Pour une éthique de l’anonymat
Quels éléments peuvent intervenir dans la constitution d’une éthique de l’anonymat et dans quelle mesure cette dernière peut-elle – ou non – permettre de fournir un cadre d’analyse et d’évaluation de l’usage des technologies de surveillance, et plus précisément de vidéosurveillance algorithmique telle qu’elle sera utilisée dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024? Telles sont les questions prises en charge par Malik Bozzo-Rey.
L’adversaire d’une vraie liberté est un désir excessif de sécurité.
Jean de La Fontaine, extrait de la fable Le loup et le chien
Introduction
Trois événements récents auraient dû engendrer une discussion aboutissant à caractériser conceptuellement l’anonymat. Tout d’abord, l’examen du projet de loi de régulation de l’espace numérique : il fut un temps question de supprimer l’anonymat sur les réseaux sociaux1 afin de lutter contre le sentiment de « cyber-impunité ». La question de l’anonymat fut également évoquée, mais de manière beaucoup plus indirecte, dans un premier temps lors de débats sur l’usage de la reconnaissance faciale dans les espaces publics et dans un second temps, lors de la discussion de la loi relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 20242. Si cette loi ne permet pas l’utilisation de la reconnaissance faciale, elle permet cependant l’expérimentation de la « vidéoprotection intelligente ». La discussion a cependant plus porté sur la protection des libertés fondamentales, sur le respect de la vie privée que sur l’anonymat en tant que tel et que sur sa capacité à fournir une réponse critique face à l’utilisation de ces technologies. Force est donc de constater que ce terme reste peu étudié philosophiquement et faiblement caractérisé conceptuellement. Pourtant, il nous apparaît intéressant de nous pencher sur l’anonymat dans la mesure où il pourrait fournir un cadre théorique permettant d’élaborer des arguments alimentant de manière bénéfique le débat public.
Ce travail s’inscrit par ailleurs dans le prolongement d’une réflexion sur les rapports entre éthique et reconnaissance faciale3 qui cherchait à identifier la conception de l’éthique sous-jacente à la volonté ou à la demande (notamment institutionnelle) de construire une éthique de la reconnaissance faciale. Ainsi, il nous est apparu que l’éthique était instrumentalisée : elle était réduite à un outil au service de la légitimation d’une technologie et de la construction d’une acceptabilité sociale. En réduisant l’éthique à cette fonction, la possibilité d’une critique radicale de la technologie était, de fait, évacuée. Il s’agissait avant tout – et pour un certain nombre de raisons (économiques, idéologiques etc.) – de disposer d’accommodements qui permettraient l’utilisation d’une technologie dans un cadre donné qui n’aurait, de toute façon, de cesse d’évoluer. Or, nous pensons qu’une démarche éthique doit se laisser la possibilité, et contenir par nature la possibilité, de refuser une technologie en tant que telle et pas seulement certains de ses usages. Dans ce cadre, il nous a semblé pertinent de proposer la piste de la construction d’une éthique de l’anonymat plutôt que d’une éthique de la reconnaissance faciale.
Dans le présent article, nous souhaitons proposer les éléments permettant la constitution d’une telle éthique et voir dans quelle mesure elle peut – ou non – permettre de fournir un cadre d’analyse et d’évaluation de l’utilisation de technologies permettant la surveillance des foules, et plus précisément la vidéosurveillance algorithmique telle qu’elle sera utilisée dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques de 20244. Nous débuterons notre réflexion par une tentative de définition de l’anonymat qui le conçoit comme éminemment relationnel et lié à des contextes. Ceci nous permettra de comprendre le type de justifications qui peuvent être évoquées à la fois pour défendre le recours à l’anonymat, mais également pour le critiquer. Nous étudierons ainsi la manière dont l’argument de sécurité repose sur une volonté de responsabilisation de l’individu à travers son identification tout en montrant comment cela aboutit à une conception de la société orientée vers la surveillance constante, totale et globale de l’espace public à l’aide de technologies spécifiques. Nous serons alors en mesure de savoir si la vidéosurveillance algorithmique est plus acceptable éthiquement que l’usage de la reconnaissance faciale dans l’espace public et quelle place accorder à l’anonymat dans cette analyse.
Qu’est-ce que l’anonymat ?
Si les études sur l’anonymat sont relativement abondantes en études littéraires5 et très abondantes dès lors qu’il concerne les technologies numériques6, il reste frappant de constater qu’il existe peu de tentatives de définition conceptuelle de l’anonymat. Le premier élément qu’il convient de souligner ici est que nous ne considérons pas l’anonymat comme relevant uniquement de l’invisibilisation du nom, comme pour un auteur anonyme par exemple. C’est pourquoi nous nous attacherons dans un premier temps à identifier les caractéristiques proposées par Gary T. Marx7, ainsi que leurs limites pour ensuite nous concentrer sur celle proposée par Kathleen A. Wallace8 qui présente l’avantage de distinguer trois types d’anonymat et qui donne des éléments d’évaluation normative.
La définition de G.T. Marx et ses limites
Définition
Marx s’intéresse à l’anonymat dans le cadre d’une réflexion sur l’évolution des sociétés contemporaines et la place grandissante des différentes formes de communication et de transmission d’informations. Il cherche donc à lier anonymat et identification afin de mesurer comment ces deux notions peuvent modifier la relation de communication. Marx définit très simplement l’anonymat : il s’agit d’une des valeurs fondamentales subsumée sous la distinction entre identifiabilité et non-identifiabilité. Ainsi,
Etre complètement anonyme signifie qu’une personne ne peut pas être identifiée selon les sept dimensions qui permettent de connaître son identité et que je présenterai ci-après9.
Comment est-il possible selon Marx de connaître l’identité d’une personne ? Premièrement, et de manière assez évidente, le nom légal permet de relier une personne à son identité. Par contre, l’usage du seul prénom peut fournir un anonymat partiel. Deuxièmement, il est également possible d’identifier une personne grâce à son adresse, même si cette adresse implique plutôt l’idée d’être joignable qu’un lieu physique précis. Savoir « où » se trouve une personne permet d’accomplir un certain nombre d’actions à son encontre. Troisièmement, l’identification peut s’appuyer sur des symboles (alphabétiques ou numériques) tels que le numéro de sécurité sociale – qui va permettre de remonter à une personne ou un lieu. Quatrièmement, des symboles peuvent être utilisés, mais ils ne vont pas permettre de remonter directement à une personne ou une adresse. Par exemple dans le cas de tests où l’identité des personnes est protégée. Cinquièmement, il peut être possible d’identifier une personne sans nécessairement connaître ni son nom, ni son adresse mais en connaissant un élément visible ou un type de comportement qui la distingue des autres. Ici, ne pas connaître le nom d’une personne ne veut pas dire que je ne la connais pas. Par exemple, je peux croiser la même personne tous les jours lorsque je prends les transports en commun. Je ne connais pas son nom, mais je serais capable de l’identifier parmi plusieurs personnes. Ceci souligne le caractère profondément social de l’identité. Sixièmement, et dans la continuité du point précédent, la catégorisation sociale peut permettre d’identifier une ou des personnes – sans pour autant nier que cette catégorisation ne permet pas de différencier des individus au sein d’une même catégorie. Septièmement, l’identification peut s’appuyer sur la possession d’un savoir, d’artefacts ou de compétences qui permettent à une personne d’être éligible (ou non-éligible) à un traitement particulier, sans qu’aucun autre élément d’identification ne soit nécessaire. Par exemple, lorsqu’il suffit d’utiliser une carte non nominative pour accéder à un lieu ou montrer une marque ou un tatouage temporaire pour entrer dans un parc ou une discothèque. Nous connaissons désormais ce qui permet l’identifiabilité d’une personne. Puisque nous disposons des éléments permettant d’identifier une personne, comment ne pas respecter ces critères pourrait-il se justifier ?
