Figures et figurations du pouvoir politique

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Si la réflexion sur le pouvoir est au centre de la philosophie politique, elle constitue également un enjeu fort de la littérature et des arts : et le titre du présent dossier, qui met en avant les « figures et figurations » du pouvoir politique, ne saurait renvoyer à une quelconque opposition entre réflexion et mise en forme. Au contraire, la représentation du pouvoir politique – dans le roman, le théâtre, le cinéma, les arts plastiques – est inséparable d’un questionnement sur l’essence de ce pouvoir, ses modalités pratiques d’affirmation et les conséquences de son déploiement à l’échelle individuelle et collective. Pour reprendre Sartre et élargir son propos au discours tenu par les images, si représenter « c’est agir », puisque « toute chose que l’on nomme » – ou représente – « n’est déjà plus tout à fait la même » au sens où « elle a perdu son innocence[1] », alors cette force de dévoilement devrait atteindre son acmé quand l’objet saisi est le pouvoir politique.

Car qu’est-ce que ce pouvoir sinon précisément celui qui est à la fois invisible et omniprésent, nourrissant les fantasmes – ou les sinistres réalités – d’un pouvoir occulte et par ailleurs enclin à donner des représentations de lui-même ? De fait, le pouvoir politique est autant organisateur et régulateur de l’espace public (et, de manière plus ou moins forte selon sa nature, de l’espace privé) que metteur en scène de lui-même. Figurer le pouvoir politique, c’est alors tantôt ou à la fois dévoiler son mécanisme, s’introduire dans les coulisses, donner à voir le spectacle qu’il offre, mais aussi interroger le statut de tous ceux qui contribuent ou assistent au lever de rideau : acteurs (ou pantins), spectateurs (engagés ou non ; au parterre ou au paradis), scénaristes plus ou moins inspirés. Et sans doute ne serait-il pas absurde de réserver à l’artiste, pour filer la métaphore, le rôle d’éclairagiste, qui met en lumière, sous un angle particulier, ces divers espaces et individus.

Les articles qui suivent constituent le deuxième volet de ce qui a été envisagé comme un diptyque consacré aux « Figures et figurations du pouvoir politique ». Il se déploie sur deux supports : le site et la revue papier. Ainsi, les textes mis en ligne d’Hélène Jaccomard, Sandra Coulaud, Emmanuelle Glon, Natalia Leclerc, Alexandre Wong, Jérôme Mahut, Emilie Sitzia, Erika Thomas et Pierre-Simon Gutman complètent-ils ceux publiés dans le numéro 12 de Raison publique (avril 2010[2]), en ouvrant notamment la réflexion à d’autres arts (le ballet, la peinture) et à d’autres époques (l’âge classique, baroque, le Premier Empire…).


Notes

  1. Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature? [1948], Paris, Gallimard, « Folio essais », 2001, p. 27.

  2. On pourra lire dans le volume les articles de : Jean-Michel Wittmann, « Aux sources d’un imaginaire réactionnaire. Figurer le pouvoir politique décadent, de Barrès à Drieu La Rochelle » ; Aurore Peyroles, « U.S.A. de John Dos Passos : démystification et refondation du rêve politique américain » ; Gabrielle Napoli : «  Les spécificités du pouvoir politique figuré par l’enfant : Le Roi blanc de György Dragomán et Le Grand Cahier d’Agota Kristof » ; Benoît Doyon-Gosselin et David Bélanger, « Ironie du pouvoir, pouvoir de l’ironie dans L’année de la mort de Ricardo Reis de José Saramago » ; Caroline Julliot, « Le Grand Inquisiteur, figure du pouvoir contemporain » ; Isabelle Ligier-Degauque, « Combattre les « forces obscures » du naturalisme : les vertus du simulacre pour mettre en scène le pouvoir politique – Ghelderode, Genet et Py » ; Éric Nuevo, « La représentation du président américain à Hollywood : l’image troublée d’un leader, d’Abraham Lincoln à George W. Bush » ; Estelle Bayon, « (Dés)ordre : corps ordinaires et figures politiques dans Les Harmonies Werckmeister de Béla Tarr ».

Sylvie Servoise, ancienne élève de l’ENS-Lyon, agrégée de Lettres modernes et docteure en littérature générale et comparée, est Professeure de littérature française et comparée (XXe et XXIe siècles) à Le Mans-Université (directrice-adjointe du laboratoire de recherches 3L. AM pour le site du Mans). Elle est également cofondatrice des Editions Raison publique et rédactrice en chef de la revue Raison publique. Elle est par ailleurs coordinatrice de la rubrique "Recherche" du magazine Page éducation.
Ses recherches portent sur la notion d’engagement littéraire au XXe et XXIe siècles, sur les rapports entre littérature et politique, écriture de l’histoire, mémoire et fiction dans les littératures française, italienne et américaine. Ses derniers ouvrages : Le Roman face à l’histoire. La Littérature engagée en France et en Italie dans la seconde moitié du XXe siècle (Rennes, PUR, 2011) ; Politiques du temps : Le Guépard de Lampedusa dans l’histoire (Rennes, PUR, 2018); Démocratie et roman. Explorations littéraires de la crise de la représentation au XXIe siècle (Paris, Hermann, 2022); La Littérature engagée (Paris, Que Sais-je?, 2023). Elle a par ailleurs traduit de l'anglais (Etats-Unis) l'ouvrage de Philip Nord, Après la Déportation. Les batailles de la mémoire dans la France d'après-guerre (Lormont, Le Bord de l'eau, 2022).