Les droits sociaux et les catégories de la doctrine privatiste

DALVY/KLEIN
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Cet article a initialement été publié au sein du dossier “L’État de droit social, ou les droits sociaux en justice” dirigé par Diane Roman.

La doctrine de droit privé[1] s’intéresse assez peu aux droits sociaux[2]. Cette réserve à leur égard dans la doxa[3] des privatistes pourrait s’expliquer par le fait, d’une part, que le droit privé se définit comme l’« ensemble des règles de droit qui gouvernent les rapports des particuliers entre eux »[4], alors que les droits sociaux sont bien souvent conçus comme charges de la collectivité, d’autre part, que la justice sociale, finalité des droits sociaux[5], n’est pas au cœur des préoccupations des privatistes, plus soucieux de justice commutative – au cœur de la discipline reine qu’est le droit des contrats – que de justice distributive.

Les deux explications avancées semblent toutefois insuffisantes. Ainsi, certains droits de l’homme, en particulier ceux reconnus dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ont, sous l’influence de la Cour de Strasbourg, pris une place considérable dans le droit privé et intéressent vivement la doctrine privatiste[6], lors même que, de prime abord, ils sembleraient concerner au tout premier chef les rapports de l’individu avec la puissance publique. En outre, les ouvrages d’introduction au droit, rédigées par des privatistes – car cet enseignement leur est en général confié -, auraient vocation à envisager les diverses finalités du système juridique[7] parmi lesquelles la justice sociale pourrait assez naturellement trouver sa place.

Aussi bien est-on tenté d’expliquer la relégation des droits sociaux dans la doctrine de droit privé par des considérations purement et simplement politiques. Les négliger serait le fruit d’un jugement de valeur qui aurait un fondement principalement politique – voire partisan : les droits sociaux, marqués par l’idée d’égalité réelle, seraient des droits « de gauche » et « cette association d’une catégorie juridique à une idéologie de gauche [serait] sans doute à l’origine des contestations théoriques » dont elle souffrirait[8].

L’analyse n’est peut-être pas sans quelque fondement. Mais on ne saurait toutefois déduire du peu de place que prennent les droits sociaux dans les ouvrages de droit privé que l’ensemble de la doctrine privatiste – à quelques exceptions près – serait hostile à toute idéologie « de gauche ». En somme, on peut rester circonspect et chercher ailleurs d’autres explications qui elles-mêmes ne sont probablement que partielles, et en particulier se demander si la part de la technique juridique dans cette faible réception des droits sociaux n’est pas réelle.

Personne n’est dupe : la technique peut parfaitement être appelée pour habiller des solutions préexistantes et dont le fondement serait une opinion politique. Mais on ne peut pas exclure toutefois que, sans quelque dessein partisan que ce soit, mais peut-être par confort, par paresse, par habitude, ou plus sûrement par respect d’un cadre théorique globalement satisfaisant et qu’il ne s’agit pas de remettre en cause à toute occasion, le juriste – en particulier le juriste de droit privé – néglige les droits sociaux parce qu’ils ne rentrent pas dans les cases.

Car le juriste place les éléments – tant du réel que du monde juridique – dans des cases : la mission première de la doctrine est de produire des classifications, de forger des catégories – qui feront l’armature du système qu’il lui revient de construire[9]. En particulier, les prérogatives juridiques – auxquelles s’intéressent tout spécialement les juristes privatistes – sont rassemblées et dissociées par catégories. La difficulté à insérer les droits sociaux dans les catégories préexistantes, d’une part, la difficulté à concevoir la catégorie des droits sociaux, d’autre part, ne sont probablement pas sans lien avec le peu de place accordée à ceux-ci dans la littérature de droit privé.

I. La difficulté à insérer les droits sociaux dans les catégories préexistantes

Les privatistes sont particulièrement attachés à la notion de droit subjectif[10]. La difficulté à faire entrer les droits sociaux dans cette catégorie explique probablement le relatif silence de la doctrine privatiste à leur égard. Mais cette difficulté est elle-même possiblement liée au fait que les droits sociaux s’intègrent mal dans la classification des droits subjectifs c’est-à-dire dans la summa divisio des droits subjectifs en deux grandes catégories.

