De la victime à l’œuvre ou la non-fixité du sujet politique

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Cet article a été initialement publié au sein du dossier “Le sujet politique : (dé)construction et représentations (XXe-XXIe siècle)” dirigé par Sylvie Servoise.

La question de la tension entre sujet politique assujetti et sujet politique fondement et celle de sa possible résolution à travers le discours ou la fiction littéraire, sont posées dans trois récits contemporains, cités dans l’ordre chronologique de leurs dates de publication,- Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude[1], Robert Bober, Quoi de neuf sur la guerre ?[2], Philip Roth, Nemesis[3]-, qui retiennent l’attention par les réponses complémentaires qu’ils y apportent et la notion formelle autant que l’enjeu de non-fixité du sujet politique qu’ils exposent : Bohumil Hrabal fait du sujet politique une forme ouverte qu’atteste la versatilité des différentes versions du récit et la variabilité du destin du personnage central ; Robert Bober pose d’emblée la non-fixité comme un principe directeur à travers la multiplicité des situations historiques et politiques des personnes endossant successivement le « je » du récitant ; Philip Roth dépeint à l’inverse un sujet figé qui, par son incapacité à s’adapter aux mouvements et aléas de l’Histoire, se prive de rôle social, s’exclut de la communauté politique.

Soit trois situations historiques, trois contextes socio-politiques précis, d’autant plus éloignés dans le temps, à large spectre et à distance du temps de l’écriture que l’ouvrage est récent : chez B. Hrabal, c’est un dépôt de vieux papiers à Prague dans la Tchécoslovaquie d’après Auschwitz, d’après l’invasion russe et le temps de l’écriture coïncide avec la période considérée, 1970-1980, ; chez R. Bober c’est un atelier de confection pour dames rue de Turenne, à Paris, en 1945-46 ; chez P. Roth c’est une épidémie de poliomyélite dans la section juive du quartier Weequahic de Newark en août 1944.  

Trois figures individuelles ou types sont isolés : Hanta, vieux manœuvre solitaire, marginal, alcoolique, soliloque d’un bout à l’autre du récit de Bohumil Hrabal, seul ou en présence de deux Tziganes qui viennent parfois s’asseoir dans le gourbis où s’entassent les papiers sales. Différents « rescapés » prennent tour à tour la parole dans le récit de Robert Bober : il y a les mécaniciens Maurice et Charles, le premier est revenu d’Auschwitz, la femme et les enfants du second ne sont pas revenus ; le patron Monsieur Albert, sa femme Léa et leurs enfants Raphaël et Betty qui ont échappé aux rafles et n’ont pas été déportés ; Léon le presseur et les finisseuses Madame Paulette, Madame André, Madame Jacqueline ; tous utilisent le même « je », univoque, pour « ne pas vraiment parler de la guerre »  mais on y perçoit les tropismes et angles de vue individuels. Enfin, la figure centrale du roman de Philip Roth, Bucky Cantor, jeune athlète et animateur sportif jusque là attentif à tous ses devoirs vis-à-vis de ceux dont il a la charge, est victime de la poliomyélite et par un sens hypertrophié de la faute, endosse pour le reste de ses jours les conséquences de l’épidémie et des combats outre-Atlantique et renonce à toute vie personnelle, affective ou sociale.

Ces trois récits ont peu de points communs sur le plan narratif, à l’exception notable du spectre de la Seconde Guerre mondiale et du constat consécutif de son impossible représentation. La guerre affecte la vie quotidienne et la vision de l’avenir de tous les membres de l’atelier de confection qui, enfants comme adultes, l’ayant vécue et subie, se demandent comment survivre. On tourne autour de la guerre sans en parler même si parfois, sans prévenir, elle fait irruption. Mais, le titre même de l’œuvre l’indique, Quoi de neuf sur la guerre ?, trente-cinq ans après la guerre, rien de neuf sur la guerre. On n’a rien d’autre à dire, parce que, comme le disait déjà Monsieur Albert, en 1945 : « Les larmes, c’est le seul stock qui ne s’épuise jamais[4]. »

Chez Hrabal, la guerre est présente à titre symbolique à travers le thème de l’amour d’une Tzigane, un thème biographique en référence à la petite tzigane aimée et qui, arrêtée puis déportée, n’est pas revenue et un thème récurrent dans son œuvre qui représente la rédemption de l’homme par l’érotisme: le critique Vaclav Jamek, dans sa présentation à la réédition de 1997, souligne que Auschwitz est ainsi ce qui, chez Hrabal, brise le ressort érotique, ressort vital que l’auteur place au-dessus de tout « parce qu’il réunit l’amour, la sensualité et le courage (de braver le rejet social)[5] », et permet de comprendre « l’abîme de disgrâce où Hanta se résigne à vivre après ce malheur dont il ne perdra jamais le sentiment aigu[6] ».

Dans Nemesis de P. Roth, la guerre est aussi ce qui affecte le ressort vital, mais pour d’autres raisons, explicitement exposées dès le début du roman : Bucky Cantor est insatisfait de lui-même parce que sa mauvaise vue lui a valu d’être réformé et, tandis que ses amis combattent en France, en août 44, il est à Newark, engagé pour une mission communautaire dans laquelle il excelle mais qui n’est pas à la hauteur de son idéal héroïque ni de l’idée qu’il se fait de son devoir d’homme[7].

Le lien entre les trois récits, sur le plan des enjeux thématiques, est ainsi le statut du sujet politique en tant que victime directe ou indirecte et survivant potentiel de la crise, un statut qui fonde la question de son devenir auteur, c’est à dire aussi de son efficacité publique, de sa place et rôle dans une communauté. D’un récit à l’autre, chacun ensuite, qu’il s’agisse de l’auteur, du narrateur ou des personnages de chaque récit, va trouver une solution différente pour faire œuvre de la destruction, pour ériger le sujet politique assujetti en auteur, sans pour autant réduire à un seul terme la tension qui l’anime, ni choisir entre littérature engagée et littérature de l’intime.

