

Lorsque se diffusent les images de la planète bleue, la conscience écologique a déjà émergé. On considère souvent que la publication d’un certain nombre de livres – Silent Spring de Rachel Carson (1962), The Population Bomb de Paul Ehrlich (1968), The Closing Circle de Barry Commoner (1970) – a joué un rôle de déclencheur. Écrits par des scientifiques, ces livres présentaient une série de faits sur les effets cumulés des pollutions par les pesticides, sur les conséquences de la croissance démographique, sur l’épuisement des ressources naturelles. Cette intervention militante de scientifiques dans le débat environnemental était alors nouvelle. Dans les années 1960, rares furent ceux qui, comme Carson, Ehrlich ou Commoner prenaient publiquement position. La plupart des scientifiques se tenaient en dehors du débat public, comptant sur les organisations militantes (comme le Sierra Club aux États-Unis) pour se faire les avocats et les propagandistes de la cause environnementale. Ils s’affirmaient attachés à l’objectivité scientifique. Tel fut le cas d’Edward Wilson qui resta dans sa neutralité de savant, jusqu’en 1986, date où fut formé le terme de biodiversité, en même temps que se développa la biologie de la conservation qui affirma ouvertement sa vocation « missionnaire » (« a mission oriented science »)[4]. Persuadé que la biodiversité était menacée et que l’on était au bord d’une sixième extinction, cette fois d’origine anthropique, Wilson se lança dès lors dans le militantisme.

L’entrée de scientifiques comme Wilson ou Jane Goodall dans les campagnes pour la protection de l’environnement a beaucoup contribué à l’internationalisation du mouvement[5], qui s’était jusque-là surtout développé sur une base locale, ou, tout au plus, nationale. Ce sont également les scientifiques qui ont introduit la thématique de la fragilité de la nature. Les mouvements de protection de la nature dénonçaient certes jusqu’alors la nocivité des activités humaines, mais ils n’insistaient pas particulièrement sur la fragilité du milieu naturel. Les amoureux de la wilderness exaltaient la rencontre avec une nature sauvage, âpre, forte, dangereuse : on y pouvait mettre sa vie en danger. La wilderness n’est pas une nature fragile : l’expérience qu’on en fait peut inspirer l’humilité (se retrouver tout petit dans une nature englobante et sublime) ou exalter en chacun une force intérieure. C’est le « sauvage et libre » de Thoreau, qui voit dans le sauvage (en moi comme hors de moi) une force de rédemption : « In Wildness is the preservation of the World » écrit Thoreau [6].

Avec l’intervention des scientifiques émergea un nouveau consensus qui « décrivit l’environnement comme fragile, interconnecté, et fondamentalement menacé »[7]. L’idée centrale, celle de l’interdépendance, est l’apport propre de l’écologie scientifique (qui atteint sa maturité scientifique avec la formulation de l’écologie systémique dans les Fundamentals of Ecology des frères Odum, au début des années 1950), elle explique les réactions en chaîne et les effets cumulatifs des problèmes environnementaux. C’est ce que montre le livre de Rachel Carson : tout au long de la chaîne alimentaire, les pesticides s’accumulent, atteignant des taux de concentration mortels.

Dans le Principe responsabilité et dans ses articles ultérieurs, Hans Jonas montre les effets, dans le domaine de la technique, de cette interdépendance. C’est la question des effets non intentionnels des interventions techniques, qui sont finalement plus redoutables que les effets attendus (et obtenus) : « l’action a lieu dans un contexte où tout emploi à grande échelle d’une capacité engendre, en dépit de l’intention droite des agents, une série d’effets liée étroitement aux effets “bénéfiques” immédiats et intentionnés, série qui aboutit, au terme d’un processus cumulatif, à des conséquences néfastes dépassant parfois de loin le but recherché[8] ». Si l’on ajoute à cela la dimension tant spatiale (la terre entière) que temporelle (des siècles ou bien plus quand il s’agit du nucléaire) de ces répercussions, on perçoit toute l’importance de cette interdépendance, qui, pour Jonas, est systémique (elle fait intervenir des boucles de rétroaction). Le développement technologique s’entretient ainsi lui-même : « sa création cumulative, à savoir l’environnement artificiel qui se propage, renforce par un perpétuel effet rétroactif les forces particulières qui l’ont engendrée : le déjà créé oblige à leur mise en œuvre inventive toujours recommencée[9]. » C’est dans ce contexte, celui des conséquences, globales et à long terme, des actions techniques humaines, que Jonas parle aussi bien de la vulnérabilité de la nature, que de celle des hommes, menacés par la dégradation de leurs conditions d’existence, si bien qu’il faut « protéger leur vulnérabilité contre la menace d’une atteinte portée à ces conditions[10]. »