A.     Les droits sociaux et la catégorie de droit subjectif

« Qu’est-ce donc qu’un droit subjectif ? Un pouvoir de vouloir, un intérêt juridiquement protégé, répondaient autrefois les théoriciens du droit. Mais le vouloir est indéfiniment extensible, et qui peut être juge de l’intérêt d’autrui ? Le risque, c’est que tout besoin demande à être reconnu comme droit subjectif. Ce sera un faux droit [nous soulignons] si, en vis-à-vis, n’est pas défini un débiteur qui y satisfasse. Beaucoup de droits économiques et sociaux de la seconde génération ont échoué sur cet écueil »[11]. Ainsi s’exprimait, en 1996, Jean Carbonnier, un des plus éminents civilistes français. Les droits sociaux – ou beaucoup d’entre eux – ne seraient pas des droits subjectifs : rejetés de la catégorie qui aurait vocation, en raison même de leur formulation comme droits, à les accueillir, et sur laquelle se focalise l’attention des privatistes, ils seraient dès lors relégués[12]. Pourquoi ce rejet de la catégorie ?

C’est principalement l’imprécision des droits sociaux qui serait l’obstacle. Les droits subjectifs seraient des droits suffisamment constitués[13], dont la portée serait prédéfinie, ce que ne serait pas la plupart des droits sociaux. En particulier, l’imprécision relative au débiteur – sa personne comme la possibilité d’exercer des voies de droit contre lui – est-elle souvent stigmatisée[14]. « Ce qui est sûr c’est que le droit dit opposable au logement n’est pas un véritable droit subjectif. C’est une créance sans débiteur »[15] – écrit Gérard Cornu. Un droit (en apparence) qui ne serait pas un droit (au regard de l’approche communément admise de la catégorie) est assez mécaniquement marginalisé[16]. Mais une autre raison doit être soulignée.

B.     Les droits sociaux et les catégories de droits subjectifs

Que l’on admette les droits sociaux au sein des droits subjectifs, et il faudrait leur faire une place parmi les sous-catégories de droits. Or, à nouveau, les catégories traditionnelles ne permettent pas d’accueillir les droits sociaux. La généalogie des classifications des droits permet de comprendre la difficulté. La summa divisio traditionnelle des droits personnels et des droits réels[17], c’est-à-dire des droits contre autrui et de ceux qui portent directement sur une des utilités d’un bien, a été mise à mal avec la multiplication, principalement au cours du vingtième siècle, de droits nouveaux : les droits de la personnalité, comme le droit au respect de sa vie privée[18]. C’est pourquoi une nouvelle summa divisio a prévalu qui consiste à distinguer les droits patrimoniaux, susceptibles d’une évaluation pécuniaire, et les droits extrapatrimoniaux. La distinction des droits personnels et des droits réels est alors devenue une sous-distinction au sein de la catégorie des droits patrimoniaux[19]. Pour sa part, la catégorie des droits extrapatrimoniaux, conçue avant toute chose pour rendre compte de l’émergence des droits de la personnalité, a par la suite accueilli d’autres droits et, le cas échéant, les droits de l’homme ou les libertés fondamentales[20].

Or cette classification des droits chez les privatistes ne permet guère de ménager une place aux droits sociaux. En effet, la plupart d’entre eux correspond ou devrait correspondre à un bienfait quantifiable en argent – de sorte qu’ils devraient être cités parmi les droits patrimoniaux. Mais, reconnus principalement ou du moins initialement dans des instruments reconnaissant des « droits de l’homme », ils devraient être rattachés à ceux-ci – parmi les droits extrapatrimoniaux. Ce faisant, ils apparaissent quasiment impossibles à classer selon les critères des privatistes, sauf à reconsidérer entièrement la summa divisio[21], ce qui pourrait expliquer leur absence de beaucoup des ouvrages d’introduction au droit, du moins dans le cadre de la présentation des divers types de droits dont est susceptible d’être titulaire un sujet.