En même temps, dès ce premier aperçu des trois récits, la question du genre, i.e. du mode de représentation du sujet politique et du type de position éthique et politique qu’elle implique de la part de l’écrivain, instaure une ligne de démarcation entre Nemesis et les deux autres. Les récits à la première personne de R. Bober et de B. Hrabal comportent de nombreux aspects autobiographiques, sont plus proches de la chronique avec un principe d’alternance  des points de vue narratifs et des périodes historiques considérées : Point de vue de et point de vue sur Hanta, avant et après Auschwitz, avant et après l’invasion de la Tchécoslovaquie dans Une si bruyante solitude ; dans Quoi de neuf sur la guerre ? alternance des voix narratives des différents membres de l’atelier, alternance entre des passages de récit et des lettres de Raphaël enfant, envoyées depuis sa colonie de vacances, et des extraits de son journal adulte dans la seconde, alternance entre l’après-guerre immédiat de 1945 et celui, à distance, de 1981-1982.

Nemesis en revanche est un roman, une fiction de forme classique avec un auteur omniscient suivant chronologiquement, sans retour en arrière ni projection dans l’avenir, l’évolution du personnage et de la situation. Dans le dernier chapitre qui sert d’épilogue, la narration à la troisième personne du singulier laisse place à un « Je », celui d’un des élèves du jeune animateur sportif, lui-même victime et survivant de l’épidémie de polio, qui rencontre Bucky Cantor vingt-cinq ans après août 1944. Constatant le désastre que Bucky a fait de sa vie, il cherche à comprendre comment les mêmes infortunées circonstances ont pu conduire deux personnes dans des directions aussi directement opposées.

Les faits se résument comme suit : alors que l’épidémie fait des ravages en ville, que les jeunes dont il a la charge dans son centre d’animation sportive en sont progressivement victime, deux jours avant la fermeture officielle du centre pour raisons sanitaires, Bucky Cantor démissionne pour accepter un poste de moniteur de natation en remplacement d’un autre, appelé sous les drapeaux, dans la colonie de vacances où se trouve Marcia, sa fiancée. Il cède à son désir d’air pur et à l’insistance de Marcia qui lui a fait obtenir ce poste mais, sans le savoir, il est porteur du virus ; quelques jours après son arrivée, un premier jeune de la colonie tombe malade puis d’autres, puis lui-même. Il survit mais, convaincu qu’être auteur de ses actes c’est être pleinement responsable de ses choix, de ses décisions et de leurs conséquences quelles qu’en soient les circonstances, y compris celles dont on n’est pas maître, il passe de la responsabilité à la culpabilité. Il n’a pas fait l’armée, il a quitté son poste pour rejoindre Marcia, il a -peut-être ?- contaminé des jeunes du camp, il est sorti infirme mais vivant ou vivant mais infirme de la polio : cela fait trop de fautes à son actif ; il renonce à tout, au mariage avec Marcia, à l’engagement dans la vie de la communauté. Au dernier chapitre du roman, vingt-cinq ans plus tard, ce héros de 23 ans qui paraissait invincible et que tous adulaient est devenu un homme vide et cynique, payant la dette non remboursable de sa participation à la tragédie collective.

Contre le grand modèle américain de Franklin Roosevelt[8], le poliomyélite charismatique, la seule manière pour Bucky Cantor de sauver ce qu’il lui reste d’honneur, c’est de se refuser tout ce qu’il avait voulu pour lui-même, d’aller juste jusqu’ au bout de la crise contextuelle et collective par une défaite personnelle absolue. Incapable, dit le narrateur, d’accepter la tragédie comme telle, il faut qu’il la convertisse en culpabilité :

He has to convert tragedy into guilt. He has to find a necessity for what happens. There is an epidemic and he needs a reason for it. He has to ask why. Why ? Why ? That it is pointless, contingent, preposterous, and tragic will not satisfy him. That it is a proliferating virus will not satisfy him. Instead he looks desperately for a deeper case, this martyr, this maniac of the why, and finds the why either in God or in himself or, mystically, mysteriously, in their dreadful joining together as the sole destroyer[9].

P. Roth dénonce cette réaction dans laquelle il voit l’hybris d’une interprétation religieuse fantastique et infantile. Au lieu de penser le destin en termes de chance et de hasard – « Sometimes you’re lucky and sometimes you’re not. Any biography is chance, and, beginning at conception, chance –the tyranny of contingency – is everything. Chance is what I believed Mr Cantor meant when he was decrying what he called God[10] », Bucky Cantor propose une conception paradoxale d’un Dieu résolument cruel, démoniaque, complètement hostile à l’homme, omnipotent, et pourtant conciliable avec la culpabilité de l’homme lui-même.

His conception of God was of an omnipotent being who was a union not of three persons in one Godhead, as in Christianity, but of two – a sick fuck and an evil genius. To my atheistic mind, proposing such a god was certainly no more ridiculous than giving credence to the deities sustaining billions of others ; as for Bucky’s rebellion against Him, it struck me as absurd simply because there was no need for it[11].

C’est là, dans cette invention aberrante, que réside l’hybris, un hybris déplacé. Alors que dans la tradition antique, l’homme qui commet l’hybris est coupable de vouloir plus que la part qui lui est attribuée et s’attire, par sa démesure, le châtiment des dieux, i.e. la némésis ou destruction qui fait se rétracter l’individu à l’intérieur des limites qu’il a franchies, ici l’hybris consiste à s’imaginer qu’on a dépassé les limites extérieures de ce qui vous était dû et octroyé, à se rétracter excessivement à l’intérieur de ces limites, tout en se haussant par l’auto-accusation de démesure et l’auto-punition ou vengeance sur soi-même, au statut de dieu vengeur. Rien ne peut faire changer Bucky Cantor d’idée, le convaincre de sa non responsabilité, lui faire comprendre que quand bien même il aurait effectivement transmis le virus, cette transmission innocente, inconsciente et non délibérée ne pouvait en aucun cas entraîner le blâme qu’il s’était ensuite infligé. Parce que, dit P. Roth, c’est une personne dépourvue de sens de l’humour, de vivacité et souplesse d’esprit, incapable d’ironie ou de plaisanterie, quelqu’un qui, par un sens exacerbé du devoir associé à une certaine étroitesse d’esprit, assigne à sa propre histoire une signification des plus sévères et fixe le montant correspondant du prix à payer.