Comme Hans Jonas, Michel Serres, dans Le Contrat naturel, souligne le contraste entre l’impact très longtemps limité de l’action des hommes sur leur environnement et son importance actuelle. La présence physique des hommes d’autrefois était purement locale, ils ne pouvaient prétendre atteindre l’universel que par la pensée. La grande nouveauté, c’est qu’aujourd’hui les hommes, dans leur masse cumulée, sont devenus une réalité physique, qui a une existence globale, visible depuis l’espace. Michel Serres évoque, « visible la nuit par satellite comme la plus grosse galaxie de lumières, en tout plus peuplée que les États-Unis, la super géante mégalopole Europe » dont les effets sont naturels : elle « bouleverse, depuis longtemps, l’albédo, la circulation des eaux, la chaleur moyenne et la formation des nuages et des vents, pour tout dire, les éléments[11]. » D’acteur local, l’homme, massifié en humanité, est devenu le sujet global : « il existe comme ensemble, dépasse le local pour s’étendre sur d’immenses plaques, astronomiquement observables, au même titre que les océans[12]. »

Dans ce passage du local au global, la Terre, de menaçante devient menacée, c’est une victime de la « violence objective » des actions humaines dans la nature : « Vient de changer de camp la fragilité[13] ». Plus exactement, elle est des deux côtés. Si l’on définit la nature comme « l’ensemble des conditions de la nature humaine elle-même, ses contraintes globales de renaissance ou d’extinction[14] », les hommes, en mettant en danger ces conditions, se mettent en danger eux-mêmes. Michel Serres définit ainsi la fragilité, par « l’absence de supplément[15] » ou de réserves. La nature s’est longtemps présenté ainsi : comme un extérieur, où l’on pouvait puiser des ressources, que l’on pouvait transformer, où l’on pouvait déverser ce que l’on avait en trop. C’est ce qui permettait le partage moderne entre la société (où l’on restait entre soi, entre humains) et la nature (une extériorité dont s’occupaient les savants). Cette extériorité n’existe plus. Ce qui émerge, c’est « la Planète-Terre, nouvelle nature[16] » : l’humanité, les « plaques physiques » d’hommes, l’occupent tout entière, il ne reste aucune réserve, aucune extériorité. Or il n’est « rien de plus faible qu’un système global qui devient unitaire[17] ». Globalité rime donc avec fragilité : « Notre puissance collective atteint donc les limites de notre habitat global[18]. »

Michel Serres rejoint ici Hans Jonas, pour estimer que la crise environnementale pose la question des limites. « Personne ne doute aujourd’hui qu’il y a ici des limites de tolérance », affirme ainsi Jonas. Mais, s’ils s’accordent sur l’idée de limites (c’est d’ailleurs l’une des plus largement partagées dans la conscience environnementale[19]), ils n’y parviennent pas de la même manière.

La préoccupation centrale de Michel Serres est le changement climatique, dont l’origine anthropique n’est pas encore, lorsqu’il écrit son livre, l’objet d’un consensus explicite, mais que son analyse suppose : c’est ce que signifie la convergence entre « la nature globale, la Planète-Terre en sa totalité » et « ces nouvelles plaques d’hommes, sièges d’interrelations réciproques et croisées entre les individus et les sous-groupes, leurs outils, leurs objets-monde et leurs savoirs[20] ». De ces interrelations, Serres fait une approche systémique qui utilise le langage de la physique : « la Terre nous parle en termes de forces, de liens et d’interactions[21] ». Sans doute Serres emprunte-t-il à l’écologie, mais c’est à une écologie systémique, qui interroge les interrelations du biotique et de l’abiotique, plus qu’elle n’affirme l’unité englobante de la vie. Il se réfère à diverses reprises à une conception de l’équilibre global, comme à un équilibre dynamique et non finalisé, où la stabilité se maintient à travers d’incessantes fluctuations.

Hans Jonas a développé sa réflexion sur la technique et sur la façon dont elle met en danger la nature, après avoir mené une réflexion sur la vie, exposée dans Le Phénomène de la vie[22]. Il y développe une théorie de la finalité présente à tous les niveaux du vivant, finalité d’abord discrète, puis qui va s’affirmant et culmine dans l’humanité. Il reprend cette conception de la finalité dans le Principe responsabilité, ce qui lui permet de poser que la finalité n’est pas seulement un concept subjectif, qu’il y a bien des fins dans la nature. C’est donc affirmer l’unité du vivant, et son orientation téléologique : c’est l’idée de l’Être comme puissance d’auto-affirmation, de la vie comme acquiesçant à la vie.

On peut peut-être rapporter à cette différence entre une approche principalement physique et une approche biologisante et finaliste des questions environnementales le fait que Serres parle de « fragilité » alors Jonas emploie plutôt le terme de « vulnérabilité » pour dire que le système atteint ses limites et que la catastrophe menace. Les deux termes peuvent parfois être très proches, comme c’est le cas dans le langage du risque où la vulnérabilité est une fragilité située : elle désigne le point faible d’un ensemble quelconque (système institutionnel ou naturel, organisme social ou biologique). Mais le langage du risque se veut objectif, il est descriptif. Tels qu’ils sont employés dans le contexte environnemental, les termes de fragilité ou de vulnérabilité, sont des concepts mixtes, descriptifs et normatifs, de ceux que Bernard Williams appelle des concepts « épais » (« thick »), unissant le fait et la valeur[23]. Ils fournissent, explique-t-il, des raisons d’agir. La fragilité, comme la vulnérabilité, incitent à la protection, à faire attention, à témoigner de la sollicitude. Mais il nous semble, que, si l’on se rapporte à l’usage qu’en font Serres et Jonas, les contenus descriptifs et normatifs ne se lient pas de la même façon quand il s’agit de fragilité et de vulnérabilité.