On pourra certes considérer que ce refus de remettre en cause les catégories traditionnelles pour penser les droits sociaux est, en soi, un acte politique. On peut tout aussi bien estimer que, concernant des classifications très répandues, leur remise en cause prend nécessairement du temps[22] – de sorte que l’on ne peut pas s’étonner de voir la doctrine persister à solliciter des catégories inaptes à accueillir des droits sociaux, alors que ceux-ci ne connaissent, sauf exceptions, jusqu’à présent, qu’une effectivité et une justiciabilité balbutiantes (si bien, au demeurant, que les phénomènes s’alimentent). On peut d’autant moins s’en étonner que concevoir les droits sociaux comme catégorie n’est pas exercice aisé.

II. La difficulté à concevoir la catégorie des droits sociaux

La doctrine – en particulier la doctrine de droit privé – a tendance à penser le droit en catégories. La visibilité des droits sociaux dépend donc, en partie, de leur aptitude à constituer une catégorie juridique propre. Or construire cette catégorie est malaisé : d’abord, parce que le critère de distinction de ces droits et d’autres – d’autres droits de l’homme – n’est pas évident à déterminer ; surtout, parce que ce critère serait probablement extra-juridique (quelle finalité ces droits servent-ils ?). Et quand bien même on admettrait qu’il existe un critère fiable qui permette de distinguer les droits sociaux parmi les droits de l’homme[23], d’autres obstacles surgiraient sur la route de l’érection de ces droits en catégorie susceptible de trouver sa place dans les ouvrages de référence des privatistes : ils se caractérisent par leur objet ; ils appellent des régimes juridiques divers.

A.     L’obstacle de la caractérisation par l’objet

Toute catégorisation appelle une généralisation qui nécessite un effort d’abstraction. Les droits sociaux se distinguent les uns des autres par leur objet (logement, travail – l’un et l’autre, le cas échéant, décents -, santé, éducation, participation, etc.). Ils sont, en ce sens, des droits à – des droits subjectifs « non-génériques »[24]. Or la monovalence des droits à est de nature à perturber le juriste – et en particulier le privatiste. Comme le souligne en effet M. Cohen : « Si on la tenait pour acquise, la nouveauté sémantique pourrait se résumer à ceci : le droit subjectif est désigné, pour ne pas dire défini, par l’objet sur lequel il porte – en somme identifié à l’objet du désir – ce qui est le contraire de ce à quoi nous sommes accoutumés »[25]. Et l’auteur de préciser : « Si en effet l’on se réfère aux catégories juridiques qui forment l’épine dorsale de notre système juridique, et que nous présentons d’emblée comme telles aux étudiants, il y est question de droits réels et de droits de créance. Dans cette terminologie, les droits subjectifs, classés en grands types extrêmement peu nombreux – usufruit, droit de propriété, droit de créance, … – sont désignés par leur structure, leurs caractères, qui sont indépendants de l’objet sur lequel porte le droit […]. Le droit à … est à l’opposé de cela, puisqu’il ne peut par définition porter que sur l’objet (concret ou abstrait) qui figure dans sa dénomination et par rapport auquel il ne peut évidemment avoir aucune autonomie »[26]. En somme, les droits sociaux – droits d’inspiration très pragmatiques – n’invitent guère à la généralisation : essentiellement, le caractère monovalent de la plupart d’entre eux rend assez difficile de les concevoir de manière abstraite. Or le succès d’une catégorie est fonction de son aptitude à générer une unité qui permette de subsumer la diversité des éléments qui la composent – sans trop grande déperdition de sens.