The guilt in someone like Bucky may seem absurd but, in fact, is unavoidable. Such a person is condemned. Nothing he does matches the ideal in him. He never knows where his responsability ends. He never trusts his limits because, saddled with a stern natural goodness that will not permit him to resign himself to the suffering of others, he will never guiltlessly acknowledge that he has any limits. Such a person’s greatest triumph is in sparing his beloved from having a crippled husband, and his heroism consists of denying his deepest desire by relinquishing her[12]

L’insistance de P. Roth sur la question éthique et la réponse qu’il y apporte mettent l’accent sur la notion de constitution du sujet moral dans une perspective très proche de celle du philosophe allemand Axel Honneth[13] dont la réflexion, commente Charlotte de Parseval[14], « recouvre deux domaines inextricablement liés: celui de l’individuation et celui de la liberté de l’agent moral. Elle s’appuie non seulement sur un questionnement de type anthropologique, portant sur le processus par lequel un individu devient un sujet à part entière, capable de penser et d’agir dans le monde. Mais elle appelle aussi une réflexion d’ordre normatif, évaluant cette fois les conséquences de la sociabilité de l’agent pour sa liberté et sa responsabilité, analyse qui donne lieu chez Honneth à une redéfinition du statut de la morale ».

La question du sujet politique victime et du processus par lequel, dans le cas de Bucky Cantor, il ne devient pas auteur, s’enrichit ainsi de la question morale et de l’analyse des conséquences de la constitution morale sur le comportement social. Mais la démonstration du processus même de constitution du sujet et la force de la représentation elle-même de ce processus s’en trouvent diminuées. A l’inverse, la question du processus de la représentation elle-même constitue au contraire le cœur, le moteur des deux autres récits. On considèrera donc Nemesis comme une référence qui, par ses similitudes avec les deux autres récits mais surtout par la différence qu’introduit la réflexion sur l’éthique du personnage dont l’auteur se démarque, permet de souligner l’importance de l’éthique de la représentation elle-même dans les deux autres œuvres. C’est sur ce point que l’on concentrera désormais le propos.

Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal comme Quoi de neuf sur la guerre ? de Robert Bober mettent chacun à leur manière en scène le processus par lequel le sujet à partir de sa destruction ou déconstruction devient ou se fait auteur, soit un processus de « subjectivation politique » pour reprendre les termes de l’argumentaire de ce volume.

C’est le propos même de l’extrait du Journal de Raphaël 1981-1982, dans la deuxième partie de Quoi de neuf sur la guerre ?, une partie qui, à travers le personnage de Raphaël et ses rencontres ou évocation en 1981-82 des protagonistes de l’atelier de couture de 1945, fait écho aux récits et lettres de 1945 et met un point d’orgue au récit sans toutefois le conclure. L’extrait de Journal commence par une scène au cimetière Montparnasse pour l’enterrement de Nathan, un ami « mort de la maladie d’Auschwitz[15] » où il avait été déporté à seize ans et dont il n’avait jamais guéri. C’est avec Nathan qu’une dizaine d’années plus tôt, se promenant dans des rues de Ménilmontant vouées à la démolition par des promoteurs, Raphaël avait fait ses premières photos et découvert que ce qu’il souhaitait faire « dans l’exercice de la photographie [16]» c’était « photographier non plus ce qui existait, mais ce qui avait disparu puisque (me) semblait-il, c’est le manque qui donne à voir[17] ». Les notes et indications d’archivage[18] consignées dans le Journal ne visent pas à « “tenir” un journal. Pas question, surtout, de remplacer, même temporairement, la photographie par l’écriture. Pas d’encre donc, sorte d’étape vers l’imprimé, mais des crayons noirs Conté HB régulièrement taillés[19] ». Il s’agit seulement pour Raphaël de « retrouver les chemins de la photographie[20] », laquelle à son tour ne peut dépasser le stade de la trace, de l’évocation référentielle, mettre au jour ce qui a été seulement, à partir de ce qui manque, du vide qui contient ce qui a été, des trous béants qui lui subsiste et le dénote : on est toujours dans l’à “côté”, dans le “pourrais”, jamais dans l’auctorialité effective :

Soit, j’écris. Mais je n’écris pas quoi qu’il arrive ni sur tout ce qui m’arrive. Des notes donc, qui, en définitive, ne contiennent que peu de choses de ma vie et qui sont, je ne saurais mieux dire, juste à côté des photos que je pourrais faire[21]

Raphaël, alias de Robert Bober[22], consigne dans son Journal les termes dans lesquels son propre passage de sujet politique victime à sujet auteur est ou non possible. Il ne dépasse pas le stade du témoin engagé ou reste dans une situation entre deux, celle du témoin engagé dont l’engagement est précisément restreint par sa fonction de témoin. Cette position intermédiaire, incertaine, n’est donc pas clairement définie mais délimitée par deux positions qui la bornent de part et d’autre : d’un côté c’est la photographie – mémoire, mémoire de la mémoire, sur le modèle de Nathan qui, comme Queneau dans son poème Ilôt insalubre[23] va « voir avant que tout ça ne disparaisse [24]». Raphaël regarde Nathan se souvenir, il photographie ce qui reste, les traces de ce qui a été et va complètement disparaître, une inscription encore lisible, des façades aveugles avec un permis de démolir, une cuisine à ciel ouvert… Il photographie Nathan parcourant les rues et ces photos désormais « raconteront l’absence de Nathan ».