La fragilité peut être comparée au stress (terme emprunté à la physique des matériaux). Il s’agit d’une propriété physique qui peut, bien sûr, être transférée au domaine psychologique ou moral (« et comme elle a l’éclat du verre, elle en a la fragilité »). Mais le terme conserve, dans ce déplacement, certaines de ses caractéristiques originelles, à savoir qu’il s’agit d’une détermination non finalisée. Tel que Serres le présente, le système global est fragile, parce qu’il est saturé : il a atteint sa limite de charge, il ne peut plus rien absorber. Il faut donc maintenir ensemble ce qui menace de se dissocier. Le contrat introduit l’idée du lien, dont Serres donne une image artisanale  dans une référence au Politique de Platon, le tissage comme métaphore de l’action politique. Il ne s’agit pas d’une unité préexistante, qu’il faudrait retrouver, un contrat se fait ou se construit.

La vulnérabilité est une propriété organique, peut-être même des seuls corps sensibles, qui peuvent souffrir. En ce sens, elle relève plus du ressenti que la fragilité qui est plutôt une caractéristique constatée de l’extérieur. On peut même considérer que la vulnérabilité appartient d’abord à l’humanité, à la finitude de la condition humaine, qui la rend vulnérable. Ce peut donc être le point de départ d’une extension du domaine de la moralité. C’est ce qui permet ainsi à Jonas d’étendre à l’ensemble de la nature une sollicitude qu’il ne réserve plus aux seuls humains. Notre puissance technique est, pour Jonas, la mesure de notre responsabilité : elle est donc globale, et à très long terme. Mais cette responsabilité ne se limite pas aux générations futures, elle comporte des devoirs directs vis-à-vis de la nature, « de la biosphère dans sa totalité[24] » –et pas seulement les devoirs indirects de préserver, pour les générations à venir, les conditions d’une vie digne d’être vécue. Cela tient à l’unité de la vie, qui fait que tous les êtres vivants (et pas seulement les hommes) sont liés par « une communauté de destin[25] ». La vie a des prétentions morales à faire valoir : « un appel muet qu’on préserve son intégrité semble émaner de la plénitude du monde de la vie, là où elle est menacée[26]. » Si l’on supprime la philosophie de la biologie de Jonas, il ne reste plus que la responsabilité vis-à-vis des générations futures, tout souci de la vie et de sa vulnérabilité disparaît[27].

Mais, avant de voir si la sollicitude vis-à-vis de la nature relève de la fragilité et du contrat naturel, ou de la vulnérabilité et de la communauté de destin, il faut revenir un peu sur le contenu descriptif de cette fragilité et de cette vulnérabilité. Un jugement moral qui fait intervenir un concept « épais » est susceptible d’être vrai ou faux et, si le contenu descriptif est invalidé, il n’y a plus de raisons pour agir. Il faut donc examiner les arguments écosceptiques, selon lesquels la nature n’est ni fragile, ni vulnérable.

La solidité de la Terre

Ulrich Beck l’a bien montré : l’écosceptique est un personnage inévitable de la crise environnementale, il en fait partie[28]. Les dommages environnementaux, le plus souvent, ne font pas l’objet d’une expérience directe : certains effets ne sont pas directement visibles (ainsi les radiations atomiques). La nature, dont on affirme la fragilité ou la vulnérabilité, est invisible à l’œil nu : elle n’est accessible qu’à l’aide de procédures technoscientifiques complexes, rassemblant les spécialistes de diverses disciplines. Cette nature toujours médiatisée par des procédures sociales, appréhendée au travers de symboles ou de valeurs (le concept « épais » de fragilité) est ce que l’on désigne souvent comme une nature socialement construite, dont l’existence même soulève des doutes. Il est donc tentant et, tout particulièrement, lorsqu’il est question de fragilité ou de vulnérabilité, qui sont des expériences sensibles, d’opposer l’éprouvé au construit.

C’est ce que fait Jeffrey E. Foss, un spécialiste de philosophie des sciences, qui, tout en aimant la nature, n’adhère pas à ce qui lui paraît être un dogme : celui de la crise environnementale. Dans une conférence où il se propose d’expliquer « pourquoi il n’est pas un environnementaliste », il renonce à s’embarquer dans une longue et abstruse discussion sur les chiffres des experts et, pour prouver que, contrairement à ce qui se dit, la nature entière n’est pas dévastée, il se tourne vers la fenêtre de la salle où il donne sa conférence et fait remarquer à ses auditeurs la splendeur du spectacle : « la douceur des derniers rayons du soleil sur les flamboyantes couleurs des feuilles mortes en une magnifique fin d’après-midi d’automne sur le campus » de l’Université de Victoria (à l’Ouest du Canada)[29]. Cela ? Une nature dévastée ? Elle est si belle !