Et le caractère monovalent des droits sociaux les rend d’autant plus rétifs à la catégorisation que cette subsomption leur ferait perdre l’identité qui fait leur intérêt et en particulier fonde leur attrait politique. Une créance de somme d’argent perd moins de son identité – et de son expressivité – en intégrant la catégorie droit de créance ou droit personnel ou même droit patrimonial que le droit au logement en intégrant la catégorie droits sociaux. Caractérisé par son objet, le droit social se perd un peu lorsque son intégration dans une catégorie l’éloigne de ce qui l’identifie. Et la difficulté à concilier droits sociaux et généralisation dresse un autre obstacle à la conception des droits sociaux comme catégorie.

B.     L’obstacle de la diversité des régimes

Autre critère non seulement de succès mais de pertinence et même d’utilité d’une catégorie juridique : son aptitude à dire un régime juridique. Différence de nature = différence de régime[27]. La formule mathématique de M. Bergel exprime clairement quelle fonction est dévolue à une catégorie juridique : permettre d’identifier des objets suffisamment semblables pour que le même sort juridique leur soit réservé.

Or il est difficile de concevoir un régime juridique commun des droits sociaux. Même, on a tendance à admettre que la diversité, en la matière, est la règle, que le régime de chaque droit social a vocation à être distinct de celui des autres[28]. La comparaison avec les libertés est instructive. Il suffit de penser à la facilité que l’on a à concevoir le trait commun à toute liberté, et qui en fonde le régime : toute liberté, à défaut d’une limitation particulière, peut s’exercer sans autorisation ni contrôle[29]. Comment, sur un même modèle, exprimer le principe du régime juridique des droits sociaux ? Il faut reconnaître que l’on conçoit infiniment plus facilement un régime juridique commun des libertés qu’un régime juridique commun des droits sociaux.

Parce qu’il n’est pas aisé de déterminer quel pourrait être le trait commun du régime juridique de tous les droits sociaux, car « les formes de leur “justiciabilité” peuvent varier »[30], il n’est pas très surprenant de les voir ne pas trouver leur place en tant que catégorie parmi les catégories générales du droit – et donc des ouvrages des privatistes. En somme, tant qu’un régime juridique commun des droits sociaux n’émergera pas – s’il le peut – , il est douteux que ces droits trouvent leur entière place, en tant que catégorie de droits. Conférer une telle importance aux catégories pourra paraître à certains désuet – alors que semble se développer un droit assez impressionniste[31] – mais n’a pas nécessairement un soubassement politique.


[1] Pour une controverse relative à la définition de la doctrine, entité pourvue d’une unité ou ensemble hétéroclite d’individus, v. Philippe JESTAZ et Christophe JAMIN, « L’entité doctrinale française », Recueil Dalloz, 1997, p. 167 et s. (spéc. p. 167 : « Dans un second sens, qui paraît propre à la France et à certains pays d’Europe continentale, la doctrine est présentée comme une entité, puisque les juristes disent couramment que la doctrine approuve ou critique telle solution, propose telle réforme, etc. ») ; Laurent AYNES, Pierre-Yves GAUTIER et François TERRE, « Antithèse de l’entité », Recueil Dalloz, 1997, p. 229 et s. (spéc. p. 229 : « Considérer la doctrine comme une entité homogène, c’est méconnaître sa nature profonde. Comme celles des savants, les opinions des juristes sont celles d’individus »).

[2] Du moins à ceux qui ne sont pas les droits des associés des sociétés civiles et commerciales – car l’expression droits sociaux est, en particulier pour un privatiste, polysémique.

[3] Doxa qui s’exprime au premier chef dans les ouvrages d’introduction au droit. La doctrine ne saurait certes se réduire à ces options majoritaires. Mais de telles opinions façonnent la culture juridique des jeunes générations – et ont dès lors tendance à perdurer. Sur les liens entre droits sociaux et doxa des privatistes, v. Marc PICHARD, Rapport de recherche préliminaire, « Les droits sociaux et la doxa des civilistes », http://droits-sociaux.u-paris10.fr/index.php?id=143.

[4] ASSOCIATION HENRI CAPITANT, Vocabulaire juridique, Gérard CORNU (dir.), PUF, coll. « Quadrige », 2008, v° « Privé (Droit) ».