Justification
Marx évoque plusieurs raisons permettant de justifier le recours à l’anonymat. Même si cette liste n’est pas exhaustive, elle est intéressante pour notre propos car elle permet de définir les éléments et les circonstances qui peuvent être normativement évoquées dans le cas du recours à l’anonymat.
Marx liste quinze justifications possibles – mais non exhaustives – pour l’anonymat10. Nous en retiendrons six. La première concerne la facilitation de la transmission d’informations sur des questions d’intérêt général : l’anonymat permet ici de protéger les personnes tout en leur permettant de divulguer des informations que le public se doit de connaître. Cette justification implique une conception spécifique de l’espace public, de la démocratie, des valeurs qui doivent les régir et des finalités souhaitables pour la société. Un bon exemple de cette justification est l’anonymat des lanceurs d’alerte11. L’anonymat est également justifié lorsqu’il permet d’atteindre une fin souhaitable même s’il permet des actions condamnables moralement ou légalement comme le programme de protection des témoins aux Etats-Unis. L’anonymat est justifié s’il permet de protéger l’espace personnel d’intrusions ou de sollicitations non désirées, par exemple mettre son numéro de téléphone sur liste rouge. L’anonymat est justifié lorsqu’il s’avère garant d’une procédure juste et impartiale. Par exemple, dans le cas des « blind reviews » d’articles scientifiques ou l’évaluation du CV d’une personne dont le nom et le genre sont inconnus. L’anonymat peut permettre d’éviter toute forme de persécution et l’on voit mal comment ne pas l’accepter dans de tels cas. Enfin, nous terminerons par le cas où l’anonymat permet de protéger l’intégrité de la personne.
Il est intéressant de noter dès à présent que l’anonymat est ici envisagé principalement comme une possibilité positive offerte aux individus pour les protéger et non comme un avantage légitimant des activités illicites ou des comportements déviants impliquant une responsabilité dont les individus les adoptant chercheraient à se soustraire. Marx parle ainsi de justifications pour un anonymat « socialement désirable »12. Autrement dit, l’anonymat est envisagé comme un bénéfice pour le bon fonctionnement de la société – même si celui-ci devait parfois impliquer des éléments moralement ou légalement condamnables. L’anonymat doit dans ces cas être envisagé comme relevant du raisonnement de la doctrine du double effet13. Ce qui ne veut pas dire que l’anonymat est intrinsèquement condamnable, au contraire : il est socialement (et moralement) justifié car il engendre des bénéfices pour l’ensemble de la société et assure de manière directe ou indirecte son bon fonctionnement. Mais nous reviendrons sur ces différents points.
La limite de l’analyse de Marx, pourtant riche sur bien des aspects, réside dans son incapacité, ou peut-être plus précisément son absence de volonté, de dégager des invariants et d’ériger l’anonymat au rang de concept. Telle est précisément la tâche que va chercher à accomplir Kathleen A. Wallace.
La définition de Wallace
Dans son article « Anonymity »14, Wallace entend livrer une analyse conceptuelle de l’anonymat. Elle cherche ainsi à répondre à la question « Qu’est-ce qu’être anonyme ? »15 tout en s’interrogeant sur les raisons qui pourraient amener quelqu’un soit à rechercher l’anonymat, soit au contraire à l’éviter à tout prix. Elle entend ainsi proposer une « définition de l’anonymat »16. Marx le soulignait dans déjà son article :
L’anonymat est fondamentalement social. Pour être anonyme, il faut qu’il y ait au moins une autre personne. Il n’est pas possible d’être anonyme au sommet d’une montagne s’il n’y a pas une forme quelconque d’interactions avec d’autres personnes et si personne ne sait qu’il y a une personne au sommet de cette montagne17.
Wallace développe cette dimension fondamentale, mais souvent négligée ou invisibilisée18 dans le débat public :
L’anonymat présuppose des relations sociales ou une communication. En d’autres termes, il est relatif à des contextes sociaux dans lesquels un individu a la capacité d’agir, d’affecter d’autres individus ou que ces derniers l’affectent ; ou dans lesquels la connaissance, ou l’absence de connaissance de qui est telle ou telle personne, est pertinent concernant ses actions, la manière dont elle affecte d’autres personnes ou dont celles-ci l’affectent19.
Une autre manière d’énoncer les choses consiste non seulement à souligner le caractère éminemment social et communicationnel de l’anonymat, mais également à souligner que l’anonymat structure la société et permet une démarcation entre la sphère publique et la sphère privée.
Pour Wallace20, l’anonymat peut être défini comme l’incapacité à relier entre eux des traits (comme ceux du visage) ou des caractéristiques qui définissent une personne dans le but de l’identifier comme telle21. Autrement dit, être anonyme veut dire ne pas être identifiable ; et il faut ajouter : dans un contexte spécifique ou à certains égards. En définissant l’anonymat de cette manière, Wallace permet de penser des degrés d’anonymat et pas uniquement le fait qu’il soit partiel ou complet. Ainsi, étant donné que l’anonymat se construit à partir de la caractérisation d’une relation entre la personne anonyme et d’autres personnes, ce type de relation est défini par l’incapacité d’identifier la personne anonyme dans son ensemble car elle n’est connue que par une ou plusieurs caractéristiques22 qui ne peuvent être reliées à d’autres caractéristiques ou spécificités permettant l’identification. Plus le lien entre les différentes caractéristiques est difficile à établir, plus l’anonymat est fort. La nature de ce lien définit les degrés (ou niveaux) d’anonymat et ils ne sont pas équivalents. Wallace considère que sa définition, par opposition à celle de Marx, ne remet pas en cause la condition épistémique des caractéristiques individuelles, mais que ce qui compte est que cette ou ces caractéristiques ne soient pas reliées à un individu particulier. De plus, elle ne fixe pas de limite intrinsèque à la caractéristique qui va permettre l’anonymat.
Cette définition présente donc l’avantage d’être très dynamique et de pouvoir rendre compte de nombreuses situations, tout en insistant sur une neutralité axiologique a priori de l’anonymat. Pour pouvoir parler d’anonymat, il convient également d’intégrer la question de sa temporalité : l’anonymat suppose, même s’il peut être temporaire, une certaine forme de durabilité. Même s’il dépend du contexte, il peut perdurer dans des contextes différents. C’est-à-dire que Wallace n’exclut pas une durabilité inter-contextuelle ; cette durabilité relevant à la fois de la temporalité et de l’inter-contextualité. La non-identifiabilité peut donc dépendre d’éléments intrinsèques et extrinsèques. Ce rapport entre intériorité et extériorité est également ce qui permet d’ajouter deux autres caractéristiques possibles à l’anonymat : il peut être délibéré ou résulter d’arrangements sociaux complexes. La définition de l’anonymat est donc cumulative : il est possible de le définir par plusieurs caractéristiques qui vont le renforcer. Une telle définition permet de distinguer l’anonymat de l’isolement social ou de l’invisibilité sociale. Ne pas savoir – ou ne pas reconnaître – qu’une personne existe ne signifie pas qu’elle est anonyme, cela signifie qu’on l’invisibilise, qu’on lui retire la possibilité d’exister (socialement). Or l’anonymat présuppose plutôt la condition épistémique de l’existence d’une personne (nous savons qu’elle existe), mais nous ne sommes pas capables de définir qui elle est, de l’identifier. L’action ou la caractéristique qui nous permet de dire « telle personne existe » n’est pas « coordonnable avec d’autres caractéristiques qui permettraient d’identifier cette personne ». Etre anonyme ne signifie donc pas ne rien connaître à propos de telle ou telle personne, mais plutôt disposer d’informations caractérisant une personne et permettant de (re)connaître son existence tout en étant dans l’impossibilité de relier ces informations caractéristiques de manière à pouvoir individualiser cette personne, c’est-à-dire l’identifier.
