Contre-histoires kafkaïennes. Le point de vue du coupable dans Disgrace de J.M. Coetzee, The Human Stain de Ph. Roth et Mon cœur à l’étroit de M. NDiaye

Trois romans parus entre 1999 et 2007 empruntent à Kafka et spécialement au Procès un personnage identifié comme coupable, jugé et condamné pour une faute qu’il ne reconnaît pas. Dans les trois cas, c’est le point de vue de cet individu coupable qui structure le récit. Or, il ne comprend pas ce qu’on lui reproche, comme dans Le Procès où Josef K. est arrêté sans avoir « rien fait de mal ». De sorte qu’on est amené à s’interroger sur la nature de sa culpabilité et à suspecter l’accusation elle-même : l’incrimination n’en dit-elle pas plus sur l’accusateur que sur l’inculpé ? N’en apprend-on pas plus sur la société qui juge que sur celui qu’elle juge ? En fait, devant cette accusation dont la légitimité paraît problématique, le point de vue du coupable ne nous offre-t-il pas la possibilité d’écrire une histoire qui contredise le storytelling national, à savoir une contre-histoire ?

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Moi, Tituba sorcière…Noire de Salem : le récit fictionnel magico-réaliste comme contre-récit historique chez Maryse Condé

Dans l’autobiographie fictionnelle Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem, Maryse Condé met en place une esthétique magico-réaliste pour faire du récit de l’esclave noire de la Barbade condamnée pour sorcellerie à Salem un contre-récit historique : le point de vue et le discours spécifiques de la sorcière permettent d’une part de résister au discours historique occidental dominant et d’en combler les lacunes, et d’autre part, de proposer, dans une perspective postcoloniale nuancée, une représentation approfondie de l’identité des esclaves noirs, dont est rétabli le rôle essentiel à la fois dans la construction de l’identité culturelle américaine, et dans l’histoire de l’île de la Barbade.

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Parler contre dans la littérature postcoloniale: procédés de déconstruction des stéréotypes sexistes et racistes dans l’œuvre de Michelle Cliff

Cet article évoque la manière dont la littérature postcoloniale cherche à remettre en question le discours colonial. Instrumentalisation de l’Histoire, ce discours officiel cherche à donner une image négative de l’individu colonisé, pire, à la lui faire intégrer et à justifier ainsi l’entreprise colonisatrice. A travers deux romans de l’auteure jamaïcaine Michelle Cliff, Abeng et sa suite No Telephone to Heaven, nous étudions la manière dont le recours à la polyphonie redonne au discours colonial sa simple valeur de fiction. Ces œuvres partent du constat que l’idéologie coloniale a mêlé discours sur la race, le sexe, le genre afin de mieux soumettre le sujet colonisé. Reprenant à son compte l’ensemble de ces catégories identitaires, Michelle Cliff propose une autre vision de l’histoire jamaïcaine, en passant par un travail de collecte des mémoires.

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Des voix sans maître : déconstruire de grands récits par la dystopie (Pierre Pelot)

Le storytelling pourrait être interprété comme l’un des instruments actuels de ce que Guy Debord appelle en 1967 le « spectaculaire diffus », par contraste avec le « spectaculaire concentré » des régimes communistes. La Société du Spectacle fournit une puissante matrice de déconstruction des grands récits, en les ramenant à une froide réalité mécanique, servir une même entreprise de « prolétarisation du monde ». Pierre Pelot, figure marquante de la science-fiction française des années 1970, s’est emparé de cette matrice contestataire pour écrire une série de récits dystopiques de 1977 à 1980. Ses dystopies sont des utopies négatives, qui détruisent les citoyens tout en prétendant les sauver. Dans cet article, nous examinons plus particulièrement trois romans, Delirium Circus (1977), Les Barreaux de l’Eden (1977) et Parabellum tango (1980). Pierre Pelot donne une forme organisée à ce qui pourrait rester pure métaphore, une société conçue comme une machine infernale. Il incite ses lecteurs à une méfiance – que Jean-François Lyotard dit à cette même époque « postmoderne » – envers tout grand récit sotériologique, et propose divers contre-récits, dont le plus abouti se lit dans Parabellum tango. La dystopie devient ainsi un instrument d’interrogation des discours sur le monde, dans une critique anticipée d’un storytelling ayant échappé à ses créateurs, qui sont réduits à l’état de voix sans maître. Outre les aspects thématiques visant à décrédibiliser par principe tout grand récit imposé à la société, Pierre Pelot fait appel à une large gamme de procédés stylistiques et narratifs destinés à transformer ses romans en contre-récits, anti-linéaires, fragmentés ou fractals, comme pour tenter de vacciner son lecteur contre le storytelling du « spectaculaire diffus ».