De l’autre côté, la position d’auteur est bornée par le modèle, hors des limites subjectives, de la photographie de reportage :

Est-ce qu’on peut tout photographier ? On ne peut tout même pas tout photographier. Est-ce que j’aurais pu photographier l’enterrement de Nathan ? Faire des photos qui soient justes ? Et un autre photographe passant par hasard et ne connaissant personne, qu’aurait-il photographié ? Qu’aurait-il montré de notre chagrin ? Ou alors, peut-être, ne connaissant personne, aurait-il pu le faire. Sinon, comment être des deux côtés à la fois ? Etre dans l’événement, le vivre et en même temps le regarder, le fixer sur la pellicule ?

Les grandes photos, les photos fortes qui racontent la mort, sont des photos de guerre, des photos qui racontent des morts violentes.

Les victimes qui gisent au sol, le visage tourné vers les étoiles, si on connaît leurs noms et ceux de leurs enfants, si on connaît la femme qui découvre le corps de son mari au cours d’une guerre civile et l’enfant affamé auprès de sa mère morte, ne cesse-t-on pas à l’instant même d’être photographe ? Alors pour ne pas cesser de l’être, on ne s’arrête pas, on avance avec les cris, on laisse ses émotions derrière soi et on continue à faire des photos fortes qui peut-être témoigneront des malheurs du monde[25]

Contrairement à l’exemple cité par Bober de Claude Monet qui, devant sa femme morte, « n’a pas pu s’empêcher de prendre ses pinceaux. Non pas pour mieux se souvenir d’elle, mais parce que l’analyse des couleurs était pour lui une préoccupation de tous les instants. Elle était plus forte que son chagrin[26] », Raphaël est un auteur à la fois défini et restreint par sa subjectivité qui ne constitue pas une base suffisante pour une représentation valide et ne lui confère pas un véritable statut d’auteur. « C’est parce que Claude Monet n’a jamais cessé d’être un peintre, écrit-il, qu’il a fait de la mort de sa femme une œuvre d’art à accrocher aux murs des musées[27] ». A l’inverse, devant le sujet, la personne, la souffrance qu’il connaît ou reconnaît et qui est source d’émotion, Raphaël peut cesser d’être photographe de et pour la mémoire, se taire, ne pas écrire, ne pas photographier, ne pas fixer sur la photo ce qu’il a devant les yeux et auquel il participe. Tout au plus peut-il, contournant l’émotion ou la mettant à part, photographier pour le reportage l’avant, l’après, l’à côté de l’événement. S’il décide, parce qu’il le juge « juste » et nécessaire, de restituer une partie au moins de l’expérience du sujet politique, donc de sortir du mutisme ou de la notation, c’est pour endosser d’autres subjectivités que la sienne et leurs marques expressives. Il devient un auteur des autres, porte-parole des enfants photographiés par Robert Capa à Londres en janvier-février 1943[28], et plus encore de ses copains de colonie de vacances de 1945, i.e. rétroactivement, en remontant dans le temps, porte-parole de ceux de sa génération qui, en 1945, apprirent que leurs parents ne reviendraient pas de déportation et du momentum de cette perte : Nathan qui connaissait des poèmes par cœur, militant de tous les combats progressistes de l’après-guerre, dont longtemps on avait « cru qu’il écrirait le livre qui témoignerait, qui contiendrait ce, justement, dont il ne parlait pas[29] », mais qui, n’avait jamais écrit ce livre, se contentant de parler et d’écrire sur des choses éphémères et quotidiennes ; Georges qui, trente-cinq ans plus tard, continuait à parcourir le monde et à jouer sur des cartes postales au jeu du « j’ai visité[30] », « j’ai visité Sydney, Melbourne, Adélaïde, Perth et Brisbane[31] » ; le petit David qui, chaque soir, pour s’endormir, remontait puis écoutait en pleurant le tic-tac de la montre gousset que son père en août 42, avant de disparaître, avait une dernière fois remonté et placé dans la main de son fils de trois ans en refermant ses doigts dessus[32] ; Marcel qui s’était donné la mort en 1963, à vingt-quatre ans, mais qui, en réalité, « avait déjà été tué avec ses parents il y a un peu plus de vingt-cinq ans[33] ».

Robert Bober alias Raphaël est ainsi un sujet-victime-témoin, auteur temporaire ou alternatif comme un courant électrique du même type, auteur mobile, non fixé, pour qui c’est la question du devenir auteur qui compte parce qu’elle exige du sujet une abstraction de soi ; elle se justifie toutefois que s’il s’agit de transmettre le regard des autres, ceux qui maintenus dans l’assujettissement par une expérience trop marquante, ne peuvent se construire ou reconstruire.  

Dans Une trop bruyante solitude, Hrabal ou son personnage, Hanta, répond d’une manière fort différente à une exigence et un constat analogues. Considéré en effet comme l’un des écrivains tchèques les plus importants de la deuxième moitié du XXe siècle, né à Brno en 1914, mort à Prague en 1997, Bohumil Hrabal a commencé à publier en 1963, fut plusieurs fois interdit de publication, ses livres juste imprimés aussitôt pilonnés, et confia un jour « n’être venu au monde que pour écrire Une trop bruyante solitude[34] ». Ce court roman, magistral, publié d’abord en traduction française chez Laffont, en 1983, connaît plusieurs éditions ou variantes en version originale, plus ou moins amputées des passages les plus critiques, comme l’édition tchèque officielle de 1989. C’est sur l’édition du Seuil de 1997, reprenant la traduction française parue en 1983 chez Laffont, et augmentée d’une très belle préface de Vaclav Jamek que l’on s’appuie ici.