La conception que Wallace développe de l’anonymat est particulièrement intéressante car elle est solidaire d’une conception de l’individu et de la société. Ainsi, elle considère que l’anonymat (au sein d’une société23 ) n’est jamais et ne peut jamais être total. Une personne est toujours identifiable à certains égards, selon certains traits ou caractéristiques, mais un trait unique ne peut permettre d’identifier une personne. Une personne est précisément anonyme en raison de l’impossibilité de coordonner différents « traits » entre eux et à travers différentes sphères sociales24 de manière à disposer d’une caractérisation plus complète de l’individu qui aboutit à son identification. La conception sous-jacente de la société est donc la suivante : au niveau macro, une société est une interrelation de lieux qui peuvent soit appartenir à d’autres lieux, soit intégrer différentes sphères. Au niveau micro, chaque lieu est une sphère sociale dans laquelle un individu peut être situé. C’est pourquoi elle peut conclure :
Chaque personne est une combinaison de traits interdépendants ; chaque trait est une position dans un réseau de relations ou, en d’autres termes, la position de la personne dans un ordre. Chaque personne est une combinaison de traits et se situe dans plusieurs ordres25.
Un bon exemple est celui des tests médicaux anonymes : un numéro est attribué au hasard à une personne et cela va permettre de l’identifier ou plus exactement de relier ce numéro à, par exemple, un échantillon de sang. Par conséquent, ce numéro ne peut être lié qu’à cet échantillon et non avec d’autres traits caractérisant la personne en question. Cela veut dire que la personne est identifiable dans une certaine sphère (celle qui implique les échantillons de sang, ce que nous pourrions décrire comme le lieu « hôpital »), mais ne peut être lié à d’autres caractéristiques relevant d’autres lieux ou d’autres sphères. La personne est donc anonyme mais son existence est cependant connue et elle est identifiable, via une seule de ses caractéristiques. Nous pouvons considérer qu’elle est anonyme précisément car il y a une absence de coordination relationnelle entre les différents traits qui pourrait permettre d’identifier de quelle personne il s’agit exactement. Le processus d’individualisation ne peut être mené à son terme. Que pouvons-nous conclure de cet exemple ? L’anonymat repose sur la pluralité des traits caractérisant une personne et l’impossibilité de les relier. Autrement dit, toute tentative de réduire l’individu à un seul trait ou à des traits spécifiques (comme ceux du visage) exprime une volonté de supprimer l’anonymat et est une forme ou une tentative de négation de sa possibilité. En quelque sorte, l’anonymat peut être compris comme interrogeant le consentement de la relation à l’autre et la place de la volonté dans la relation de reconnaissance. De ce point de vue, l’anonymat renverrait à une liberté fondamentale qui est celle de se donner à voir dans la relation à l’autre.
Les différents types d’anonymat
A partir de sa définition, Wallace identifie trois types d’anonymat : anonymat de l’agent (agent anonymity), du bénéficiaire (recipient anonymity) et du processus (process anonymity)26 qui permettent d’évaluer éthiquement les fins visées par l’anonymat. En effet, si les différentes formes d’anonymat possibles n’affectent pas sa nature, il n’en va pas de même pour une éthique de l’anonymat. Une telle éthique doit s’interroger sur les différentes formes qu’il peut prendre et mettre à disposition les éléments permettant son évaluation.
Anonymat de l’agent
Dans ce cas, il s’agit de garantir à l’agent (la personne accomplissant l’action) qu’il va pouvoir accomplir telle ou telle action, sans risquer d’être identifié27. En tant que tel, cet anonymat est neutre axiologiquement alors que l’action permise par l’anonymat ne l’est pas forcément. Nous nous permettons d’insister sur ce point car il est important de bien avoir à l’esprit que l’anonymat ne possède pas de valeur intrinsèque28. Autrement dit, une action permise par l’anonymat peut être neutre, bonne ou mauvaise (d’un point de vue éthique ou moral). L’action doit être évaluée et qualifiée, non l’anonymat. L’anonymat n’est ni toujours bon et souhaitable, ni toujours mauvais et condamnable. En fait, ce que l’éthique de l’anonymat nous enjoint de faire est d’exercer notre capacité d’analyse critique.
Anonymat du bénéficiaire
Un autre type d’anonymat proposé par Wallace permet de protéger la personne qui pourrait être visée par l’action d’autres personnes, si elle devait être identifiée29. Par exemple, dans le cas d’un lanceur d’alerte. Son anonymat aurait pour but de lui garantir de ne pas subir de représailles, de discriminations, de stigmatisation en raison de l’action accomplie : révéler des éléments jusqu’à présent cachés mettant en jeu l’intérêt général.
Anonymat du processus
Le dernier type d’anonymat a pour but de « préserver l’intégrité ou la validité d’un processus »30. Ici, l’anonymat est envisagé comme une garantie d’impartialité ou de neutralité. L’évaluation « à l’aveugle » de documents (article, documents légaux, CV…) est un bon exemple de ce type d’anonymat.
Ces trois types d’anonymat ne sont pas exclusifs et il est tout à fait possible d’imaginer différentes combinaisons, auquel cas il faudra probablement s’intéresser à la finalité principale ou première de l’anonymat. Etablir une typologie des différents types d’anonymat est en fin de compte un travail préparatoire et nécessaire à une réflexion sur la constitution d’une éthique de l’anonymat. Il est frappant de constater que l’augmentation exponentielle de l’usage des technologies de reconnaissance et de vidéosurveillance – en fait d’outils et de technologies de surveillance de masse – est solidaire d’une insistance sur une valeur intrinsèque négative de l’anonymat, même partiel et/ou temporaire, au nom de la sécurité et à travers l’idée que l’anonymat est un refus de responsabilité qui met en danger la sécurité. Nous pouvons noter en première analyse qu’une telle affirmation établit une relation causale entre responsabilité et sécurité – qu’il faudrait démontrer à chaque instance – et qu’elle assimile responsabilité et rendre des comptes31. La modalité des relations entre anonymat et sécurité semblent dans tous les cas être au cœur d’une critique et d’un refus de l’anonymat sur lesquels vont s’appuyer les promoteurs des technologies de surveillance. Il devient donc nécessaire d’éliminer sa possibilité.
La justification du refus de l’anonymat : sécurité et responsabilité
Avec l’apparition de la vidéosurveillance, nous basculons dans une société de méfiance où l’anonymat est nécessairement suspect. Il ne permet pas ou plus d’assurer le bon fonctionnement de la société en protégeant certaines personnes dont les paroles ou les actions sont vitales pour garantir un certain nombre de valeurs fondamentales. Il s’agit de supprimer l’anonymat en l’ostracisant et en l’associant à des valeurs négatives : refus de responsabilité, illégalité, danger. Mais il faut bien avoir conscience qu’à cette suppression correspond une volonté de rendre transparent l’individu à la société dans son ensemble. Supprimer l’anonymat consiste à demander une transparence totale des individus jusque – mais pas uniquement – dans ce qui constitue leur particularité la plus fondamentale socialement : le visage. Réduire l’individu au visage revient à s’assurer de sa transparence totale et offre une capacité inédite de le surveiller en abolissant les frontières entre public et privé, annihilant ainsi la possibilité même de vie privée. Dans un monde transparent, cette dernière ne fait plus sens, ou plus exactement n’a plus de sens puisqu’elle est reléguée dans un champ qui relève du danger potentiel et de l’acte criminel potentiel. Au refus de l’anonymat et à la transparence des individus correspond une société qui s’appuie sur des dispositifs de contrôle et de surveillance. Penser – et défendre – une éthique de l’anonymat interroge et met à mal cette vision de la société en replaçant au cœur des dynamiques sociales la possibilité de se soustraire volontairement, partiellement ou complètement, à l’exigence de transparence présentée – dans une formidable inversion axiologique – comme la garante des valeurs démocratiques fondamentales. Nous considérons au contraire que ce dévoilement incessant, permanent qui relève d’une injonction sociale, politique mais peut-être surtout technologique est au cœur de la fragilisation démocratique. Une éthique de l’anonymat devient alors un rempart contre cette transformation et un acte de résistance. Nous nous proposons dans les paragraphes qui suivent de mettre au jour les mécanismes qui aboutissent à une telle vision de la société et qui justifient l’élaboration d’une éthique de l’anonymat.