[5] Sur la définition assez large du droit social adopté dans le cadre du projet de recherche, v. Diane ROMAN, « La justiciabilité des droits sociaux ou les enjeux de l’édification d’un Etat de droit social », in Diane ROMAN (dir.), « Droits des pauvres, pauvres droits ? » Recherches sur la justiciabilité des droits sociaux, 2010, p. 1 et s., p. 5 : « Les droits sociaux […] sont des droits garantis par les textes constitutionnels et internationaux dans le champ social (droits des travailleurs, droit à des prestations, droit aux services publics), afin de réduire les inégalités d’ordre économique et dans une perspective de justice sociale : “droits des victimes de l’ordre existant”, les droits sociaux se veulent instruments de transformation sociale, par les correctifs qu’ils apportent au libéralisme économique et par l’objectif de fraternité qui les guide ».

[6] Ainsi la prestigieuse Revue trimestrielle de droit civil a-t-elle créé depuis 1996 une chronique « Sources européennes » devenue « Sources internationales » qui fait une place prépondérante à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

[7] De fait, assez rares sont les ouvrages d’introduction au droit qui consacrent des développements conséquents aux finalités de la règle de droit. V. toutefois : Henri ROLAND et Laurent BOYER, Introduction au droit, Litec, coll. « Traités », 2002,  n° 123 et s., p. 45 et s. ; Henri, Léon et Jean MAZEAUD et François CHABAS, Leçons de droit civil, t. 1, 1er vol., Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 12e éd., par François CHABAS, 2000, n° 5 et s., p. 21 et s.

[8] Carlos Miguel HERRERA, « L’engagement de la doctrine : l’exemple des débats sur la catégorie de “droits sociaux” », in Emmanuel DOCKES (dir.), Au cœur des combats juridiques. Pensées et témoignages de juristes engagés, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2007, p. 71 et s., p. 72.

[9] V. Philippe JESTAZ et Christophe JAMIN, « L’entité doctrinale française », préc., p. 171 : « Une fois pour toutes le Parlement fait la loi, l’administration fait les règlements et nos trois grandes juridictions font la jurisprudence. Mais la doctrine fait le système (sous couleur d’en faire prendre conscience) et cela mérite attention ». Adde Jean RIVERO, « Apologie pour les “faiseurs de systèmes” », Recueil Dalloz, 1951, chron., p. 99, spéc. p. 99 : « tout juriste est faiseur de systèmes ». Pour une dénonciation de cette manière de concevoir le rôle de la doctrine – en particulier privatiste, v. Sébastien PIMONT, « Peut-on réduire le droit en théories générales ? Exemples en droit du contrat », Revue trimestrielle de droit civil, 2009, p. 417 et s., spéc. p. 420 (« Ne faut-il pas admettre que toute construction juridique ne peut être que provisoire, conciliation plus ou moins artificielle d’intérêts trop contradictoires pour faire réellement système ? ») et p. 427 (« Lorsqu’on pense décrire et enseigner la réalité, on l’interprète déjà en la présentant à travers certaines catégories qui la dénaturent »).

[10] V. Jean CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 27e éd.,  PUF, 2002, n° 161, p. 323 : « Le droit subjectif est une des notions premières du droit et défie quelque peu l’analyse. Le droit civil, en particulier, a été et demeure construit sur cette notion ».

[11] Jean CARBONNIER, Droit et passion du droit, Flammarion, coll. « Forum », 1996, p. 125.

[12] Rappr. Carlos Miguel HERRERA, « L’engagement de la doctrine : l’exemple des débats sur la catégorie de “droits sociaux” », préc., p. 73 : « les caractéristiques de leur mise en œuvre les feraient, au fond, incompatibles avec les droits de l’homme, du moins dans la vision que la doctrine juridique traditionnelle a construit depuis le xixe siècle, et qui reste encastrée sur la notion de “droit subjectif” ».