Le roman est essentiellement constitué d’un seul bloc, le monologue de Hanta, un marginal sale et imbibé de bière qui déambule en marmonnant dans les rues de Prague. Chargé depuis trente-cinq ans, dans une cave-dépôt de vieux papier vibrant du bruit infernal d’une presse hydraulique, de liquider les œuvres de l’esprit humain dont la société nouvelle ne veut plus, Hanta se charge à contre-courant de les sauver à sa façon, risquée, dangereuse. Il commence par les empiler chez lui en colonnes figées de briques illisibles mais très vite la mission se révèle impossible et, se résignant à les détruire, il tache de le faire dignement, religieusement : il apprend par cœur des passages qu’il s’exerce à retenir avant de les comprimer et déchiqueter. Réservant aux livres et éditions rares un rituel artistique, il les ouvre à une belle page, les pose soigneusement au milieu des papiers au rebut déversés par tonnes dans sa cave, actionne la presse et constitue ainsi des bottes ou ballots de papier ficelés, chacun différent des autres. Quand l’occasion se présente, c’est sa « signature » dit-il, il orne extérieurement ces bottes de belles reproductions : certes, ces œuvres d’art éphémères sont vouées à l’acide du recyclage industriel, mais le temps du trajet entre sa cave et l’usine, sans que personne le sache, le livre enseveli avec les honneurs qui lui sont dus est temporairement intact.

L’histoire est en grande partie autobiographique, Hrabal s’inspirant à la fois de ses propres réactions et de celles d’un condisciple dans un dépôt de papier récupéré où ils étaient tous deux employés : chercher à les sauver, lutter contre la destruction des livres avant de trouver en soi la force de s’y résoudre, de la contempler froidement, puis découvrir la beauté de la destruction et du ravage et l’instaurer en rituel funéraire. Dans la version de 1983, l’histoire se termine mal : depuis sa visite à l’usine de recyclage de papier où les machines industrielles de destruction massive sont pour les livres une réplique de la solution finale, Hanta a compris que ses ballots-tombeaux de l’âme des livres ne sont plus des messages recevables : « Dans un pays qui sait lire et écrire depuis quinze générations ; (…) dans un ancien royaume où c’est depuis toujours l’usage et la folie de s’entasser patiemment dans la tête images et pensées porteuses de joies inexprimables et de douleurs plus fortes encore, (…) au milieu de gens prêts à donner jusqu’à leur vie pour un paquet d’idées bien ficelées[35] », le rituel funéraire qu’il réserve aux livres, si artistique et conforme au culte traditionnel de la culture imprimée, n’est plus de taille face à la machine de mise à mort de l’âme.

Voilà trente-cinq ans que j’emballe des livres et du vieux papier et je vis dans un pays qui sait lire et écrire depuis quinze générations ; j’habite un ancien royaume où c’est depuis toujours l’usage et la folie de s’entasser patiemment dans la tête images et pensées porteuses de joies inexprimables et de douleurs plus fortes encore, je vis au milieu de gens prêts à donner jusqu’à leur vie pour un paquet d’idées bien ficelées …. Moi qui vis  dans un pays où, depuis quinze générations on sait lire et écrire, je bois pour que le lire m’empêche à jamais de dormir, pour que le lire me fasse attraper la tremblote, car je pense avec Hegel qu’un homme noble de cœur n’est pas forcément gentilhomme ni un criminel assassin. Si je savais écrire, moi, j’écrirais un livre sur les plus grands malheurs et les plus grands bonheurs des hommes. Par les livres et des livres, j’ai appris que les cieux ne sont pas humains et qu’un homme qui pense ne l’est pas davantage, non qu’il ne le veuille, mais parce que cela va contre le sens commun. Sous mes mains, dans ma presse mécanique, s’éteignent des livres rares, et ce flux je ne peux l’empêcher. Je ne suis plus qu’un tendre boucher. Les livres m’ont enseigné le goût et le bonheur du ravage…[36]

En mémoire et hommage à Ilonka, la petite Tzigane dont le vrai nom lui revient in extremis, il décide de subir le sort des livres, de s’infliger lui-même leur supplice, de liquider, dans la presse hydraulique, ce liquidateur qu’il est devenu lui-même. Coupable de détruire ce qu’il a aimé et surtout d’aimer ce qu’il détruit en faisant de leur destruction un art, il se fait une place au milieu des lambeaux de papier et actionne la presse.

Plusieurs motifs et éléments concourent à faire de ce récit une vanité en même temps qu’un tableau vitaliste, « un bloc de vie comprimé sur un nœud de vide, la plaie merveilleuse et atroce d’un destin anéanti[37] » : il y a la question du désespoir, de la solitude absolue de Hanta, à la fois dernier civilisé et intouchable rebut de la société ; il y a la parabole sur le sens de l’œuvre d’art, le non sens de la littérature, sans destinataire ni donc éternité et qui n’a plus d’autre justification que d’alimenter les machines qui la broient ; il y a les deux figures tutélaires qui apparaissent aux côtés de Hanta dès qu’il a bu un peu de bière – Jésus, athlète métaphysique dont Hanta finit par prendre le parti, et Lao tseu le sage anémique de la désillusion -, et qui lui inspirent les associations entre les types de vieux papier et les œuvres qu’il y dépose pieusement : sacs de ciment, papier de boulange, cartons ensanglantés infestés de mouches d’un côté, de l’autre l’Eloge de la folie d’Erasme de Rotterdam, le Don Carlos de Schiller, l’Ecce Homo de Friedrich Nietzsche.