Surveillance et sécurité
Le terme de « société de surveillance » ou « société de contrôle » ainsi que tous ses avatars invoquant Big Brother ou le Panoptique, sont (malheureusement ?) devenues monnaie courante pour présenter le fonctionnement des sociétés contemporaines, notamment lorsque l’on s’attache à déceler les dispositifs technologiques utilisés dans l’espace public afin d’assurer l’identification des personnes. Nous avons déjà évoqué les rapports que peuvent entretenir l’éthique et la reconnaissance faciale, notamment lorsqu’il s’agit de construire une « éthique de la reconnaissance faciale »32. Nous avons notamment insisté sur l’instrumentalisation de l’éthique par le processus d’institutionnalisation de la technologie de manière à ce qu’elle soit réduite à un outil de construction de l’acceptabilité sociale de certaines technologies. Dans ce cadre, l’anonymat pourrait représenter un grain de sable dans la machine bien rodée de légitimation sociétale des technologies. Une éthique de l’anonymat pourrait alors fournir des éléments indispensables pour laisser la possibilité à l’éthique de critiquer radicalement certaines technologies, voire de les refuser purement et simplement.
Comme nous l’avons déjà mentionné, la première et plus importante difficulté à laquelle une éthique de l’anonymat doit faire face est l’argument de la sécurité, élevée en valeur cardinale des sociétés démocratiques. Sécurité, à la fois au sens de sécurité physique, mais aussi de sécurisation de valeurs spécifiques : par exemple, la liberté. A ce titre, le discours autour du recours à la vidéosurveillance dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 est frappant : les mesures utilisant des technologies relevant de la surveillance de masse sont présentés positivement comme une assurance pour la sécurité des personnes tout en garantissant le respect des libertés fondamentales. Ne prenons qu’un exemple issu d’un média grand public :
[…] des QR codes, des sésames pour circuler librement dans Paris pendant les JO33.
Ce type de formulation est caractéristique du recours aux fictions34 qui vise à déconstruire la réalité pour mieux l’imposer, en niant notamment la question de la temporalité. Ainsi alors que force est de constater que toutes les actions – et notamment des actions contradictoires – ne sont pas réalisables en même temps, un discours fictionnel cherchera à s’affranchir de toute référence à leurs conditions de possibilité. Aristote avait bien identifié ce mécanisme qu’il nomme « homonymie » :
Autre homonymie : on prouve que le même individu est assis et debout, qu’il est malade et bien portant; car celui qui s’est levé, est debout, et celui qui s’est guéri est bien portant. Or, c’était un individu assis qui se levait, un malade qui se guérissait; car cette expression, que le malade fait ou souffre une chose quelconque, n’a pas une signification unique, mais tantôt elle veut dire que, telle personne est assise ou malade maintenant, et tantôt il s’agit d’une personne qui l’était auparavant. Oui, sans doute, le malade se portait bien même en étant malade, mais il ne se porte pas bien étant malade; c’est le malade qui se porte bien, mais ce n’est pas le malade qui l’est maintenant, c’est celui qui l’était auparavant35.
Or supprimer la possibilité de l’anonymat de l’équation d’une circulation libre durant les Jeux Olympiques et Paralympiques relève du même type d’argumentation, au sens où il s’agit avant tout de rappeler un état spécifique passé (« libre ») pour justifier une mesure de surveillance présente qui réduit cette liberté, tout en supprimant non seulement tout élément de contexte36 mais aussi – et surtout – l’élément clé qui assure cette liberté (au moins en partie car il permet de se soustraire à la surveillance) : l’anonymat. L’anonymat est invisibilisé, sa possibilité niée et reléguée à une notion contre-productive, voire dangereuse pour la sécurité – qui remplace alors la liberté.
Tout ceci prend place dans un cadre plus général où les nouvelles technologies augmentent drastiquement à la fois les possibilités de réduire ou supprimer l’anonymat, mais aussi de l’augmenter. Or cette potentialité semble souvent (toujours?) être utilisée dans le débat public au détriment de l’anonymat37. Mais pour quelle(s) raison(s) l’anonymat serait-il problématique ?38 Il nous semble que la réponse se joue dans le concept de responsabilité et dans son corrélat : la responsabilisation.
Identifier pour responsabiliser
Dreyfus39 considère que l’anonymat (sur internet) permet à des individus de devenir non des spectateurs impartiaux mais des individus non situés et détachés de la situation et des actions qu’ils pourraient accomplir. La conséquence ultime serait donc que l’anonymat affaiblit la capacité des individus à s’impliquer dans leurs actions et, donc, à se sentir responsables de leurs actions40. Autrement dit, l’anonymat permettrait de se couper du système de relations sociales au fondement de la responsabilité. Outre le fait que nous avons bien vu que l’anonymat reposait fondamentalement sur les relations sociales et les différents contextes sociétaux dans lesquels les individus pouvaient évoluer, intéressons-nous de plus près à ce qu’une telle affirmation implique, ou exprime.
La question de la responsabilité : l’anonymat engendre-t-il nécessairement un délit sans auteur… mais pas sans victime ?
Il s’agit en fait de légitimer la surveillance par la responsabilité : s’il faut pouvoir identifier les individus, qu’ils soient connus, c’est pour s’assurer qu’ils seront responsables de leurs actions. Il faut donc identifier les personnes pour définir l’auteur des actions pour lesquels il est tenu responsable. Nous pouvons en conclure au moins deux choses : tout d’abord, l’auteur de telle ou telle action devient la seule dimension digne d’intérêt – ce qui présuppose de supprimer le contexte de réalisation de cette action41 – et ensuite que l’anonymat est nécessairement un moyen de se soustraire à la responsabilité. Cela nous semble simplificateur à plusieurs titres. Tout d’abord, en raison du glissement qui fait que le processus de responsabilisation se réduit à trouver l’auteur d’une action pour le punir. La tentation est grande de dire qu’il s’agit avant tout de pouvoir « identifier un coupable ». Ensuite, il faudrait distinguer « être responsable » (responsibility) et « rendre des comptes » (accountability). Plus exactement, il s’agit de distinguer la responsabilité qui consiste uniquement à attribuer une action à un agent moral42 et celle qui demande aux agents moraux de rendre des comptes, c’est-à-dire d’avoir la possibilité d’identifier les inadéquations entre ce qui est attendu d’un agent moral et la manière dont celui-ci réussit ou non à se conformer à ces attentes43. Or l’anonymat ne supprime pas cette forme de responsabilité. De plus, une telle affirmation évacue toute réflexion sur la nécessité d’identifier une victime pour qu’une action soit moralement condamnable44. Enfin, elle supprime, de fait, la dimension protectrice de l’anonymat et le bénéfice qu’il peut représenter pour le bon fonctionnement de l’ensemble de la société, comme nous l’avons vu précédemment.
Invisibilité vs anonymat
L’aspect potentiellement « négatif » de l’anonymat est ainsi lié à la notion de danger et de sécurité ; l’idée sous-jacente étant que l’anonymat permettrait d’accomplir des actes répréhensibles sans être puni, en évitant d’être reconnu comme l’auteur – responsable – de ces actes. Comme nous venons de le mentionner, la question est bien ici celle de la responsabilité et du processus de responsabilisation qui assurerait la sécurité au niveau sociétal. A ce stade, il nous semble intéressant d’évoquer le mythe platonicien de l’anneau de Gygès45 qui est précisément utilisé pour illustrer les risques inhérents à l’anonymat46 et qui nous permettra d’établir une distinction conceptuelle importante.