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Le Troisième Reich et le roman policier, des écrivains allemands des années 1930 à Roberto Bolaño: Le récit d’enquête contre le récit politique

Cet article propose d’interroger le storytelling à travers deux types de romans policiers se référant chacun à leur manière à la période du Troisième Reich. Tout d’abord, nous rendons compte des recherches de Vincent Platini sur le Krimi de l’époque nazie : le service de propagande de Goebbels a en effet tenté de se servir de ce medium populaire par excellence que représentait le roman policier pour distiller toujours plus l’idéologie nationale-socialiste. Bien plus tard, au cours des années 1990 et au début des années 2000, l’écrivain chilien Roberto Bolaño s’est quant à lui souvent inspiré des contraintes génériques du policier pour mettre en scène les retours de refoulés de ce Troisième Reich auquel le général Pinochet savait rendre hommage… Nous proposons à travers ces deux exemples de mieux cerner la linéarité du storytelling et son rapport au divertissement : en quoi le jeu et ses multiples facettes peut-il, dans le roman policier, servir une idéologie unique – qu’elle soit politique ou marchande, c’est tout un – ou bien, tout au contraire, déjouer toute tentative de résolution et contribuer à tenir le lecteur en alerte, en état de vigilance aiguë.

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Le roman moderne, un moyen d’expression privilégié du tragique de l’homme (Malraux, Bernanos)

Les grandes innovations – notamment pour le genre romanesque- ont été faites au début des années trente dans les œuvres de Bernanos et de Malraux : le roman traditionnel, tel qu’il a été. défini par la critique, devait s’organiser autour d’une intrigue bien composée et des personnages cohérents à travers une psychologie rationnellement explicable. Or les romans de Bernanos et de Malraux dépassaient ce modèle en mettant au centre des problèmes philosophiques fondamentaux exprimant une vision du monde tragique à travers des structures dramatiques et discontinues, mais dans lesquels l’Histoire actuelle n’était pas absente.

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La littérature prolétarienne américaine: Écrire la dissidence dans la terre du consensus

La littérature prolétarienne américaine du début des années 1930 fut une tentative d’élaborer un récit alternatif à celui du capitalisme, à une époque où celui-ci traversait une crise profonde. Ce projet marginal a néanmoins nourri les œuvres plus consensuelles du Front populaire de la seconde moitié de la décennie. S’agit-il d’une victoire du consensus, écrasant ce qu’il y a de plus radical dans le roman prolétarien, ou bien au contraire d’une réussite du contre-récit, qui parvient à introduire des variations dans le récit national dominant ?

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Une poétique du malaise : les anciens combattants face aux « mythes » de l’arrière (L.-F. Céline, L. Guilloux, E. M. Remarque, L. Werth)

Un bon nombre de romans européens des années 1910 à 1930 ayant pour thème l’expérience des combattants de la Grande Guerre, mettent en scène, à l’occasion de la démobilisation ou d’une permission de ces soldats, le malaise de ceux-ci face à la représentation déformée que le monde civil a de la guerre. Les combattants découvrent des civils qui se veulent, du fait de leur engagement « moral », aussi « héroïques » qu’eux, qui contestent leur vision « partielle » de l’état du front en prétendant à une « hauteur de vue » seule offerte par le recul de l’arrière. Pour représenter ce choc, le roman est d’autant plus efficace qu’il ne se livre pas à une rhétorique de la dénonciation : les personnages de combattants en question sont à la fois révoltés et passifs, opposés mais d’une certaine manière soumis à ces discours de la manipulation. Le « contre-récit » romanesque travaille donc de l’intérieur les discours manipulés, et n’offre pas pleinement les armes intellectuelles, idéologiques, pour s’en défaire : il invite le lecteur à s’interroger sur ces discours sans lui offrir, au-delà du pacifisme commun aux auteurs cités, la solution d’un engagement politique précis.

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Sécularisation contre sécularisation : une compréhension du système de la République islamique d’Iran

La sécularisation est un processus aboutissant à un nouvel état de fait qui se caractérise grossièrement par une autonomisation de la sphère publique par rapport au religieux, et à un recul du religieux. Ainsi les sciences humaines occidentales définissent-elles le terme de sécularisation, un processus coextensif à la modernité occidentale et qui est l’expression d’un monde qui se désenchante.

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Interminable querelle de la sécularisation de l’éducation en Iran

La Révolution de 1979 et l’avènement de la République islamique en Iran (RII) constituent un tournant paradigmatique pour l’éducation en Iran qui connaissait un système séculier depuis la révolution constitutionnelle de 1906. Afin de réaliser sa cité islamique, la RII a rapidement commencé à réformer les institutions majeures comme l’appareil juridique ou le système éducatif. Le nouveau pouvoir souhaitait voir associer l’accès aux sciences et à la formation à des formes « authentiques » de savoir religieux.

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