Du fanatisme au terrorisme : Voltaire et nous

Encensé et détesté tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, Voltaire était alors un des écrivains français dont la présence sociale était la plus perceptible. Un « voltairien », c’est tout au long du XIXe siècle, et ce, à l’échelle de l’Europe entière, un ennemi des valeurs traditionnelles et de la religion : c’est ainsi par exemple qu’est désigné Cavaradossi par ses ennemis dans la Tosca de Puccini. Un anti-voltairien, c’est au contraire un défenseur de tout ce que ceux qui se rallient au nom de Voltaire prétendent attaquer, et ce, très tardivement. Presque aucun autre écrivain ou penseur moderne, à l’exception évidemment de Marx, ne peut se vanter d’avoir ainsi concentré dans son nom un tel affrontement concernant la société tout entière sur le terrain des valeurs, et l’on peut dire que sa gloire a vécu bien longtemps, beaucoup plus que de l’admiration esthétique ou littéraire suscitée par ses œuvres, du mélange de haine et d’adhésion passionnées qui le mettait au cœur d’une profonde déchirure sociale.

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Mise en scène du terrorisme en art contemporain français (1990-2010) entre fiction et réalité, de l’inconcevable à l’hypothétique

Comme le constate Sol LeWitt dans un entretien de 1968, « lorsqu’il voit le monde s’effondrer autour de lui, l’artiste se demande ce qu’il peut faire. Mais en tant qu’artiste, il ne peut rien faire, sinon être un artiste ». Si une oeuvre contestataire et critique propage avec ferveur ses convictions, elle ne peut malheureusement ni endiguer ni arrêter en soi et par elle-même un conflit armé, par exemple. C’est peut-être est-ce en ce sens que LeWitt disait qu’un artiste, « en tant qu’artiste […] ne peut rien faire », puisque son travail n’a semble-t-il aucun impact direct sur le monde en crise.

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La représentation du terrorisme anarchiste dans Germinal et Paris de Zola

En lisant le cycle des Rougon-Macquart comme une transposition romanesque du modèle des sciences thermodynamiques, Michel Serres l’a qualifié d’« épopée d’entropie », le thème de « l’écrasement, [du] gaspillage, [de] la dissémination, [de] la perte, [de] l’irréversible jusant vers la mort-désordre » étant une constante dans la plupart des romans du cycle. Et, certes, il est indéniable qu’entropique ou non, l’œuvre narrative de Zola est marquée d’un bout à l’autre par une profonde fascination pour la destruction, la ruine, l’anéantissement, bref pour la violence, surtout lorsque celle-ci se manifeste dans ses formes les plus meurtrières et catastrophiques. Il faudrait ajouter à cette liste toutes les morts violentes qui ne manquent pas dans ses romans, du meurtre du mari de Thérèse Raquin à celui du père Fouan (à la fin de La Terre), sans oublier les suicides qui certes ne font pas défaut (par exemple, celui de Claude Lantier à la fin de L’Œuvre). Dans tous ces cas, quoique très différentes les unes des autres, c’est un même goût pour les scènes fortes et les images effrayantes qui alimente l’imagination romanesque de Zola.

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Réponses romanesques au terrorisme — DeLillo, Dantec, Volodine

Il doit paraître étrange de considérer le terrorisme selon le prisme de l’imagination littéraire et de quelques romans occidentaux, qui seraient alors doués d’un pouvoir face à l’horreur. La question de Sartre : « Que peut la littérature ? », appelle ici, de fait, une réponse négative, suggérée par tous ceux qui ont vu dans le terrorisme l’alliance de l’imprévisible et de la répétition, un sublime négatif ou l’ont perçu comme ce qui constitue un monde sans dehors. Reprendre la question de Sartre s’impose cependant lorsque, face au terrorisme, la littérature tente de retrouver un pouvoir qui ne peut consister en un engagement explicite, une dénonciation, une consolation, ou un discours de vérité — inutile puisque le terrorisme est manifeste, il suffit de le citer.