L’anneau que trouve Gygès lui permet, grâce à une simple manipulation, de devenir invisible. Berger de métier et de condition, il l’utilisera pour séduire la reine, ourdir un complot contre le roi, ce qui lui permettra de l’assassiner et de prendre le pouvoir. Wallace fait référence au texte de Platon47 afin d’illustrer l’idée qu’une mauvaise personne peut, grâce à l’invisibilité que procure l’anneau, commettre des actions condamnables et injustes tout en évitant d’en rendre compte. Quelles que soient ses actions, il est impossible pour les personnes qui en seraient victimes et qui subiraient des injustices de demander des comptes à la personne responsable. Autrement dit, l’invisibilité permet de se défausser de la responsabilité de ses mauvaises actions et d’éviter ainsi toute sanction. Rappelons tout de même que Platon interroge ici la relation entre nos actes et nos conceptions de la justice, ce qui revient également à poser la question des sources de motivation de l’agir éthique. N’agissons-nous éthiquement (ou moralement) qu’en raison d’une disposition provenant d’une idée de la morale ou en raison des lois qui imposent des sanctions ? Wallace fait de ce mythe l’exemple paradigmatique des dérives possibles de l’anonymat et dresse une relation causale entre anonymat (réduit à l’invisibilité) et absence de responsabilité ou plus précisément entre anonymat et impossibilité de demander des comptes à l’auteur de l’action en question. Ceci nous semble quelque peu étrange car pour parvenir à cette affirmation, elle établit une relation d’équivalence stricte entre invisibilité et anonymat, en contradiction – ou, au minimum, en relation paradoxale – avec sa propre définition de l’anonymat. Nous pensons en effet que cette équivalence n’a pas lieu d’être stricto sensu et que l’on ne peut en déduire une relation causale entre absence de responsabilité et anonymat. Etre invisible implique que personne n’est en mesure de vous voir, a fortiori de vous reconnaître et présuppose donc que personne ne sait que vous êtes présent en tel ou tel lieu. Or ce n’est pas ce que veut l’anonymat : être anonyme présuppose que l’on sait qu’une personne est présente dans tel ou tel lieu, qu’elle accomplit telle ou telle action, voire possède telle ou telle caractéristique mais qu’il n’est pas possible de remonter directement à l’auteur de cette action. D’une certaine manière, nous pouvons dire que dans le cas de l’invisibilité, il y a une action sans auteur (visible) alors que dans le cas de l’anonymat il y a une action avec un auteur mais nous ne disposons pas de caractéristiques coordonnables permettant de l’identifier. De plus, Wallace met de côté une question fondamentale que pose l’anneau de Gygès : quelles sont les raisons qui nous poussent à agir moralement ? Autrement dit, s’il est possible de se soustraire à sa responsabilité dans le cas de l’invisibilité, cela n’est pas entièrement le cas dans l’anonymat, comme nous l’avons exposé plus haut48. Le problème est en fait que dresser une équivalence entre anonymat et invisibilité revient à simplifier toute instance d’anonymat et à la réduire à l’invisibilité. Si invisibilité peut rimer avec impunité, ce n’est pas le cas de l’anonymat. Et de la même manière qu’il existe des degrés d’anonymat, il existe des degrés de responsabilité. L’autre point intéressant dans l’analyse de ce mythe est qu’il nous rappelle deux éléments clés. Tout d’abord, la question qu’il pose est celle de l’identité : de la capacité d’un individu à définir sa propre identité et de la possibilité – ou non – des autres individus de saisir l’identité d’autrui. Le second élément qui nous paraît important est qu’il invite aussi à nous interroger sur la capacité d’un individu à se mettre à la place d’autrui et à se poser tel un spectateur impartial pour évaluer éthiquement une action. Ces deux points nous apparaissent fondamentaux pour l’élaboration d’une éthique de l’anonymat.
Quelques éléments pour une éthique de l’anonymat
L’anneau de Gygès ne nous semble pas fournir un argument définitif contre l’anonymat. Par contre, il nous invite – tout comme la définition que nous avons cherchée à élaborer en nous appuyant sur les articles de Marx et Wallace – à réfléchir aux caractéristiques d’une éthique de l’anonymat. De manière minimale, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que l’éthique de l’anonymat reconnaît à la fois sa dimension sociale et la complexité des relations à l’œuvre dans la sphère sociale qui engendre des niveaux d’anonymat et rend possible des anonymats partiels et justifiés. Elle reconnaît également la neutralité axiologique intrinsèque de l’anonymat qui a pour conséquence d’interroger les finalités de chaque instance d’anonymat au prisme des éthiques normatives. Ceci rend possible l’évaluation des technologies ou des dispositifs – comme la vidéosurveillance et la reconnaissance faciale – qui peuvent être utilisées pour supprimer l’anonymat. Enfin, une telle éthique reconnaît l’anonymat comme une valeur constitutive et transparente des sociétés démocratiques. Evidemment, l’anonymat entretient des relations spécifiques avec d’autres valeurs et d’autres droits qui constituent le fondement des sociétés démocratiques. Par exemple le respect de la vie privée, la liberté de circulation, la liberté d’expression pour ne citer qu’eux. L’éthique de l’anonymat, par opposition à une éthique de la reconnaissance faciale49 ne cherche pas à construire la légitimité ou l’acceptabilité sociale de certaines technologies mais entend plutôt donner des éléments qui permettent de laisser la possibilité de refuser une technologie qui viserait à supprimer l’anonymat.
Rappelons également que ce que l’anonymat permet de protéger est ce que l’on pourrait appeler l’identité personnelle d’un individu et non, par exemple, son identité légale (son nom). Cette idée se rapproche de la manière dont Nissembaum50 définit l’anonymat : il doit permettre à une personne de ne pas être joignable (unreachable). Cette non-joignabilité ne doit pas seulement être comprise comme une distance physique, mais bel et bien comme un élément métaphysique et ontologique propre à l’individu et ce qui en constitue l’individualité propre. Ensuite, la capacité à se mettre à la place d’autrui tout en évaluant une situation d’un point de vue impartial pourrait constituer la modalité d’évaluation propre à une éthique de l’anonymat. Ainsi, l’évaluation de la justifiabilité des différentes formes d’anonymat pourrait être rendue possible par ce détour méthodologique, cher à Richard Hare, d’une forme de spectateur impartial qui va de pair avec l’universalisabilité des préceptes moraux.
J’affirme que les jugements moraux sont universalisables en cet unique sens qu’ils supposent des jugements identiques concernant tous les cas identiques dans leurs propriétés universelles.51
Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que l’anonymat pourrait et devrait être justifié dès lors qu’il relève du prescriptivisme universel52, ce qui fournirait une raison d’agir, en l’occurrence une raison d’être anonyme, moralement valide. Voici la forme que prend le raisonnement de X53 lorsqu’il tente de savoir s’il va agir envers Y (de manière à ce que l’action de X ait des conséquences sur Y), c’est-à-dire quand il se demande s’il doit ou non faire telle action et s’il peut en accepter les conséquences. X suppose ainsi qu’il doit agir envers Y et :
- 1. Je dois agir envers Y.
- Donc 2. Toute personne qui entretient avec une autre personne la même relation que celle que j’entretiens avec Y doit agir envers cette autre personne.
- Donc 3. Si une personne Z entretenait avec moi la même relation que celle que j’ai avec Y, Z doit agir envers moi.
- Donc 4. Je prescris que dans une telle situation Z agit sur moi.
- Mais 5. Je ne veux pas que Z agisse sur moi dans une telle situation.
- Donc 6. (i) Je ne peux pas prescrire (4) et (ii) Je ne peux pas accepter par conséquent (3), (2) ou (l).
- X doit par conséquent refuser la proposition selon laquelle il doit agir envers Y.