[13] Sur l’importance de la détermination précise du pouvoir conféré par une prérogative pour qu’elle puisse être qualifiée de droit subjectif, v. François TERRE, Introduction générale au droit, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009, n° 204, p. 170 : « Les droits subjectifs se manifestent sinon exclusivement du moins principalement dans la perspective des relations des particuliers – individus ou groupements – soit dans leurs rapports entre eux, soit dans leurs rapports avec les biens. Ils sont de ce fait dotés d’une structure et d’un contenu caractérisé : droit de créance, droit de propriété, d’usufruit, de servitude ». Toutefois l’auteur complète : « Mais force est de reconnaître que, plus l’on se rapproche du statut de la personne humaine en tant que telle, y compris dans sa vie privée et familiale, plus le relief inhérent à la notion de droit subjectif s’atténue, sans que pour autant diminue la force de la prérogative reconnue au sujet de droit ». Et l’auteur prend l’exemple du droit au respect de sa vie privée consacré à l’article 9 du Code civil.

[14] Pour une discussion de cet argument, v. Marc PICHARD, Le droit à. Étude de législation française, préf. Michelle GOBERT, Economica, coll. « Recherches juridiques », 2006, n° 181 et s., p. 236 et s.

[15] Gérard CORNU, Introduction au droit, Montchrestien, coll. « Domat », 13e éd., 2007, n° 9, p. 16, note 1.

[16] Adde Philippe Malaurie et Patrick Morvan, Introduction générale, 3e éd., Defrénois, 2009, n° 35, p. 33 et s. Après avoir indiqué que « l’application des droits de la deuxième génération […] suppose réalisées des conditions de prospérité économique exceptionnelles et l’octroi de subventions par l’Etat », les auteurs présentent les « droits de la première génération » et soulignent : « ce sont les “vrais” droits de l’homme et surtout les plus effectifs ». Les exemples choisis pour illustrer la suite des propos sont édifiants. « Les droits de l’homme ont proliféré – au risque de dénaturer le concept – au sein de textes, imprécis dans leur objet [en note : art. 11 du PIDESC, droit à un niveau de vie suffisant] ou leurs bénéficiaires et dépourvus de sanction [en note : al. 5 et 10 du Préambule de la Constitution de 1946 : droit d’obtenir un emploi et “la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement”] […] Les faux droits (les droits-créances) [nous soulignons] menacent de chasser les vrais droits de l’homme en restreignant leur domaine ».

[17] Adoptant encore cette distinction comme summa divisio, v. Jean CARBONNIER, Droit civil, Introduction, op. cit., n° 163, p. 329, qui, à propos des « différentes espèces de droits » écrit : « la distinction d’où il faut partir est celle du droit réel (jus in re) et du droit personnel selon que la personne a un droit sur une chose ou à l’égard d’une autre personne, selon que, dans le rapport de droit, elle se trouve placée en face d’une chose ou d’une autre personne ».

[18] Consacré dans le Code civil, à l’article 9, par une loi du 17 juillet 1970.

[19] V. Bernard BEIGNIER, V° « Droits (Classification) », in Denis ALLAND et Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Lamy et PUF, coll. « Quadrige », p. 533. L’article est sans équivoque, qui s’ouvre sur l’affirmation : « La summa divisio est celle qui sépare les droits patrimoniaux des droits extra-patrimoniaux ; cette dernière catégorie se scinde entre les droits réels et les droits personnels ». Adde, par ex., Gérard CORNU, Introduction au droit, op. cit., n° 35 et s., p. 31 et s. Une section est consacrée aux droits subjectifs. Le plan en est le suivant : §1. Les droits patrimoniaux ; A. Classification des droits patrimoniaux ; a) Les droits réels ; b) Le droit de créance […] ; §2. Les droits extrapatrimoniaux : A. Diverses espèces : a) Certains droits de famille ; b) Les droits de la personnalité […]. Les droits de l’homme en général et les droits sociaux en particulier ne sont pas même mentionnés. Ce mode de présentation des droits de l’individu est, de très loin, le plus courant. Adde Philippe MALINVAUD, Introduction à l’étude du droit, Litec, coll. « Manuels », 12e éd., 2008, n° 330 et s., p. 275 et s. Le premier titre de la partie de l’ouvrage intitulée « Les droits subjectifs » est consacré à la classification des droits subjectifs. Il est lui-même ainsi subdivisé : Chapitre 1 : Les droits extrapatrimoniaux ; Chapitre 2 : Les droits patrimoniaux. « Les droits publics » sont évacués dans l’introduction de cette troisième partie de l’ouvrage consacrée aux droits subjectifs (n° 328, p. 273).