Une belle nature ne ment pas : elle n’est ni mauvaise, ni fragile, ni malade. Foss va donc s’employer à établir la solidité de la nature. Selon lui, en affirmant que les hommes font peser une menace mortelle sur la Terre, nous surestimons notre puissance : la Terre a connu quantité de chocs violents, de cataclysmes bien pires que tout ceux que nous pouvons lui infliger. Elle a reçu l’impact d’énormes météorites, elle a connu plusieurs épisodes d’extinction massive d’espèces (cinq au moins), elle a été bombardée par toutes sortes de rayons cosmiques nocifs, elle a connu des variations climatiques bien plus importantes que celles que nous redoutons. Or elle a survécu à tous ces chocs, elle en est même ressortie plus riche : nous surestimons donc sa fragilité.

Ce type d’argument a sans doute pour objectif de disqualifier tous les efforts que l’on voudrait faire pour diminuer une prétendue menace. Il est inutile de limiter la consommation d’énergie provenant de combustibles fossiles, de s’intéresser aux énergies renouvelables, de taxer ou condamner les pratiques polluantes ou destructrices de l’environnement, de chercher à modifier son style de vie… on peut continuer à faire comme avant (« business as usual »). Pourtant, telle qu’elle est menée, cette argumentation peut se trouver converger avec celle de certains environnementalistes.

Présentée par James Lovelock[30] et Lynn Margulis[31], fortement contestée par certains scientifiques et acceptée par d’autres, l’hypothèse Gaïa naît de la comparaison de l’atmosphère terrestre avec celles des autres planètes du système solaire : elle est la seule capable de retrouver un équilibre malgré la variation des conditions extérieures. D’où l’hypothèse que la biosphère[32] est une « entité autorégulatrice, capable de préserver la santé de notre planète tout en contrôlant l’environnement chimique et physique[33] ». La biosphère a un métabolisme, elle est comme un être vivant. Les philosophes[34] qui ont  adopté cette hypothèse font ressortir la portée éthique d’une telle conception : si la terre est vivante, on peut dire qu’elle est vulnérable, si sa vie est ce qui permet à tous les autres vivants de se maintenir, on peut considérer qu’une communauté de destin nous lie à elle[35]. La santé de Gaïa peut ainsi servir de référence à notre action dans notre environnement : Baird Callicott transfère ainsi à la globalité  de Gaïa la maxime que Leopold appliquait à des communautés biotiques locales : « Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse[36]. »

Foss rejette en bloc une telle hypothèse. Il la critique épistémologiquement, la jugeant holiste et organiciste, alors qu’une vision scientifique est, selon lui, analytique (ou réductionniste) et mécaniste. Il critique encore plus la confusion des faits et des valeurs, la dimension normative de notions comme celles de santé, de fragilité, de vulnérabilité. Il y trouve même une dimension religieuse : « L’hypothèse Gaïa prouve que même des scientifiques peuvent faire l’expérience du sacré dans la nature[37] ».

Ce qui est un scandale pour Foss n’en est pas un pour Mary Midgley. Si l’on a eu de bonnes raisons, selon elle, de se débarrasser des religions (essentiellement à cause de l’usage politique oppressif qui en était fait), il n’y avait pas que du mauvais en elles, et l’on a sans doute eu tort de désenchanter si complètement la nature. On aurait avantage à retrouver, à l’égard de Gaïa, un peu de la terreur sacrée (« awe ») que la déesse grecque inspirait. À ce niveau, l’opposition entre écosceptiques et adorateurs de Gaïa est complète. Pourtant, ils partagent une même conception : celle d’une Terre solide, capable de s’adapter à des perturbations violentes, et qui, au moins dans son passé pré-humain, a su non seulement survivre à des bouleversements brutaux, mais en tirer parti pour aller vers plus de diversité, et étendre la sphère du vivant.

On peut remarquer que cet argument d’une solidité propre à la Terre renvoie à une conception de la nature que défendent souvent les environnementalistes, celle d’un processus autonome et auto-entretenu, qui n’a pas besoin de l’homme pour exister. Insister sur cet aspect, c’est faire apparaître, par contraste, tout ce que l’idée d’une nature fragile peut avoir d’anthropocentrique. Entre l’homme possesseur et l’homme protecteur, il n’y a pas opposition, mais continuité : celle de la maîtrise d’une nature qui demeure dans la dépendance de l’homme. On peut aussi souligner que, dans cette fragilité, ce sont les hommes qui sont menacés. Gaïa peut s’en passer. Interprétée ainsi, l’hypothèse Gaïa ne met pas tant l’accent sur sa vulnérabilité, que sur son indépendance. L’hypothèse Gaïa est un argument à double tranchant. On aurait donc tort de penser qu’il y a, d’un côté, les amis de la Terre qui insistent sur sa fragilité ou sa vulnérabilité, et, de l’autre, les écosceptiques qui font valoir que la Terre est robuste. L’hésitation entre fragilité et solidité est interne au discours environnementaliste.

Gaïa : force et faiblesse

La question importante, si l’on suit la présentation qu’en fait Émilie Hache, n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre l’hypothèse Gaïa, mais quelle version l’on en retient : forte ou faible[38].

