Politique de la fiction et fictionnalisation du politique face aux limites de la liberté d’expression

En 1806, Senancour écrivait : « Les livres ne remuent pas le monde, mais ils le conduisent secrètement. Les moyens violents ont des effets plus sensibles, mais peu durables[1]. » Réitérée tout au long du XIXe siècle à l’occasion des débats sur la liberté de presse, cette croyance ancienne dans le pouvoir des mots, que l’expérience révolutionnaire est venue conforter, constitue un des noyaux durs de l’imaginaire national français. La dimension politique de l’écrit a ici un caractère d’évidence, qu’elle n’a peut-être pas ailleurs. Dans ce contexte, loin d’inscrire le texte hors du monde actuel, de s’en « évader », le recours à la fiction peut même relever d’une stratégie très politique.

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Reconfigurer le sensible : la fiction politique selon Jacques Rancière

Les réflexions de J. Rancière, revenant sur la singulière intrication littérature-politique, dans un effort constant de questionner les coupures instituées et d’échapper aux facilités de l’indistinction, permettent de penser la possibilité et la nature d’une fiction politique. Telle sera du moins l’hypothèse que nous voudrions ici explorer, non sans interroger les flottements et fluctuations du discours du philosophe et les difficultés que sa pensée soulève lorsqu’on s’efforce d’en faire usage.

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Entre Flaubert et Rancière : le sort du métadiscours politique dans la fiction de la IIIème république

La Troisième République : époque ambiguë qui, par ses compromis, parvient à éviter un retour à la monarchie héréditaire et à l’empire napoléonien ; époque que l’on peut qualifier après coup comme celle où le républicanisme s’affirme pour de bon comme la forme gouvernementale préférée par la France et par les Français ; mais époque – on le sait bien – dont les premiers mois sont ensanglantés non seulement à cause de la guerre contre les Prussiens mais aussi à cause de la guerre civile de la Commune. Ce traumatisme est rejoué plus tard dans les romans forcément politiques de la Commune : non seulement La Débâcle de Zola mais aussi La Commune des frères Margueritte, L’Insurgé de Vallès, Philémon et La Colonne de Lucien Descaves, et L’Apprentie et L’Enfermé de Gustave Geffroy. C’est tout le paradoxe d’une année où la France trouve une forme de gouvernement capable de durer – malgré tous les zigzags en route – mais où elle se caractérise, aussi, par ses clivages internes.

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Les mystères urbains ou triomphes et échecs de la fiction politique au XIXe siècle

Les « mystères urbains » constituent au XIXe siècle une nébuleuse romanesque développée notamment en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique Latine, et dans le Commonwealth avant de connaître un déploiement en Asie (Chine et Japon) au tournant du XXe siècle. Il s’agit sans doute d’une des premières manifestations de la globalisation culturelle. Les mystères urbains articulent, sous une forme fictionnelle, la prise en compte de trois phénomènes caractéristiques de la modernité : le développement de la grande ville, la peur du crime et une interrogation sur les identités collectives, qu’elles soient sociales, régionales ou raciales.

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La Fiction politique : hypothèses

Ce prélude épigraphique au présent volume a pour fin de souligner d’emblée les raisons principales qui ont suscité l’organisation d’une journée d’étude puis la publication de ses actes : si l’on sait (à peu près) ce que signifie le syntagme « roman historique », personne ne s’accorde à définir celui de « roman politique » ; si l’on est prompt à désigner ce qu’une fiction « a de politique », on est plus embarrassé pour reconnaître en quoi cette dimension politique pourrait définir en propre une telle fiction ; si l’on a pris, avec Susan R. Suleiman, l’habitude de penser plus aisément la dimension politique de la fiction comme relevant du « roman à thèse », nombre d’auteurs très éloignés de ce genre d’exercice de l’autorité énonciative conduisent pourtant à penser leur fiction comme foncièrement politique.

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L'”ordinaire” des camps (R. Antelme, P. Levi, Imre Kertész)

Ce qui nous intéresse ici, c’est la façon dont peut se constituer pour les victimes, au sein même du camp, un ordinaire, une vie quotidienne, commune et partagée. Un ordinaire pas ordinaire cependant, qui déstabilise les idées communes que l’on peut s’en faire, qui montre surtout la charge éthique qui peut s’y rattacher et que révèlent les efforts produits pour en préserver quelque chose face à des atteintes d’une violence totale.

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Revenir à l’ordinaire. L’exercice de la connaissance en situation d’intervention

Une manière d’envisager l’existence de domaines de l’intervention sur autrui dans les sociétés modernes est de décrire comment se réalise l’activité professionnelle qu’accomplissent ceux dont le métier consiste à faire se modifier les conduites d’un individu qu’ils ont mandat d’assister, d’éduquer, de soigner ou de “réhabiliter”. Les innombrables enquêtes que la sociologie a mené pour apporter une réponse à cette question ont mis en lumière un principe qui organise l’activité professionnelle : pour réaliser pleinement sa vocation thérapeutique, une prise en charge doit neutraliser une partie de ce qui constitue l’ordre des relations ordinaires que les membres d’une société entretiennent les uns avec les autres.

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L’ordinaire comme commencement du travail sur soi : le cas de la prise en charge des hommes et des femmes sans domicile

L’arrivée à la rue, l’installation dans le statut de « sans domicile fixe » ou de « sans abri » est rarement dû à la seule perte du logement, c’est généralement une étape, parfois l’aboutissement, d’un processus de disqualification commencé dans l’enfance. Au cours de l’étude de terrain que nous avons réalisée dans le cadre de notre doctorat de sociologie, nous avons observé plusieurs éléments mis en place dans l’objectif de « réinsérer » les personnes hébergées en centre d’hébergement. Nous avons constaté que, devant l’impuissance à proposer une réinsertion économique stable, les travailleurs sociaux s’attelaient à ancrer les personnes hébergées dans une routine quotidienne ordinaire.

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L’ordinaire tient à un fil…

L’ordinaire ne tient qu’à un fil. L’ordinaire, dit le dictionnaire, c’est ce que l’on fait habituellement. Il suffit de peu pour ne plus le faire. On peut trouver l’ordinaire sans intérêt, un peu plat, et vouloir s’en échapper, par exemple s’enivrer. Mais l’ordinaire peut cesser d’être plat d’une autre manière, à partir du moment où il perd son évidence, où il cesse d’être naturel. La maladie fait rupture dans l’ordinaire, qu’il s’agisse d’une simple fracture ou de tout autre pathologie, l’annonce est brutale : rien, pour un temps, ne sera « comme avant ».

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