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Écrire le terrorisme à la première personne : de Boris Savinkov à Zazoubrine

Il s’agira de s’interroger sur les raisons d’être de l’écriture romanesque du terrorisme. À quoi bon cette fictionnalisation ? Que nous dit-elle ? Je montrerai que la réquisition de schémas ou de motifs traditionnels, voire éculés, permet de continuer à tenir un discours humaniste, parfois à l’insu de l’artiste et que le littéraire, loin d’être un ornement, sert de caisse de résonnance à une problématique éthique, en lui donnant une épaisseur charnelle trop souvent absente. Loin de s’éloigner de la réalité humaine, elle y ramène.

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Des bombistes russes aux meurtriers délicats de Camus : histoire d’un transfert artistique

Depuis son engagement dans la Résistance, Camus a toujours mené une réflexion sur la question de la violence. Elle s’imposait à lui en termes de conscience intellectuelle et morale et le poussait à prendre position par rapport aux événements et aux circonstances de l’époque. Rappelons que sous le régime de Vichy, les résistants furent traités de « terroristes ». Dans son article « Le sang de la liberté » (Combat, 24 août 1944), pendant l’insurrection à Paris, Camus était catégorique : « Une fois de plus, la justice doit s’acheter avec le sang des hommes ». Il justifiait alors la lutte armée des résistants au nom des « raisons immenses » ayant « la dimension de l’espoir et la profondeur de la révolte ».

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Introduction : “Littérature et arts face au terrorisme”

Les attentats terroristes qui frappent notre pays et de nombreux autres continuent de susciter une abondante littérature – géopoliticiens, historiens, sociologues, psychologues s’en sont emparés, cependant que les artistes, depuis le 11 septembre en particulier, y ont trouvé une matière première relativement originale. Le terrorisme, cependant, dont le nom est associé à la « Terreur » de la fin du XVIIIe siècle français, semble lié à la naissance de la modernité démocratique. Depuis toujours ont certes sévi des terreurs organisées, par des groupes dits criminels ou par des États ; elles vont de pair avec les guerres et les génocides, termes régulièrement associés au terrorisme.

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Offense & Préjudice. La liberté d’expression selon Ruwen ogien

« Que reste-t-il de la liberté d’offenser ? » demandait Ruwen Ogien le 9 janvier 2015 dans les colonnes du journal Libération, au surlendemain du massacre perpétré dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo. Dans cet article rédigé en 2017 quelques temps avant la disparition de Ruwen Ogien, Charles Girard (Lyon III) rendait hommage au philosophe trop tôt disparu en reposant la question des usages de la liberté d’expression.

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Intégrité, intégrisme et (dés)intégration du religieux. Quelques remarques sur la “stratégie dissociative” de Cécile Laborde

Cécile Laborde mène depuis plusieurs années une impressionnante entreprise d’élucidation des intuitions normatives qui sont au cœur de l’exigence politique et sociale de « non-domination ». Ces intuitions, communes aux formes progressistes du libéralisme politique et aux versions non identitaires du républicanisme, rencontrent une de leurs « croix » dans la question de l’étendue et des limites de ce que le Premier amendement de la Constitution des États-Unis nomme le « libre exercice de la religion », solidaire du « non-établissement » de celle-ci. La tradition francophone a inventé pour ce principe le mot de « laïcité » qui, de façon remarquable, n’apparaît pas dans la loi française de 1905 séparant État et Églises sous le chef de la « liberté de conscience » et du « libre exercice des cultes ». Ce mot fait aujourd’hui l’objet de tentatives d’appropriation de la part de courants politiques qui, tant par leurs motifs intellectuels que par leurs intentions discriminatoires, n’ont rien de laïque.

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La religion dans le droit : la stratégie de la dissociation

Depuis quelques dizaines d’années, sociologues, juristes et spécialistes des études religieuses ont soumis la catégorie de « religion » à un examen critique particulièrement sévère. Cette critique a éveillé des échos – tardifs mais vigoureux – dans la théorie politique de la liberté religieuse. Des philosophes politiques majeurs ont posé les questions suivantes : qu’est-ce qui justifie le traitement spécial que le droit accorde à la religion ? Les dispositions légales relatives à la liberté religieuse protègent-elles de manière adéquate toutes les formes de la vie religieuse ? La protection particulière dont jouit la religion constitue-t-elle un privilège injuste dont bénéficient ceux qui ont une croyance religieuse ?

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