La version forte est la version holiste. C’est celle qu’introduit Lovelock, et que défendent philosophiquement Mary Midgley ou Baird Callicott. Il ne suffit pas de dire l’interdépendance des organismes vivants (la leçon de l’écologie), il faut insister sur l’unité qu’ils forment, leur commune appartenance à un Tout, aussi réel que les parties qui en dépendent. La Terre est vivante, elle est donc vulnérable (elle peut être blessée) et la désigner du nom de Gaïa (déesse de la Terre) conduit à mettre l’accent sur les devoirs que l’on a à son égard. Il s’agit d’une totalité qui nous englobe, et à laquelle nous devons respect, gratitude, admiration, tout cela teinté de crainte ou d’effroi, devant ce qui nous dépasse[39]. Pour vulnérable qu’elle puisse être, Gaïa n’est donc pas fragile, elle impose le respect plus qu’elle n’inspire la pitié. Les hommes sont en situation de subordination, ils sont dépendants. Ils appartiennent à la terre, à son histoire et sont, comme le disait Leopold, « compagnons-voyageurs des autres espèce dans l’odyssée de l’évolution[40] ».

Pour présenter notre rapport à Gaïa, Mary Midgley fait référence à l’expérience que nous avons du sublime, ce qui la conduit à en mentionner la dissymétrie : ce que nous ressentons, devant Gaïa, c’est son immensité, et « sa totale indifférence à nos besoins[41] ». Nous avons besoin de Gaïa, mais Gaïa n’a pas besoin de nous. Peut-être même irait-elle bien mieux sans nous ? Devrions-nous nous sacrifier pour que Gaïa continue à vivre ?

La version faible de Gaïa, qui est celle d’Isabelle Stengers, tient compte de cette dissymétrie et évite ce dilemme. Ce n’est pas une version holiste : l’accent n’est pas mis sur le tout, sur son unité et son autorégulation. Ce qui compte, c’est la continuité de l’histoire de Gaïa, qui est celle de l’histoire de la vie : les bactéries ont fabriqué la terre que nous habitons, elles en sont « véritablement les co-auteurs[42] ». On passe d’une vision traditionnelle de la terre ou de la nature en termes de donné, d’éléments préexistants, à la saisie d’un enchevêtrement de processus.

Cette vision systémique disqualifie la vision mécaniste de la nature comme un ensemble de ressources, de moyens pour nos fins. À ceux, qui, comme Jeffrey Foss, protestent que seul le mécanisme réductionniste est scientifique, Isabelle Stengers réplique qu’il est de nos jours largement remis en cause. On est passé de la connaissance de la nature en termes de lois et de régularités, à la simulation et à la modélisation, qui sont anticipation des possibles, et conduisent à donner l’alerte : « ces régimes interconnectés et interdépendants, ces processus qui réagissent les uns par rapport aux autres, sont des régimes potentiellement instables. Cela pourrait changer brutalement[43] ». À la différence de ce qu’affirme la vision forte, holiste et organiciste, Gaïa peut devenir instable.

C’est dans ce régime d’instabilité potentielle que s’inscrit notre relation dissymétrique à Gaïa. Gaïa ne s’intéresse pas à nous : elle nous survivra, « les bactéries continueront, quelles que soient les bêtises que nous puissions faire[44] ». Gaïa n’a donc pas à être protégée, mais nous avons besoin d’elle, car nous en dépendons, et c’est pourquoi nous devons la respecter, « non parce qu’elle serait respectable comme une déesse, mais au sens où elle est sensible, voire même chatouilleuse[45] ». C’est ce qu’Isabelle Stengers appelle une « culture de la non-symétrie » : nous devons prêter la plus grande attention à une déesse à qui nous sommes suprêmement indifférents. Ce qu’il s’agit de penser, ce n’est pas l’appartenance (comme dans la version forte) mais « l’intrusion » de Gaïa, « l’événement d’une intrusion unilatérale qui impose une question sans être intéressée à la réponse[46] ».

La dissymétrie de notre rapport à Gaïa resserre le champ de la menace : ni la Terre, ni même la seule biosphère ne risquent de disparaître. C’est nous qui sommes menacés, qui sommes fragiles. Mais ce « nous » ne se limite pas aux seuls humains, il inclut tous les non-humains avec lesquels nous avons développé des relations d’interdépendance réciproque, ce que Karl Otto Apel nomme notre « écosphère » : « cette partie de la biosphère planétaire qui partage les préconditions de la vie avec l’humanité[47] ». Une politique capable de prendre en considération l’intrusion de Gaïa doit réunir tous les membres de l’écosphère, humains et non-humains.

La proposition de « contrat naturel » que fait Michel Serres convient à cette version faible de Gaïa, en ce que l’accent est mis sur le lien, non sur la totalité englobante, et que le collectif  est à constituer, bien loin qu’il soit donné, une fois pour toutes, par une histoire finalisée. De ce point de vue, la métaphore (ou le modèle) du contrat est justifiée. Michel Serres mentionne clairement que les choses ne peuvent plus être à l’extérieur du collectif, prévoyant bien l’intégration des non-humains.