[20] V. par ex. Christian Larroumet, Droit civil, t. 1, Introduction à l’étude du droit privé, Economica, 5e éd., 2006, n° 409, p. 275.

[21] Par exemple en privilégiant la distinction des droits innés et des droits acquis.

[22] Sur l’évolution des catégories juridiques, v. Christian ATIAS, Epistémologie juridique, Dalloz, coll. « Précis », 2002, n° 90, p. 62 : « Des changements idéologiques majeurs se sont également produits ; il serait bien étonnant que les concepts et catégories mis en œuvre dans l’enseignement et la description, l’analyse, la construction théorique du droit en soient demeurés indemnes » ; Jean-Louis BERGEL, « Différence de nature (égale) différence de régime », Revue trimestrielle de droit civil, 1984, p. 255 et s., spéc. n° 9, p. 262 : les catégories juridiques « doivent être reconsidérées lorsque l’évolution des faits ou du droit les dément ou ne leur permet plus de refléter la réalité » ; n° 22, p. 269 : « La pression des faits et les orientations nouvelles du droit imposent parfois de remettre en ordre les éléments des systèmes juridiques. Ainsi, les catégories juridiques ne sont pas figées et leur renouvellement, pourvu qu’il soit mûrement réfléchi, est indispensable ». Adde Jean RIVERO, « Apologie pour les “faiseurs de systèmes” », préc., spéc. p. 102 : « Qu’il y ait des évolutions nécessaires, c’est l’évidence. Que le système d’aujourd’hui soit appelé à céder quelque jour la place à une systématisation nouvelle, comment le nier ? ».

[23] Mais est-ce politiquement judicieux pour qui militerait en faveur de l’indivisibilité de ceux-ci ?

[24] Dany COHEN, « Le droit à … », in L’avenir du droit, Mélanges en hommage à François Terré, Dalloz, PUF et Jurisclasseur, 1999, p. 393 et s., p. 393.

[25] Ibid, p. 394.

[26] Ibid.

[27] Jean-Louis BERGEL, « Différence de nature (égale) différence de régime », préc., spéc. p. 258 : « les catégories juridiques sont des ensembles de droits, de choses, de personnes, de faits ou d’actes ayant entre eux des traits communs caractéristiques et obéissant à un régime juridique commun ».

[28] Ce qui s’exprime dans la tentation, lorsqu’il s’agit d’étudier les droits sociaux, de les examiner les uns indépendamment des autres.

[29] Rappr. Christoph GUSY, « Les droits sociaux sont-ils nécessairement injusticiables ? », in Constance GREWE et Florence BENOIT-ROHMER, Les droits sociaux ou la démolition de quelques poncifs, PU Strasbourg, 2003, p. 33 et s., p. 42 : « Il n’existe qu’une seule manière de se conformer aux droits-libertés : c’est l’abstention ».

[30] Ibid., p. 45.

[31] Sur les dangers de l’impressionnisme en matière juridique, v. Jean RIVERO, « Apologie pour les “faiseurs de systèmes” », préc., spéc. p. 101.

Professeur des universités à Université Paris-Nanterre | Site Web

Marc Pichard est professeur de droit privé à l'Université Paris-Nanterre. Il est également directeur adjoint du Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique, codirecteur du master de droit privé mention Droit notarial, membre élu du Conseil académique (commission recherche) de la COMUE Paris-Lumières, membre du Comité consultatif disciplinaire et membre du Conseil d'administration du Centre de formation professionnelle des notaires de Paris.