L’objet de cet article ne nous permet pas de développer plus avant cette hypothèse, mais nous sommes certains que cela mériterait une analyse plus poussée.
A la lumière ces éléments et pour revenir à notre questionnement initial, la question qui se pose alors à nous dans le contexte des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 est de savoir comment analyser la suppression du recours à la reconnaissance faciale et son remplacement par la vidéosurveillance algorithmique54. En effet, en supprimant le recours à la reconnaissance faciale, ce type de vidéosurveillance – en se focalisant les mouvements des individus et non sur l’identification des individus eux-mêmes – s’affranchit-il de la critique que pouvait fournir une éthique de l’anonymat envers la reconnaissance faciale ?
La vidéosurveillance algorithmique : vers un contournement de l’anonymat ?
La technologie de la reconnaissance faciale s’appuie sur ce qui constitue la possibilité même de l’anonymat : les traits qui caractérisent une personne mais ceux-ci sont réduits aux traits du visage. Comme nous l’avons vu lorsque nous nous sommes intéressés plus haut à la définition de l’anonymat, l’enjeu pour celui-ci n’est pas de supprimer ou cacher l’ensemble des traits caractéristiques d’une personne, mais d’empêcher leur mise en correspondance, leur « coordonnabilité ».
Anonymat et technologie de reconnaissance faciale
Il est intéressant de noter que reconnaissance faciale et anonymat sont en quelque sorte les deux revers d’une même médaille : tous deux reposent et n’existent que parce que les individus peuvent être caractérisés par certains éléments, certains « traits » qu’il s’agit de coordonner de manière à aboutir à une identification, ou une authentification55.
Rappelons en effet que la technologie de reconnaissance faciale fonctionne en trois temps. Le premier temps consiste à détecter le visage, à procéder à son « alignement » afin de le repérer dans une image et de délimiter ses contours au sein d’un champ. Le deuxième temps consiste ensuite à extraire des caractéristiques spécifiques au visage qui nous intéresse, ce qui permet d’élaborer un modèle ou « gabarit » informatique. Ce dernier sera utilisé dans le cadre de la reconnaissance proprement dite. Enfin, le troisième temps consiste à rechercher des correspondances entre ce gabarit et d’autres présents dans une base de données afin de singulariser et d’individualiser le visage en question. Deux éléments sont ici à retenir : plus la base de données sera importante, plus le risque d’erreurs tendra (probablement et potentiellement) à diminuer ; cette technologie repose donc intrinsèquement sur la nécessité de collecter le plus de données possibles concernant les visages des individus56.
Cette mise en données des individus est loin d’être anodine, comme nous allons le voir. Mais avant cela, intéressons-nous de plus près au passage de la vidéosurveillance avec reconnaissance faciale à la vidéosurveillance algorithmique permise dans le cadre de la loi sur les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. En effet, face à une levée de boucliers concernant l’utilisation de la reconnaissance faciale par les forces de l’ordre afin d’assurer la sécurité durant les Jeux Olympiques, la loi prévoit finalement uniquement le recours à de la vidéosurveillance augmentée qui ne chercherait pas à identifier les visages mais à détecter des mouvements ou des objets suspects, c’est-à-dire potentiellement sources d’infractions. Ce changement a été présenté57 comme une victoire ou, au moins comme un succès. La question que nous souhaiterions poser est double : premièrement, la vidéosurveillance algorithmique évite-t-elle réellement les critiques formulées à l’encontre de la vidéosurveillance utilisant la reconnaissance faciale ? Deuxièmement, une éthique de l’anonymat reste-t-elle valide pour questionner le recours à ce type de technologie ? Autrement dit, l’anonymat a-t-il encore un sens face à la vidéosurveillance algorithmique?
L’anonymat a-t-il encore un sens avec la vidéosurveillance algorithmique ?
Pour pouvoir répondre à cette question, il est nécessaire de comprendre ce qu’est exactement et comment fonctionne la vidéosurveillance algorithmique58. Le principe de fonctionnement est décrit ainsi par la Quadrature du Net :
La vidéosurveillance algorithmique (VSA) consiste en l’installation et l’utilisation par la police d’un logiciel qui analyse les images des caméras de vidéosurveillance afin de repérer, identifier ou classer des comportements, des situations, des objets ou des personnes en particulier.
Les algorithmes auxquels il est fait référence relève de la « vision assistée par ordinateur » (« computer vision ») qui est une technologie utilisant l’apprentissage statistique afin d’identifier et d’isoler, d’individualiser des informations spécifiques au sein d’images fixes ou animées. Le but de ces algorithmes est d’apprendre à détecter automatiquement certains éléments, certaines informations, certaines données. Il s’agit d’une application de l’apprentissage-machine (« machine-learning »). La vidéosurveillance algorithmique peut être utilisée en temps réel ou en différé, cela n’impacte pas le processus technique en tant que tel. L’utilisation en temps réel est ce qui est prévu lors des Jeux Olympiques59. Sans développer ce point, nous tenons à signaler que la conception sous-jacente de la société inhérente à cette technologie est une « vision sécuritaire de la ville et de la société »60. Pour être plus précis et comme nous l’avons déjà évoqué, cette technologie s’appuie sur la sécurité érigée en valeur cardinale de la gestion politique et sociale : il faut avant tout pouvoir protéger les individus de crimes qui vont probablement être commis par d’autres individus dans l’espace public. Le point à retenir ici, fondamental selon nous, est que l’espace public devient un espace dangereux dont il faudrait identifier tous les individus déviants qui seraient une menace non seulement pour les individus mais pour la société toute entière. Une telle affirmation néglige complètement le contexte dans lequel ont lieu ces infractions, le réduisant uniquement à l’espace public. Il s’agirait donc de rendre visible l’invisible au prix d’une transparence totale et globale des individus61 transformant l’espace public en un tissage de surveillances dont les dispositifs sont eux-mêmes invisibilisés62. Un second point également important est qu’il s’agit d’automatiser, à terme, l’ensemble de ce processus afin d’aboutir à une constatation systématique des infractions, supprimant ainsi toute évaluation ou toute contextualisation de l’action constatée. Appliquée aux Jeux Olympiques, cette technologie cherchera donc à détecter les « comportements anormaux », c’est-à-dire in fine les individus anormaux. L’un des enjeux consiste – bien évidemment – à définir et identifier la norme dont il est question.
A ce moment de notre analyse, il semblerait qu’une éthique de l’anonymat ne soit ici d’aucune utilité puisqu’il ne s’agit pas d’identifier une personne en tant que telle, de lier ou coordonner différents traits d’un individu pour l’identifier, mais de se concentrer sur des comportements, des mouvements suspects. Cela est-il réellement le cas ? Ce qui pourrait aussi prendre la forme de la question suivante : quelle est la conception sous-jacente de la nature humaine ou plus précisément du corps humain ?
La vidéosurveillance algorithmique considère les corps humains comme des sources de données à traiter et à analyser… qui à ce titre ne sont absolument pas différentes en tant que telles de données issues d’un objet quelconque63. Par contre, la combinaison de certaines données va permettre de les associer à un être humain, par exemple. Donc la question est de savoir si ces données relèvent de données biométriques et permettent d’identifier un individu donné – pas nécessairement d’avoir son identité, mais d’individualiser les données issues de l’analyse algorithmique des images de manière à les associer à un individu particulier. Force est de constater que les algorithmes en question peuvent, par exemple, suivre une même personne dans différents lieux à l’aide de différentes caméras. Brey64 souligne qu’une telle opération équivaut en fait à externaliser une partie du corps en la transformant en un équivalent informationnel et que cette externalisation n’est pas neutre dans la manière dont s’exerce le pouvoir. En séparant un aspect du soi de son propriétaire, ce processus ouvre la voie à ce que d’autres puissent en prendre le contrôle. Cette perte de propriété relève d’un processus d’aliénation – une mise à l’écart de ce qui vous appartient qui permet à quelqu’un d’autre d’y accéder, de l’utiliser et d’exercer son autorité. Il est également possible d’assigner à votre corps transformé en données de nouveaux objectifs et de nouvelles significations sur lesquelles il n’est plus possible d’avoir prise. Si nous reformulons, cela veut dire que la vidéosurveillance algorithmique est capable de coordonner différents « traits » de manière à individualiser une personne parmi d’autres65 et que cette opération permet un exercice du pouvoir spécifique66. Or, c’est précisément ce que l’anonymat doit permettre de ne pas faire. Par conséquent, une éthique de l’anonymat est pertinente pour analyser la technologie de la vidéosurveillance algorithmique. Une éthique de l’anonymat, telle que nous en avons esquissé les contours, permet donc d’interroger les modalités d’application et les finalités de la vidéosurveillance algorithmique. Au même titre qu’elle permet de remettre en cause l’usage de la reconnaissance faciale, elle permet d’évaluer éthiquement la vidéosurveillance algorithmique.