L’interdépendance de tous les êtres vivants et de leurs milieux est à la fois la bonne nouvelle de l’écologie (son message relationnel) et la mauvaise nouvelle des réseaux technologiques : la globalisation nous fragilise (l’éruption d’un volcan en Islande peut empêcher le président des États-Unis d’Amérique de se rendre aux obsèques du président polonais). Le contrat naturel ne peut donc pas simplement consister à renforcer les liens, ni à les totaliser, mais plutôt à rééquilibrer les tensions de ce lien, qui sont, pour Michel Serres, essentiellement des tensions entre le global et le local : si la « totalité pleine et raide peut casser », « les ensembles flous, munis de lieux et de refuges divers » résistent[48]. Quelle peut être la « fragile synthèse » capable d’articuler le global et le local[49] ? Depuis la publication du livre de Michel Serres, deux formes de solution différentes sont apparues qui empruntent, soit au modèle juridique, soit aux interrelations systémiques : le GIEC d’une part, la résistance aux OGM, telle que la présente Isabelle Stengers, d’autre part.

Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) – qui a reçu avec Al Gore le prix Nobel de la paix – peut être envisagé comme une forme de contrat naturel. Il réunit des experts du monde entier, et des représentants de tous les gouvernements : il a la dimension cosmopolite requise par la globalité de la crise. Il fait entrer les choses (le climat, les océans, les forêts) dans le contrat, grâce aux scientifiques. C’était bien la proposition de Michel Serres[50]. Il fait ressortir que le travail scientifique est un travail collectif et, comme tel, peut être modélisé par le contrat – mais, à la différence des autres contrats, ce contrat scientifique ne lie pas seulement des humains, il inclut des objets, il les fait témoigner en personne. C’est bien cette présence des choses que permet la participation des scientifiques au GIEC. Mais ils ont quitté l’ancienne position d’extériorité qui caractérisait la séparation moderne entre nature et société : les scientifiques étaient alors ceux qui, de l’extérieur, parlaient de la nature, entre eux et en position d’autorité vis-à-vis de la société. Avec le GIEC, les sciences entrent en société, dans la société des nations : les rapports sont le résultat de discussions entre les scientifiques et les représentants des pays dont ils sont citoyens. Cela implique aussi qu’entre le local et le global s’interpose le relais du national, des États souverains, condition d’un traitement politique de la question[51].

Ce qu’Isabelle Stengers nomme « l’événement OGM[52] », la résistance européenne aux organismes génétiquement modifiés et brevetés qui se sont répandus dans les Amériques et en Asie, ne relève pas du modèle juridique du contrat. « L’événement OGM » renvoie à une logique de réseau, on y verrait plutôt un exemple de la résistance des « ensembles flous » et locaux (militantisme associatif non centralisé) aux réseaux techniques et économiques à travers lesquels s’effectue la diffusion globale des OGM.  C’est une politique qui tient plus de la résistance ou de la désobéissance civile que du contrat[53]. Elle ne s’inscrit pas non plus dans la logique traditionnelle des luttes sociales, qui est d’imposer un rapport de force. De la façon dont procèdent les modes de résistance aux OGM, « ils réunissent des connexions là où prédominait une logique des priorités stratégiques[54] ». Mais, ce faisant, ils remplissent les objectifs du contrat naturel, en incluant les non-humains : la résistance aux OGM, est « une manière de répondre pour nous mais aussi pour les innombrables espèces vivantes que nous entraînons dans la catastrophe[55]. »

Le contrat naturel, ce n’est donc pas seulement la rencontre des dirigeants politiques et des experts scientifiques, c’est aussi l’entrée en scène des citoyens ordinaires, ceux qui se mobilisent pour avoir part aux décisions qui concernent l’innovation scientifique et technologique. Comme l’a montré Bruno Latour, « faire entrer les sciences en démocratie », implique que l’on fasse se rencontrer controverses scientifiques et débat public[56]. Mais cela ne suffit pas à contrer les arguments sceptiques contre la fragilité de notre écosphère. D’une part, parce que le mode d’accord auquel on parvient dans le débat public n’est pas du même type que celui par lequel se résolvent les controverses scientifiques. Dans le débat public, où le pluralisme est la règle, on atteint rarement un consensus qui dépasse la majorité de ceux qui y participent. Les controverses scientifiques peuvent être violentes, mais elles se résolvent souvent par un accord massif : 90% ou plus s’y rallient. Des climatosceptiques, comme Claude Allègre, jouent sur la différence des modes d’accord et sur la méfiance du public vis-à-vis des accords politiques trop massifs (ceux des pays totalitaires ou autoritaires) pour jeter le doute sur les accords entre scientifiques du GIEC, suspectés d’être le résultat d’une conspiration où l’on aurait fait taire les opposants. D’autre part, parce qu’une des forces de l’argument sceptique tient à la dissociation du monde vécu et du monde scientifique : la nature telle que nous l’éprouvons n’est pas la même que celle dont les scientifiques nous disent la fragilité. Or, pour exercer sa force morale, le concept « épais » de fragilité doit lier, en une expérience effective, sa dimension normative et sa dimension descriptive. La prescription dont le diagnostic de fragilité est porteuse en effet n’est pas déduite de la description, elle est éprouvée en contexte, elle fait partie du monde vécu.

