Le gentil récit littéraire et le grand méchant storytelling : anatomie d’un conte contemporain

Si la littérature n’apparaît pas dans la liste des outils de propagande du « nouvel ordre narratif » décrit par Christian Salmon dans Storytelling (à la différence du cinéma, des jeux vidéo, des séries télévisées et des médias), c’est d’abord parce qu’on lui prête couramment une capacité privilégiée à démonter les rouages des récits dominants : la littérature, par nature, serait un outil de résistance aux discours « médiocratiques ». Examinant comment cette équation entre littérature et résistance est devenue un lieu commun de la critique contemporaine, cet article essaye de montrer que le contre-récit engagé définit peut-être aujourd’hui un certain horizon d’attente de l’idée de littérature davantage qu’il ne le subvertit : l’écrivain qui écrit au nom des sans-voix, qui s’attache aux victimes de l’histoire ou qui démonte les discours néolibéraux fait exactement ce qu’on attend de lui. Marginalisée par l’essor d’autres arts du récit, la littérature tire ce qui lui reste de son pouvoir, bien faible au demeurant, de la croyance en sa vocation à être l’irremplaçable et unique outil de la critique des récits qui nous gouvernent.

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