Conlusion
Au terme de notre réflexion, nous pouvons réaffirmer la nécessité d’une éthique de l’anonymat qui ne ferait pas de ce dernier un élément parmi d’autres au sein d’une réflexion sur la surveillance des foules qui privilégierait des droits ou libertés fondamentales tels que le respect de la vie privée, par exemple. Nous pensons qu’une analyse fine de l’anonymat peut permettre de donner les éléments d’une critique des technologies de surveillance à même non seulement de protéger les individus contre des intrusions ou des exercices du pouvoir contestables mais également d’assurer le bon fonctionnement de la société. Pour cela, et comme nous l’avons montré, il est nécessaire et souhaitable de décorréler l’anonymat d’une volonté de se soustraire à la responsabilité et de remettre en cause une vision purement sécuritaire de l’espace public. Cet article n’a cependant pas la prétention d’avoir fourni tous les éléments nécessaires à une éthique de l’anonymat. A ce titre, une analyse plus poussée des liens entre anonymat et identité nous paraîtrait particulièrement intéressante. Par exemple, l’identité personnelle ne saurait être réduite à l’identité légale mais cette dernière est ce qui va autoriser et permettre, au moins dans un premier temps, la surveillance et le contrôle des individus. Or l’anonymat pourrait permettre de protéger cette identité personnelle à partir de la protection de notre identité non pas légale mais physique. Mais cela présuppose une réflexion approfondie à la fois sur le concept d’identité et sur la manière dont elle doit être comprise à l’aune des technologies numériques. De plus, il nous semblerait intéressant de prolonger la réflexion entamée autour du prescriptivisme universel de Richard Hare dans la caractérisation de la méthodologie d’analyse des justifications de l’anonymat et de l’évaluation éthique des différentes instances d’anonymat. Ceci nous permet de rappeler ici à quel point nous considérons que des réflexions théoriques doivent nécessairement trouver leur finalité dans la pratique et dans une certaine manière de porter attention à la complexité du monde. Enfin, l’anonymat nous paraît en mesure de proposer un modèle de société non pas où tout le monde est anonyme mais où l’anonymat sert de valeur fondamentale – ou de valeur repère plus précisément – pour évaluer des technologies intrusives qui visent la surveillance de l’ensemble des individus.
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NOTES
- Voir par exemple : https://www.nouvelobs.com/debat/20231103.OBS80368/faut-il-abolir-l-anonymat-sur-les-reseaux-sociaux.html et bien sûr : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/DLR5L16N47884 [↩]
- https://www.vie-publique.fr/loi/287639-jo-2024-loi-du-19-mai-2023-jeux-olympiques-et-paralympiques et pour le texte de loi : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047561974 [↩]
- M. Bozzo-Rey, « Une éthique de la reconnaissance faciale a-t-elle un sens ? », dans M. Bozzo-Rey et al. (éd.), Reconnaissance faciale : Défis techniques, juridiques et éthiques, Paris, Editions Panthéon-Assas, 2024.[↩]
- Et dont l’expérimentation se prolongera bien au-delà, en l’occurrence jusque mars 2025.[↩]
- Voir par exemple : M. Robson, « The Ethics of Anonymity », dans Anonymity in Early Modern England, Routledge, 2016, p. 159-176.[↩]
- C. Allen, « Internet anonymity in contexts », The Information Society, vol. 15, no 2, Taylor & Francis, 1999, p. 145-146 ; Z. Alexin, « Does fair anonymization exist? », International Review of Law, Computers & Technology, vol. 28, no 1, Taylor & Francis, 2014, p. 21-44 ; M. Hansen et A. Pfitzmann, « Anonymity, Unlinkability, Undetectability, Unobservability, Pseudonymity, and Identitiy Management–A Consolidated Proposal for Terminology », 2007 ; K. A. Wallace, « Online anonymity », The handbook of information and computer ethics, Wiley Online Library, 2008, p. 165-189.[↩]
- G. T. Marx, « What’s in a Name? Some Reflections on the Sociology of Anonymity », The information society, vol. 15, no 2, Taylor & Francis, 1999, p. 99-112. Gary T. Marx est sociologue.[↩]
- K. A. Wallace, « Anonymity », Ethics and Information technology, vol. 1, no 1, Springer, 1999, p. 23-35. Kathleen A. Wallace est philosophe.[↩]
- G. T. Marx, « What’s in a Name? Some Reflections on the Sociology of Anonymity », op. cit., p. 100.[↩]
- La liste complète est disponible dans Ibid., p. 102.[↩]
- Sur ce point, voir notre article M. Bozzo-Rey et G. Delalieux, « Lanceurs d’alerte : de l’obligation morale à l’éthique organisationnelle », dans M. Disant et D. Pollet-Panoussis (éd.), Les lanceurs d’alerte. Quelle protection juridique ? Quelles limites ?, Paris, LGDJ, 2017, p. 85-106.[↩]
- G. T. Marx, « What’s in a Name? Some Reflections on the Sociology of Anonymity », op. cit., p. 102.[↩]
- Pour une présentation détaillée : P. Foot, « The Problem of Abortion and the Doctrine of the Double Effect », dans Virtues and Vices and other essays in moral philosophy, Oxford : New York, Clarendon Press, 2003 ; F. M. Kamm, « The Doctrine of Double Effect: Reflections on Theoretical and Practical Issues », The Journal of medicine and philosophy, vol. 16, no 5, 1991, p. 571-585.[↩]
- L’approche développée dans l’article précédemment cité est complétée dans un second article sur l’anonymat en ligne : K. A. Wallace, « Online anonymity », op. cit.[↩]
- K. A. Wallace, « Anonymity », op. cit., p. 23.[↩]
- Id.[↩]
- G. T. Marx, « What’s in a Name? Some Reflections on the Sociology of Anonymity », op. cit., p. 100. Autrement dit, il faut pour être anonyme avoir un minimum de visibilité sociale. Nous reviendrons sur ce point.[↩]
- Nous devrions réellement nous interroger sur les raisons de cette invisibilisation et de la réduction de l’anonymat à une source de dangers potentiels.[↩]
- K. A. Wallace, « Anonymity », op. cit., p. 24.[↩]
- Nous nous appuyons sur les développements effectués dans ses deux articles : K. A. Wallace, « Anonymity », op. cit. ; K. A. Wallace, « Online anonymity », op. cit..[↩]
- K. A. Wallace, « Anonymity », op. cit., p. 24.[↩]
- Wallace utilise de manière récurrente le terme anglais traits.[↩]
- En ce sens, l’anonymat total présupposerait de ne pas appartenir à une société, mais pour Wallace, ce ne serait pas de l’anonymat.[↩]
- Définies comme les relations sociales et les lieux.[↩]
- K. A. Wallace, « Anonymity », op. cit., p. 26.[↩]
- Ibid., p. 29.[↩]
- Id.[↩]
- Contrairement à l’idée que certains discours tentent de véhiculer.[↩]
- K. A. Wallace, « Anonymity », op. cit., p. 29.[↩]
- Ibid., p. 30.[↩]