Jusqu’à présent cette ouverture du monde vécu aux connaissances scientifiques de façon à en faire éprouver, comme une certitude, les informations, a été le plus souvent envisagée du point de vue de la pédagogie : le film d’Al Gore en est un remarquable exemple, où les épisodes personnels de la vie d’Al Gore (l’accident de son fils, le cancer de sa sœur) servent de médiation entre le public (auquel il s’adresse) et les scientifiques (dont il présente les connaissances), montrant comment, lorsque l’on éprouve personnellement la possibilité de la perte d’un être cher, on est prêt à se mobiliser pour la planète fragile ou vulnérable (c’est une des idées de Jonas). Mais cela maintient le public dans un état passif de spectateur : chacun est interpellé individuellement, isolément des autres. On peut critiquer cela du point de vue de l’efficacité : l’attention, passivement sollicitée, peut s’émousser (on s’habitue à la vision de la catastrophe). On peut aussi montrer que les mesures individuelles auxquelles le film appelle sont bien insuffisantes[57]. La mobilisation des citoyens ordinaires autour d’objectifs environnementaux mène à la constitution, dans l’action, d’un collectif, de ce « nous » d’humains et de non-humains, qui fait l’expérience à la fois de la fragilité et de la puissance  de la résistance (qui n’est certes pas totale) qui permet d’y répondre. Elle inscrit dans le local, ce qui ne peut pas être seulement appréhendé globalement. Car si la vision de la planète bleue éveille notre compassion pour sa fragilité, il faut revenir sur terre pour pouvoir y porter réponse.


[1] James Lovelock,  La terre est un être vivant. L’hypothèse Gaïa, Paris, Flammarion « Champs », 1993, p. 148.

[2] Cité par Hicham Stéphane Afeissa, Préface à Écosophie, la philosophie à l’épreuve de l’écologie, Paris, Dehors éditions MF, 2009, p. 19-20.

[3] « Earth-bound », J. Baird Callicott, « Moral Considerability and Extraterrestrial Life », In Defense of the land ethics: Essays in Environmental philosophy; Albany, State University of New York Press, 1989, p. 249-250.

[4] David Takacs, The Idea of Biodiversity: Philosophies of Paradise, Baltimore & London, John Hopkins University Press, 1996.

[5] Il faut, bien sûr, tenir compte aussi du rôle, dans cette internationalisation des problèmes environnementaux, des programmes pour l’environnement et le développement de l’ONU, depuis les années 1970 (marqués, notamment, par le rapport Brundtland de 1987, le Sommet de la Terre de 1992).

[6] Henry David Thoreau, Walking (1862), Marcher, Essais, Marseille, Le mot et le reste, 2007, p. 196 (« In short, all good things are wild and free ») et 204 (« c’est dans cette nature sauvage que réside la sauvegarde du monde »).

[7] James Morton Turner, « The Politics of Modern Wilderness », in American Wilderness, p. 246.

[8] Hans Jonas, « La technique moderne comme sujet de réflexion éthique », dans Marc Neuberg (dir.), La responsabilité. Questions philosophiques, Paris, PUF, 1997, p. 232

[9] Hans Jonas, Le Principe responsabilité (1979), trad. J. Greisch, Paris, Éditions du Cerf, 1990, p. 28.

[10] Hans Jonas, idem, p. 30.

[11] Michel Serres, Le Contrat naturel, Paris, Françoise Bourin, 1990, p. 35.

[12] idem, p. 37.

[13] idem, p. 40.

[14] idem, p. 64.

[15] idem, p. 71.

[16] Idem, p. 56.

[17] Idem, p. 72.

[18] Idem, p. 72.

[19] C’est l’idée notamment que l’on ne peut viser une croissance infinie dans un monde fini. Idée présentée notamment par Georges Canguilhem, dans une conférence prononcée à Strasbourg en 1973, « La question de l’écologie. La technique ou la vie »  publiée dans la revue Dialogue, de mars 1974 (p. 37-44), jointe en annexe du livre de François Dagognet, Considérations sur l’idée de nature, Paris, Vrin, 2000 (voir p. 187-188)

[20] Michel Serres, Le Contrat naturel, op. cit., p. 40.

[21] Idem p. 69

[22] Hans Jonas, Le Phénomène de la vie, Vers une philosophie de la biologie (1966), trad. Danielle Lories, Paris, Bruxelles, De Boeck Université, 2001.

[23] Bernard Williams, L’Éthique et les limites de la philosophie (1985), trad. M.-A. Lescourret, Paris, Gallimard, 1990.

[24] Hans Jonas, Le Principe responsabilité, op. cit., p. 26.

[25] Karl Otto Apel, « La crise écologique et l’éthique du discours », dans Gilbert Hottois & Marie-Geneviève Pinsart (dir.), Hans Jonas, Nature et responsabilité, Paris, Vrin, p. 110.

[26] Hans Jonas, Le Principe responsabilité, op. cit., p. 27.