Outre toute cette matière romanesque qui mérite une étude vaste et à part entière, il y a un aspect supplémentaire, radicalement singulier du statut de l’auteur dans l’œuvre de Hrabal, c’est son instabilité foncière, son principe de mobilité absolue et inversement proportionnel à la constance du sujet politique lui-même. Cette œuvre vauclusienne dit la préface a pendant vingt ans été tenue au secret ou déguisée ou est restée obscure compte tenu des circonstances politiques de la Tchécoslovaquie. Quand elle voit le jour en 1963, elle est toute neuve et pourtant s’impose par son achèvement et sa maturité sur la scène littéraire tchèque très aguerrie. La publication est en effet le résultat d’un immense travail préalable à la fois littéraire et politique d’écriture, de réécriture, d’édition et publication ou diffusion clandestines ou encore de résistance et ruse et contournement, par Hrabal et ceux qui le soutiennent, des pressions idéologiques persistantes ou renouvelées. Ce travail, particulièrement pour Une trop bruyante solitude, a conduit Hrabal à des compromis, des coupes, des modifications, des remaniements ou affaiblissement du texte qui existe ainsi en plusieurs versions, avec de multiples variantes parfois contradictoires les unes des autres, y compris dans le détail narratif du destin de Hanta sur lequel l’histoire semble pourtant reposer tout entière. Pour d’autres œuvres, un même titre a pu recouvrir des textes totalement différents selon qu’ils étaient publiés chez les éditeurs officiels ou en samizdat.

Curieusement pour un auteur si engagé, sans fard et sans non-dit, il s’accommode de ces contorsions et même y pourvoit comme si la notion d’achèvement du texte n’avait pas de sens, comme si l’histoire qu’il raconte n’avait en soi pas d’importance, moins, en tout cas, que la force vitale et l’énergie émanant de son écriture, de ses inlassables reprises ou autocensures ou encore profanations à coups de ciseaux. Les mots eux-mêmes ne relèvent pas pour lui d’une alchimie sacrée, Hrabal les modifie, les remplace par d’autres, passe par la fenêtre quand la censure lui ferme la porte car son but dépasse de beaucoup la dénonciation : d’ailleurs, les textes ne dénoncent rien à proprement parler, ils constatent des évidences sans s’insurger mais ce qui dérange c’est cette écriture énergique, explosive, qui s’insinue avec force et de toutes les manières par toutes les brèches. Pour Hrabal, l’auteur est un sujet politique vivant et labile. Tant qu’on écrit, qu’on brasse du langage en tous sens comme Hanta, rouge et ivre au milieu des mouches, brasse et entasse à pleins bras les monceaux de papier qui emplissent sa cave jusqu’au niveau du soupirail par lequel les bennes les déversent, c’est qu’on vit.

Si, en effet, l’écrivain a pu, sous la contrainte modifier son texte sans subir, sur le plan littéraire, un préjudice fatal, c’est que dans le fond, cette façon de procéder n’est pas contraire à une tendance profonde de son écriture. Hrabal n’est pas un auteur pour qui chaque mot entrant dans la composition d’un texte, deviendrait immuable et irremplaçable, son alchimie participant de la Mystérieuse Nécessité qui définit l’œuvre. Mise à mal par notre histoire récente, cette dignité-là du mot a vécu. Chez Hrabal, les mots changent ; c’est spontanément, de propos délibéré, qu’il produit des variantes et des collages : avec sa machine à écrire, les ciseaux deviennent pour lui un instrument de l’écriture[38]

De même que pour Hanta la presse mécanique qu’il avait décidé d’acheter et d’emmener avec lui au moment de sa retraite, avant d’en faire un autre usage. Si Hanta se suicide, c’est parce que la presse qui constituait, comme les ciseaux pour Hrabal, un instrument sinon d’écriture du moins de transfiguration, a perdu cette fonction métaphorique au profit de sa seule fonction mécanique, au service de la solution finale englobant corps du livre, du lecteur et de l’auteur de la transfiguration.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur Nemesis, Quoi de neuf sur la guerre ? et Une trop bruyante solitude mais, à partir des jalons posés, on voit se dessiner en filigrane de Bucky Cantor à Raphaël, de Raphaël à Hanta quelques uns des éléments auxquels s’articule la tension entre sujet politique assujetti et sujet politique fondement.  

D’abord, on observe le passage délicat de la responsabilité à la culpabilité qui affecte différemment les acteurs : considérée comme un tout indivisible, elle paralyse Bucky Cantor qui fait de sa vie, en pure perte, un martyr dépourvu de sens ; instrument de mesure modulable, elle arbitre et conditionne la pratique créatrice de Raphaël ; l’activisme et le sens des responsabilités de Hanta, absolu, exclusif, délirant est aux antipodes de la culpabilité mais au bout du compte, par un mouvement de bascule, constatant l’impasse dans laquelle il est engagé, c’est la culpabilité qui le pousse dans la cuve à papiers. A cet égard, la question de Dieu ou plutôt du Néant de Dieu, de son existence ou pas et de la justification des souffrances que les victimes peuvent en extraire, constitue un fil conducteur explicite, quoique secondaire, dont il faudrait aborder et comparer le rôle dans les trois récits.

Pour donner pleine mesure à cette question de la tension entre sujet politique assujetti et sujet politique fondement, il faudrait ajouter à l’étude un texte archétype, Le Roi des Noirs Vêtus du grand prosateur iranien Houchang Golchiri[39], mort en 2001, qui met en scène précisément la résolution de l’auteur cent fois censuré, emprisonné sous tous les régimes, celui du Shah comme des Ayatollahs : ne plus modifier ses écrits pour tenter de les faire passer, ne plus attendre ni craindre le moment où les policiers, ceux de la Savak ou les gardiens de la révolution viendront brutalement le chercher, et aux tortionnaires qui lui demandent quelle est sa religion, il répond « je suis poète ». L’ajout de ce récit/ roman[40] aux autres permettrait enfin d’évoquer la question du genre, roman ou récit de l’enfermement, récit de prison.

