Des voix sans maître : déconstruire de grands récits par la dystopie (Pierre Pelot)
Le storytelling pourrait être interprété comme l’un des instruments actuels de ce que Guy Debord appelle en 1967 le « spectaculaire diffus », par contraste avec le « spectaculaire concentré » des régimes communistes. La Société du Spectacle fournit une puissante matrice de déconstruction des grands récits, en les ramenant à une froide réalité mécanique, servir une même entreprise de « prolétarisation du monde ». Pierre Pelot, figure marquante de la science-fiction française des années 1970, s’est emparé de cette matrice contestataire pour écrire une série de récits dystopiques de 1977 à 1980. Ses dystopies sont des utopies négatives, qui détruisent les citoyens tout en prétendant les sauver. Dans cet article, nous examinons plus particulièrement trois romans, Delirium Circus (1977), Les Barreaux de l’Eden (1977) et Parabellum tango (1980). Pierre Pelot donne une forme organisée à ce qui pourrait rester pure métaphore, une société conçue comme une machine infernale. Il incite ses lecteurs à une méfiance – que Jean-François Lyotard dit à cette même époque « postmoderne » – envers tout grand récit sotériologique, et propose divers contre-récits, dont le plus abouti se lit dans Parabellum tango. La dystopie devient ainsi un instrument d’interrogation des discours sur le monde, dans une critique anticipée d’un storytelling ayant échappé à ses créateurs, qui sont réduits à l’état de voix sans maître. Outre les aspects thématiques visant à décrédibiliser par principe tout grand récit imposé à la société, Pierre Pelot fait appel à une large gamme de procédés stylistiques et narratifs destinés à transformer ses romans en contre-récits, anti-linéaires, fragmentés ou fractals, comme pour tenter de vacciner son lecteur contre le storytelling du « spectaculaire diffus ».
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