[27] C’est, nous semble-t-il, la lecture que Jean-Pierre Dupuy fait de Jonas dans Le Catastrophisme éclairé (Paris, éditions du Seuil, 2002).

[28] Ulrich Beck, « La Politique dans la Société du Risque », in Chassez le naturel…, Ecologisme, naturalisme et constructivisme, Revue du Mauss, n° 17, Recherches, La Découverte/MAUSS, 2001, p. 376-392. Voir aussi Ulrich Beck, La Société du risque, trad. Laure Bernardi, Paris, Flammarion, 2008.

[29] Jeffrey E. Foss, Beyond Environmentalism, A Philosophy of Nature, Hoboken, New Jersey, John Wiley and Son editions, 2009, p. 2.

[30] James Lovelock,  La Terre est un être vivant. L’hypothèse Gaïa (1979), trad. P. Couturian et C. Rollinat, Paris, Flammarion, 201.

[31] Lynn Margulis, The Symbiotic Planet, A New Look at Evolution, New York, Basic Books, 1998.

[32] Concept inventé par le géochimiste russe W. Vernadsky, dans un livre publié en 1926, la biosphère désigne « la mince pellicule, à la surface de la terre, qui abrite les êtres vivants et inclut l’environnement au sein duquel se déroulent les échanges d’énergie et de matière qui permettent l’existence de la vie. » Voir Jean-Paul Deléage, La biosphère. Notre terre vivante, Paris, Gallimard, Découvertes-Gallimard, Sciences et techniques, 2001.

[33] James Lovelock,  La terre est un être vivant, op. cit., p. 19.

[34] Mary Midgley, Gaïa, The Next Big Idea, London, Demos, 2001 ; J. Baird Callicott, « De la Land Ethic à l’éthique de la Terre : Aldo Leopold à l’époque du changement global », Écosophies, la philosophie à l’épreuve de l’écologie, Paris, Dehors, éditions MF, 2009, p. 55-79.

[35] « The fate of earth should concern us », dans David Midgley (dir.), The Essential Mary Midgley, London and New York, Routledge, 2005, p. 363.

[36] Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables (1948), trad. J.M.G. Le Clézio, Paris, Flammarion, 2000.

[37] J. E. Foss, Beyond Environmentalism, p. 172.

[38] Émilie Hache, Ce/ux à quoi nous tenons. Proposition pour une responsabilité écologique pragmatique, Thèse pour le doctorat de l’Université de Paris VIII (Science politique), 2009, chapitre 4, p. 188-209.

[39] « Awe and reverence », « wonder and gratitude », Mary Midgley, « Gods and Goddesses, the role of wonder », The Essential Mary Midgley, op. cit., p. 363.

[40] Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables, op. cit., p. 145.

[41] Mary Midgley, « The unity of life», The Essential Mary Midgley, op. cit., p. 375.

[42] Isabelle Stengers, « Faire avec Gaïa. Pour une culture de la non-symétrie », Multitudes, 2006, no 24, p. 10.

[43] Idem.

[44] Idem.

[45] Idem, p. 10.

[46] Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris, Les Empêcheurs de Penser en Rond-La Découverte, 2009, p. 54.

[47] Karl Otto Apel, « La crise écologique et l’éthique du discours », dans Gilbert Hottos & Marie-Geneviève Pinsart (dir.), Hans Jonas, op. cit., p. 110.

[48] Michel Serres, Le contrat naturel, op. cit., p. 71-72.

[49] Michel Serres, Éclaircissements, Entretiens avec Bruno Latour, Troisième entretien, « contre l’éloge du fragment, celui de la fragile synthèse », p. 176-180.

[50] Voir Catherine Larrère, « Éthique et environnement, A propos du Contrat naturel », Ecologie politique, 1993, no 5, p. 27-49.

[51] Amy Dahan Dalmedico, « Le régime climatique entre science et expertise et politique », dans Amy Dahan Dalmedico (dir.),  Les Modèles du futur, Changement climatique et scénarios économiques : enjeux scientifiques et politiques, Paris, La Découverte, 2007, p. 113-139.

[52] Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, op. cit., p. 38.

[53] Albert Ogien & Sandra Laugier, Pourquoi désobéir en démocratie ?, Paris, La Découverte, 2010.

[54] Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, op. cit., p. 70.

[55] Idem, p. 47-48.

[56] Bruno Latour, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, La Découverte, 1999.

[57] C’est la remarque que fait Callicott à la fin de son article sur l’éthique de la terre à l’époque du changement global : « Il ne suffit pas d’encourager simplement individuellement et volontairement les gens à construire vert et à conduire hybride », et ce qui serait encore plus grave serait de laisser croire qu’il n’y a que cela à faire. J. Baird Callicott, « De la Land Ethic à l’éthique de la Terre : Aldo Leopold à l’époque du changement global »,  Écosophies, la philosophie à l’épreuve de l’écologie, op. cit., p. 78.

Professeure des universités à Université Panthéon-Sorbonne | Site Web

Catherine Larrère est professeure émérite de philosophie à l'Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), spécialisée en philosophie morale et politique notamment sur les questions de crise environnementale et de nouvelles technologies. Elle est actuellement présidente de la Fondation de l'Ecologie Politique.