Ce genre canonique de la littérature de résistance, largement incarnée par la littérature persane, eut en Europe, au XIXe, de grands initiateurs, comme Georg Büchner[41], Silvio Pellico « martyr de la liberté[42] », Ossip Mandelstam. Büchner, Pellico, Mandelstam, Golchiri, Hrabal et d’autres ont montré que le récit d’enfermement, d’isolement et le texte de Hrabal n’y fait pas exception, était le mieux à même d’héberger la question que chaque époque, depuis, se pose à sa manière : celle de la reconnaissance du rôle de l’individu dans l’histoire qui, pour reprendre l’expression de Mandelstam dans un essai de 1922, joue un rôle de manomètre, d’indicateur de la pression sociale[43]. Dans le roman des temps modernes, selon Mandelstam, celui des puissants mouvements sociaux et des opérations de masse organisées, l’individu n’a plus de rôle historique actif comme dans les grands modèles romanesques actifs du XIXe ; il n’existe plus de destin isolé, mais « le roman nous propose encore une série de faits dont l’étalon, ou le fil conducteur, reste l’élément biographique[44]. Du même coup, le roman moderne se trouva privé de l’intrigue, c’est-à-dire d’un héros agissant dans le temps qui lui est imparti, et de la psychologie comme n’étant plus fondée à motiver aucune action[45] ».

En cela le roman de P. Roth, à « biographie centrifuge[46] », est d’un genre ancien, un peu anachronique par rapport aux deux autres ici commentés qui répondent davantage au genre nouveau décrit par Mandelstam : ce roman dont les destinées se confondent avec l’histoire de l’effritement de toute biographie en tant qu’expression de l’existence d’un individu, avec la perte irrémédiable de toute biographie pouvant fonder le sujet en auteur stable et viable : « Pour l’individu, à la notion d’ “acte” se substitue désormais celle d’ “adaptation”, socialement plus riche[47] ».


Notes

  1. Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Paris, Robert Laffont, 1983, Seuil, 1987.

  2. Robert Bober, Quoi de neuf sur la guerre ?, Paris, POL, 1993.

  3. Philip Roth, Nemesis, Vintage International, 2010.

  4. Robert Bober, Quoi de neuf sur la guerre ?, op. cit., p. 175.

  5. Vaclav Jamek, introduction à Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, op. cit., p. IX.

  6. Ibid.

  7. P. Roth, Nemesis, op. cit., p. 246 : « Mostly Bucky considered himself a gender blank – as in a cartridge that is blank- an abashing self-assessment for a boy who’d come of age in a era of national suffering and strife when men were to be undaunted defenders of home and country» Bucky se considérait essentiellement comme un genre neutre, comme dans une cartouche chargée à blanc, une définition de soi dévalorisante pour un garçon un garçon arrivé à l’âge adulte dans une période de souffrance nationale et de conflit où les hommes devaient être les hardis défenseurs de leur famille et de leur pays. (Nous traduisons).

  8. Ibid., p. 246 : « By and large he had the aura of ineradicable failure about him as he spoke of all he’d been silent about for years, not just crippled physically by polio but no less demoralized by persistent shame. He was the very anthithesis of the country’s greatest prototype of the polio victim, FDR, disease having lead Bucky not to triumph but to defeat. » Dans toute son ampleur, émanait autour de lui l’aura d’un échec indéfectible tandis qu’il parlait de tout ce sur quoi il était resté silencieux pendant des années, non pas juste rendu physiquement infirme par la polio mais également démoralisé par une honte persistante. Il était l’antithèse absolue du meilleur prototype de victime de la polio, FDR, la maladie ayant conduit Bucky non au triomphe mais à la défaite. » (Nous traduisons.)

  9. Ibid., p. 265 : « Il faut qu’il convertisse la tragédie en culpabilité. Il faut qu’il trouve une nécessité à ce qui arrive. Il y a une épidémie et il en cherche la raison. Il persiste à se demander pourquoi.   Pourquoi ? Pourquoi ? Que ce soit sans objet, contingent, absurde ne lui suffit pas. Qu’il s’agisse d’un virus proliférant ne lui suffit pas. Au lieu de cela, il cherche désespérément une cause plus profonde, ce martyr, cet obsédé du pourquoi et il trouve le pourquoi soit en Dieu soit en lui-même ou, de façon mystique, mystérieuse, dans leur conjonction malheureuse en un seul et unique destructeur … » (Nous traduisons).

  10. Ibid., p. 243 : « Parfois on de la chance et parfois non. Toute biographie est un hasard et, dès la conception, le hasard – tyrannie de la contingence- est tout. Le hasard est ce que je croyais que Mr Cantor avait en tête quand il décrivait ce qu’il appelait Dieu. » (Nous traduisons).

  11. Ibid., p. 264 : « Il concevait Dieu comme un être omnipotent unissant non pas, trois personnes sous une seule figure, comme dans le Christianisme, mais deux – un salaud malade et un génie diabolique. Pour l’athée que je suis, le fait de proposer un tel dieu n’était certainement pas plus ridicule que d’admettre l’existence des divinités représentant des milliards d’individus. Quant à la révolte de Bucky contre Lui, elle me frappait par son absurdité, tout simplement parce qu’elle était sans fondement. » (Nous traduisons).

  12. Ibid., p. 273-274 : « La culpabilité chez quelqu’un comme Bucky peut paraître absurde mais en fait, elle est inévitable. Un tel individu est condamné. Rien de ce qu’il fait ne correspond à son idéal. Il ne sait jamais où s’arrête sa responsabilité. Il ne se fie pas à ses limites parce que accablé d’une sérieuse bonté naturelle qui ne l’autorise pas à se résigner aux souffrances des autres, il ne reconnaîtra jamais sans culpabilité qu’il a certaines limites. Le plus grand triomphe d’un tel individu consiste à épargner à celle qu’il aime un mari infirme et son héroïsme à renier ses plus profonds et intenses désirs en la quittant. » (Nous traduisons).