- La distinction est plus frappante en anglais où l’on parle de responsibility et d’accountability.[↩]
- M. Bozzo-Rey, « Une éthique de la reconnaissance faciale a-t-elle un sens ? », op. cit..[↩]
- Nous soulignons. https://rmc.bfmtv.com/actualites/police-justice/jo-2024-ce-qu-il-faut-savoir-du-qr-code-pour-circuler-aux-abords-des-sites-olympiques-a-paris_AV-202405100094.html [↩]
- M. Bozzo-Rey, « Influencer les comportements en organisation: fictions et discours managérial », Le Portique. Revue de philosophie et de sciences humaines, no 35, Association Les Amis du Portique, 2015. [↩]
- Aristote, La politique, Paris, Vrin, 1995, 166a-b. Voir également M. Marzano, Extension du domaine de la manipulation: De l’entreprise à la vie privée, Paris, Fayard/Pluriel, 2010, p. 24.[↩]
- Or nous avons bien vu à quel point le contexte était important pour penser l’anonymat et ses différentes modalités.[↩]
- Voir sur ce point les débats récents autour de la levée de l’anonymat dans le cadre du projet de loi portant sur la régulation de l’espace numérique. Cette question n’est cependant pas nouvelle : https://www.laquadrature.net/2010/05/25/appel-pour-la-defense-du-droit-a-l-anonymat-sur-internet/ [↩]
- H. L. Dreyfus, On the internet, s. l., Routledge, 2008 ; B. J. Goold, « Privacy rights and public spaces: CCTV and the problem of the “unobservable observer” », Criminal Justice Ethics, vol. 21, no 1, Taylor & Francis, 2002, p. 21-27 ; K. G. Ferguson, « Caller ID–whose privacy is it, anyway? », Journal of Business Ethics, vol. 29, Springer, 2001, p. 227-237.[↩]
- H. L. Dreyfus, On the internet, op. cit.[↩]
- Pour une typologie des différents types de responsabilité, voir R. Ogien, La panique morale, Paris, Grasset, 2004.[↩]
- Nous reviendrons sur ce point lorsque nous évoquerons la vidéo-surveillance augmentée.[↩]
- S. Wolf, Freedom within reason, Oxford, Oxford University Press, 1990 ; D. Shoemaker, « Attributability, Answerability, and Accountability: Toward a Wider Theory of Moral Responsibility », Ethics, vol. 121, no 3, The University of Chicago Press, 2011, p. 602-632. Pour une presentation détaillée, voir : M. Talbert, « Moral Responsibility », dans E. N. Zalta et U. Nodelman (éd.), The Stanford Encyclopedia of Philosophy, Fall 2023, Metaphysics Research Lab, Stanford University, 2023.[↩]
- G. Watson, Agency and answerability: Selected essays, Oxford, Clarendon Press, 2004, p. 262.[↩]
- D. K. Nelkin et D. Pereboom (éd.), The Oxford Handbook of Moral Responsibility, s. l., Oxford University Press, 2022.[↩]
- Platon, La République, G. Leroux (éd.), Paris, Flammarion, 2016, 358b-362c, en particulier 359d-360b.[↩]
- K. A. Wallace, « Anonymity », op. cit., p. 31-32.[↩]
- Id.[↩]
- D’autant plus que, comme le souligne Wallace, l’anonymat complet est quasiment impossible.[↩]
- M. Bozzo-Rey, « Une éthique de la reconnaissance faciale a-t-elle un sens ? », op. cit..[↩]
- H. Nissenbaum, « The meaning of anonymity in an information age », The Information Society, vol. 15, no 2, Taylor & Francis, 1999, p. 141-144.[↩]
- R. M. Hare, Penser en morale, M. Bozzo-Rey, J.-P. Cléro et C. Wrobel (trad.), Paris, Hermann, 2020, p. 226-227.[↩]
- Nous nous appuyons ici sur M. Bozzo-Rey, « Langage et méta-éthique : l’utilitarisme de Hare en question », dans M. Bozzo-Rey et E. Dardenne (éd.), Deux siècles d’utilitarisme, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 89-99.[↩]
- Nous nous appuyons sur J. R. Cox, « From Universal Prescriptivism to Utilitarianism », The Philosophical Quarterly, JSTOR, 1986, p. 1-15.[↩]
- Nous pouvons également rencontrer des expressions telles « vidéosurveillance intelligente » ou « vidéosurveillance augmentée ».[↩]
- M. Andrejevic et N. Selwyn, Facial Recognition, Cambridge, Polity Press, 2022.[↩]
- Pour une analyse plus détaillée, voir M. Bozzo-Rey, « Une éthique de la reconnaissance faciale a-t-elle un sens ? », op. cit. et plus généralement M. Bozzo-Rey et al. (éd.), Reconnaissance faciale : Défis techniques, juridiques et éthiques, Paris, Editions Panthéon-Assas, 2024.[↩]
- Par exemple : https://www.liberation.fr/societe/police-justice/jo-de-paris-2024-le-gouvernement-abandonne-la-reconnaissance-faciale-20221123_EHRSOTEHVRHS7G6QBWLQR72C2I/.[↩]
- Nous pouvons nous référer à https://www.laquadrature.net/wp-content/uploads/vsa/VSA-brochure-planche.pdf.[↩]
- Mais pas seulement, puisque la phase d’expérimentation s’étend jusqu’en mars 2025, soit bien au-delà des Jeux Olympiques.[↩]
- https://www.laquadrature.net/wp-content/uploads/vsa/VSA-brochure-planche.pdf.[↩]
- Nous ne mentionnons pas ici le type de délits visés et donc de personnes visées par ce type de technologies. Toute la réflexion sur les biais algorithmiques peut probablement s’appliquer ici.[↩]
- Ceci rejoint le terme de « sousveillance » qui insiste sur l’invisibilité des technologies de surveillance utilisées par ce qui caractérise un nouveau mode de gouvernementalité fondé sur la gestion politique de l’insécurité. Voir sur ce point D. Quessada, « De la sousveillance: La surveillance globale, un nouveau mode de gouvernementalité », Multitudes, no 1, Cairn/Softwin, 2010, p. 54-59.[↩]
- Voir sur les différents points de ce paragraphe J.-J. Lavenue et B. Villalba (éd.), Vidéo-surveillance et détection automatique des comportements anormaux: Enjeux techniques et politiques, Presses Univ. Septentrion, 2011, vol. 1274.[↩]
- P. Brey, « Ethical aspects of facial recognition systems in public places », Journal of information, communication and ethics in society, vol. 2, no 2, Emerald Group Publishing Limited, 2004, p. 97-109.[↩]
- Ce qui est l’opposé de la définition de l’anonymat en ligne que propose M. Hansen et A. Pfitzmann, « Anonymity, Unlinkability, Undetectability, Unobservability, Pseudonymity, and Identitiy Management–A Consolidated Proposal for Terminology », op. cit., p. 9-10.[↩]
- Sur ces questions, voir également B.-C. Han, Infocratie: Numérique et crise de la démocratie, Paris, PUF, 2023 ; B.-C. Han, La société de transparence, Paris, PUF, 2017.[↩]
Malik Bozzo-Rey est Directeur de recherche en Ethique au sein du laboratoire ETHICS (EA 7446) de L’Université catholique de Lille, il dirige également le Centre d’études sur les technologies de surveillance (CEThicS). Spécialiste de Jeremy Bentham et de l’utilitarisme, ses recherches s’articulent autour des modalités et de la légitimité de l’usage des outils d’influence sur les comportements. Plus spécifiquement, il cherche à penser les relations entre influence et surveillance et propose une réflexion sur la manière dont l’éthique peut permettre de penser et réguler les technologies, notamment numériques.