  13. Philosophe allemand, né en 1949, élève de Habermas.

  14. Charlotte de Perseval, « La constitution du sujet moral chez Axel Honneth », www.rationalites-contemporaines.paris-sorbonne.fr. « Honneth réinterprète, d’une part, l’idée d’un lien nécessaire entre conscience de soi et reconnaissance intersubjective ; il réassume, d’autre part, la Sittlichkeit hégélienne (« vie éthique » ou « éthicité »), selon laquelle l’identité des individus et leur capacité à agir moralement sont liées de manière organique aux communautés auxquelles ils appartiennent ainsi qu’aux rôles sociaux et politiques qu’ils remplissent. Pour autant, et c’est entre autres ce qui fait la complexité et l’intérêt de sa position au sein du débat opposant aujourd’hui les philosophes « libéraux » aux philosophes « communautariens », Honneth maintient fermement l’idée d’autonomie individuelle. Il s’emploie à concilier liberté et détermination sociale au sein d’un modèle original et interdisciplinaire de la reconnaissance, faisant aussi bien appel à la philosophie et la sociologie qu’à la psychologie sociale et la psychanalyse. La question de la constitution du sujet pratique apparaît ainsi comme le cœur de la problématique délimitée par Honneth : l’homme se définit-il avant tout en termes d’enracinement, d’appartenance, ou au contraire d’arrachement, d’autonomie ? »

  15. Quoi de neuf sur la guerre ?, op. cit., p. 211.

  16. Ibid., p. 218.

  17. Ibid.

  18. « Je me bornais à n’inscrire – à l’encre cette fois- que des indications d’archivage, notant le sujet, le lieu, la date, l’heure si je l’estimais importante, et l’objectif, mais rarement, car n’aimant ni le grand angle ni les longs foyers, j’utilise souvent le même. » Ibid.

  19. Ibid., p. 218-219.

  20. Ibid., p. 219.

  21. Ibid.

  22. Robert Bober est né en 1931 à Berlin. En août 1933 il a fui le nazisme avec sa famille qui s’installe à Paris. Il a quitté l’école après le certificat d’études primaires, a été apprenti dans un atelier de couture entre 1947 et 1953, puis successivement tailleur, potier, éducateur, assistant de François Truffaut. Réalisateur à la télévision depuis 1967, il est l’auteur de plus de cent films documentaires.

  23. « îlot insalubre », dans Courir les rues, Gallimard, 1967. Cité dans le texte, p. 221.

  24. Ibid., p. 222.

  25. Robert Bober, Quoi de neuf sur le guerre ?, op. cit., p. 222-223.

  26. Ibid., p. 223-224.

  27. Ibid., p. 224.

  28. « Je feuillette encore une fois le grand album de photographies consacré à Robert Capa. Je m’arrête cette fois encore sur une photographie que j’aime particulièrement (…) La légende dit : « Londres, janvier-février 1943. Un soldat américain avec des orphelins de guerre, ‘adoptés’ par son unité. » Je regarde à nouveau la photo avec ce que la légende me suggère (…) ces trois petites filles nous disent, au-delà des sourires confiants, la perte de leurs parents. » Ibid., p. 224-225.

  29. Ibid., p. 213.

  30. Lettre de Georges, Ibid., p. 129.

  31. Ibid., p. 227.

  32. « Präzisions-Uhren-Fabrik », Ibid., p. 114-127.

  33. Ibid., p. 249.

  34. Cité en 4ème de couverture de l’édition Points Seuil (2003), Une trop bruyante solitude, op. cit., traduit du Tchèque par Max Keller.

  35. Une trop bruyante solitude, op. cit., p. 13.

  36. Ibid., p. 13-14.

  37. Vaclav Jamek, Introduction, ibid., p. VIII.

  38. Ibid., p. III.

  39. Houchang Golchiri, est en particulier l’auteur de Chronique de la victoire des Mages, ed. L’Inventaire, 1998 et de Le Roi des Noir-Vêtus, Ed. L’Inventaire, 2002, tous deux traduits du persan (Iran) par Christophe Balaÿ, ainsi que de Le prince ehtejab, ed. L’Harmattan, 1990.

  40. Publié sous pseudonyme d’auteur et d’éditeur en version anglaise aux Etats-Unis, puis en version française aux Editions l’Inventaire (Paris) et mention d’auteur sous réserve « attribué à Houchang Golchiri » pour préserver la famille de l’auteur.

  41. Georg Büchner, né Karl Georg Büchner (Goddelau17 octobre 1813Zurich19 février 1837), écrivain, dramaturge, révolutionnaire, médecin et scientifique allemand, devenu tardivement, en exil à Strasbourg et malgré la taille modeste de son œuvre – essentiellement trois pièces de théâtre, une nouvelle (Lenz), et un tract –, l’une des figures marquantes de la littérature allemande du XIXe siècle1, surtout grâce à ses drames La mort de Danton et Woyzeck.

  42. A. Esquiros, Histoire des martyrs, sans lieu ni date. Mes Prisons, les mémoires romantiques Italien, incarcéré pendant dix années sous les Plombs de Venise et dans la geôle autrichienne du Spielberg, furent réédités plus de cent cinquante fois en langue française de 1833 à 1914. Et récemment Editions de Septembre, coll. L’Européenne, 1990.

  43. Ossip Mandelstam, « La fin du roman », essai de 1922, De la poésie, traduit du russe, présenté et annoté par Mayalasveta, Gallimard, 1990, p. 101-106.

  44. Ibid., p. 104.

  45. Ibid., p. 106.

  46. Comme le Jean Christophe de Romain Rolland pourrait en être le dernier exemple, Ibid., p. 104.

  47. Ibid., p. 106.

Professeure des universités à Le Mans Université | Site Web

Brigitte Ouvry-Vial est Professeure des universités en Littérature française du XXe siècle et Sciences de l'Information et Communication à l'Université du Mans. Elle est également membre sénior de l'Institut Universitaire de France.